LA VIEILLE ANAÏS

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7.

LA VIEILLE ANAÏS


- Ca ne sert à rien de te forcer, fit remarquer Jules, cela reviendra tout seul.

Assis au devant de l’épaisse table qui servait d’établi, Anatole soupira, tournant une nouvelle fois entre ses doigts la flûte qu’il observait depuis des heures. Taillée dans un bois blanc assez léger, elle devait faire une vingtaine de centimètres. Sous une couche de vernis y était gravés de nombreux symboles qui étaient pour lui indéchiffrables. Elle était d’un bel ouvrage, mais ne lui évoquait rien de plus. 

Cela faisait deux longs jours qu’Anatole tentait en vain de se rappeler quelque chose : dès   qu’il était au calme, il reprenait cette même flûte et l’observait sous toutes ses coutures dans l’espoir qu’un détail lui ayant échappé ravive en lui un souvenir marqué, mais il n’y avait que le néant. Tristement, rien ne semblait pouvoir lui venir en aide, pas même les récits enthousiastes que lui faisait Jules de leurs aventures passées. Ce dernier essayait de stimuler sa mémoire en évoquant des moments partagés ensemble, mais, pour Anatole, cela rendait la tâche plus difficile encore. Entendre des gens parler de la personne qu’il avait été, sans pouvoir s’en souvenir, provoquait en lui un sentiment très étrange : Anatole avait la désagréable sensation qu’ils lui parlaient de quelqu’un d’autre.

 Quelque fois, il se demandait si les villageois n’essayaient pas de faire de lui quelqu’un qu’il n’était pas. Après tout… il n’avait aucun souvenir, devait-il les croire sur parole ? D’autre fois, il lui semblait avoir le vague souvenir d’une longue chevelure rousse virevoltante au vent, mais cela n’avait que peu de valeur, car la seule personne rousse du village était un rouquin au cheveux très courts. 

Malgré tout, cette image l’intriguait beaucoup.

- Si seulement je pouvais me souvenir de qui est cette femme… murmura-t-il à voix haute, perdu dans sa réflexion. 

- La rousse, encore ? demanda Jules d’un ton vague. Franchement, je ne vois pas. Tu l’as peut-être imaginé lorsque tu étais… tu sais.

Anatole leva les yeux en direction du garçon. Il était appliqué à visser deux morceaux de ferrailles ensemble, dans l’optique de servir son projet de bicycle. Jules était un bricoleur débrouillard qui s’avérait en fait être une sorte d’inventeur. Il avait construit beaucoup d’objets étonnants pour le village de Crossbeard et certains habitants le taquinaient en lui attribuant le sobriquet de Léonard, en référence à Léonard De Vinci. Si Anatole s’amusait de cette comparaison, il était vrai que la passion du jeune homme pour le vol n’était pas sans rappeler celle de l’italien.    

- Je ne crois pas… contesta Anatole, peu convaincu. J’ai le sentiment que c’est quelqu’un d’important.

- Dans ce cas, probablement quelqu’un de ta vie d’avant, répondit Jules en haussant les épaules. 

- Peut-être bien, oui…

C’était là quelque chose de particulièrement fâcheux, car de cette vie là non plus, il ne se souvenait plus rien. 

- Tu devrais l’essayer, lui conseilla Jules.

- Pardon ? demanda-t-il bêtement. 

- La flûte, je veux dire. Tu devrais jouer un morceau. 

- Je n’en connais aucun, se désola Anatole. 

- Oh, tu en connaissais, affirma Jules. Je t’ai déjà vu en jouer, auparavant. 

Anatole fronça les sourcils, rapportant une nouvelle fois son regard sur l’objet. Il s’imagina la porter à sa bouche, placer ses doigts, gonfler ses poumons et puis… rien. Quelle musique jouer ? Quels accords ? Il n’y avait rien, dans cette perspective, qui lui semblait naturel. 

- J’imagine que ça aussi, je l’ai oublié… 

- Parfois, tu es désolant, soupira Jules en posant brutalement l’une des barres métalliques sur le table. 

Anatole baissa les yeux, navré de décevoir celui qui faisait tout pour lui venir en aide. 

- Ca ne t’empêche pas d’essayer, continua l’inventeur, si ? 

Dans le fond, Jules n’avait pas tort. Perplexe devant son incapacité à savoir qui il était, Anatole s’avouait vaincu trop facilement, ce qui n’allait pas lui rendre service : abandonner ne lui permettrait pas de retrouver sa mémoire. Alors, plutôt que de discuter, il s’exécuta et porta l’objet à ses lèvres. A l’instant où ses doigts vinrent se poser sur les perforations de l’instrument, il crut savoir ce qu’il faisait : il souffla et bougea ses doigts de manière à exécuter une belle mélodie. Il s’éleva dans l’air quelques sons, jusqu’à ce que la voix de Jules ne vienne les surplanter. 

- C’est pas grave, fit-il, l’essentiel c’est d’avoir essayer. 

Malheureusement, il n’était sorti de l’exercice qu’une série de notes désastreuses et Anatole trouva que cela avait bien plus à voir avec de la torture que de la musique. La mine déçue, il remit l’objet dans la boite en bois. Petit à petit, sa déception se mua en un agacement non dissimulé.

- Je ne vois vraiment pas pourquoi je t’aurais dit de garder ce stupide objet, il ne m’apprend rien ! 

- Du calme… Tu sais ici, on est sûr de rien. Ce n’est peut-être pas une flûte ordinaire. 

- Super, fit Anatole avec ironie, merci Jules. Elle est probablement magique. Une flûte magique pour l’amnésique du petit village pommé dont tout le monde à peur ! Pourquoi je n’y ai pas pensé ? Heureusement que tu es là pour m’éclairer de ton génie ! Génial, vraiment ! 

Avec colère, Anatole se leva d’un bond et se précipita au dehors de la maison. Déboulant de la sorte au milieu de la ruelle déserte, il manqua de renverser sur son passage un pot de fleur dans lequel poussait tranquillement des cosmos jaunes. Le soleil brillait et il n’y avait pas plus de vent que de signe de vie, à l’exception d’un chat persan. 

Assis sur les marches en pierre de la maison d’en face, l’animal l’observait d’un œil attentif. Il appartenait à une vieille femme qu’Anatole avait aperçu la veille, au travers de la fenêtre devant laquelle il s’était installé pour observer les allées et venues. Elle recevait régulièrement de la visite et la plupart des gens qui  entraient dans sa demeure en ressortaient avec de petits paquets, raison pour laquelle Anatole supposait qu’elle était une sorte de commerçante. A Crossbeard, les villageois avaient chacun un rôle bien précis : l’un était boulanger, l’autre médecin ou encore un instituteur. Jules lui avait expliqué qu’ils formaient ainsi une communauté entièrement autonome, un havre de tranquillité qui avait sut s’organiser pour ne dépendre que de lui-même ce qui, selon l’inventeur, leur permettait d’éviter bien des soucis. 

Le chat feula. 

- Quoi ? lâcha Anatole avec plus d’agressivité qu’il ne l’aurait voulu. Toi aussi, tu crois que je suis un monstre ? 

Le félin orienta ses deux petits oreilles dans sa direction et redressa sa tête, se figeant tel un prédateur. Se sentant mis au défi, Anatole ne broncha pas et planta ses yeux dans ceux de l’animal. Ils s’observèrent ainsi pendant quelques secondes, jusqu’à ce que, soudain, le persan fasse volte-face et disparaisse par la porte grande ouverte de sa maison. 


Cette dernier était le contraste parfait du taudis dans lequel Jules vivait : bien entretenue, elle était impeccable, y compris la peinture des volets en bois qui semblait fraîche de quelques jours. Une petite pancarte, pendue au bout d’une ficelle plantée dans le mur, indiquait « ouvert ». Puisqu’il n’avait rien à faire, Anatole décida de tenter sa chance. 


En franchissant le seuil de la maisonnette, Anatole sentit une odeur agréable lui rappelant celle de l’herbe coupée en plein été. Puis, petit à petit, elle se précisa et se déclina en plusieurs effluves distinctes, parmi lesquelles des parfums subtiles et délicats de fleurs. Il eut l’impression de pénétrer au cœur d’un jardin et ce qu’il vit vint appuyer ce sentiment : le couloir dans lequel il se tenait était bordé de plantes en tout genre, qui s’étalaient un peu partout, soit en grimpant au mur ou bien en s’allongeant sur le sol. Tapissé de vieux motifs vintage, ce vestibule s’ouvrait sur ce qu’il supposait être un salon et dont il apercevait au loin la complexe verdure qui, de son point de vue, le faisait ressembler bien plus à une serre qu’à tout autre chose. 

- J’arrive ! fit la voix de la femme au loin. Entre, entre ! 

Surpris, Anatole inspecta les alentours de la porte à la recherche d’un clairon qui aurait trahi sa présence, mais devant l’absence d’un tel objet, il ne parvint pas à déterminer comment elle avait été annoncée. Avec prudence, il progressa en faisant attention à ne pas marcher sur de la végétation. Il y avait d’immenses fougères, du lierre, mais aussi des ronces, ce qui lui parut assez curieux. A plusieurs reprises, il eut l’impression d’entendre sur son passage de petits bruits semblables aux craquements que l’on pouvait entendre dans une forêt, et eut la désagréable impression que certaines plantes l’espionnaient ou bougeaient dès lors qu’il avait le dos tourné. 

- Je devrais me renseigner au plus vite pour savoir qui, dans ce village, est psychologue… se dit-il à demi rassuré.

En pénétrant dans le salon, Anatole constata que l’atmosphère avait changé et était devenue bien plus humide.  Dans ces conditions, il ne fut pas surpris de repérer, plus tard, des traces de moisissures un peu partout le long des murs ou au plafond. La pièce était organisée comme un véritable lieu d’exposition : il y avait de nombreux étagères et armoires sur lesquels des fleurs et des végétaux étaient entreposés, formant un ensemble très coloré. Chaque pot avait eu droit à sa petite ardoise sur laquelle l’on avait inscrit à la craie des noms latin qu’il ne parvenait pas vraiment à déchiffrer. Au dessus de sa tête, pendaient des plantes descendantes qui avaient choisi pour domiciles ce qui ressemblait à des perchoirs à oiseaux. Enfin, entre deux immenses fenêtres qui donnaient vue sur un vrai potager, se trouvait un gigantesque miroir qui reflétait un escalier en colimaçon partiellement camouflé, lui aussi, par des plantes grimpantes. Anatole fut frappé de remarquer qu’en dépit d’un extérieur irréprochable, l’intérieur ressemblait fortement à celui dans lequel vivait Jules, a l’exception près que la végétation remplaçait le métal et les décorations de jardin les plans de construction en tout genre. 

- Ces gens ont le sens de la démesure… commenta-t-il à voix haute.  

- Naturellement, mon garçon ! répondit la propriétaire des lieux. 

Anatole fit un pas en arrière, gêné d’avoir été entendu, tandis qu’il reconnut le petit bout de femme un peu dodue et sans cou qu’il avait aperçu le jour précédent. Tandis qu’elle descendait les escaliers, il la détailla un peu plus : elle avait les cheveux courts et bouclés, ainsi que les pommettes aussi rouges que le teint d’une tomate et portait un tablier kaki assorti à de longues bottes en caoutchouc. Arborant un sourire bienveillant, elle vint tendre une main gantée à Anatole. 

- Pourquoi vivrions nous si ce n’était pas pour vivre pleinement nos passions ? Sois le bienvenue, Anatole. J’imagine que je dois refaire les présentations puisque… enfin, peu importe ! Je suis Anaïs. 

Anaïs. Ce nom lui disait quelque chose, ce qui le troubla quelque peu. 

- Comment avez-vous su que j’étais là ? demanda-t-il en serrant volontiers le gant qu’on lui tendait. 

- C’est que je suis une grande voyante ! 

- Je vous demande pardon ? dit-il abasourdi. 

Elle se mit à rire de bon cœur, comme si la réaction d’Anatole avait été des plus satisfaisantes. 

- Je rigole, mon garçon ! Je le sais parce que Chapardeur est venu me prévenir. 

- Chapardeur ? 

- Oui, tu as du le croiser, c’est un persan ! Et un beau persan. Oh bien sûr, certains voudraient que je l’appelle Pardeur, uniquement pardeur. Parce que c’est un chat, tu comprends ? Le chat… pardeur ! Ca en fait rire plus d’un j’peux t’le dire ! Ma fois, je dois bien avouer que je trouve ça drôle moi aussi, voilà pourquoi ce nom lui va bien. Mais il restera Chapardeur, parce que pardeur tout seul… ce n’est pas très joli. Or, Chapardeur est ma-gni-fique, tu ne trouves pas ? 

Quelque chose traversa la pièce avec rapidité. La suivant du regard, Anatole aperçut soudain le chat qui l’avait défié un peu plus tôt sur le pallier. Comme s’il avait compris que sa maitresse parlait de lui, l’animal était venu s’asseoir sur un petit coussin posé au sol avec une grande fierté. Se léchant les babines alors que ses moustaches gouttaient un peu de lait dont il avait dû se délecter, le félin ne le quitta plus du regard. Mal à l’aise, Anatole se contenta d’échanger avec sa propriétaire, qui contrairement à l’animal, avait un air extrêmement sympathique. 

- Si en effet, dit-il à contre cœur par bienveillance. Mais je crois qu’il ne m’aime pas beaucoup… 

- Oh ne t’en fais pas pour ça, mon garçon ! gloussa la vieille femme. Il n’aime personne, c’est un vrai grognon. Et en plus, c’est un voleur ! D’où son nom ! Oui, ce nom lui va vraiment bien. C’est mon mari qui le lui a choisi. Il a bien fait. C’était un homme très intelligent. 

- C’était ? 

- J’en ai bien peur, confirma-t-elle avec regret, il n’est plus avec nous, désormais. Comme bien d’autre. J’imagine que c’est dans l’ordre des choses. 

- J’en suis désolé… 

- Ne le sois pas. Ce n’est pas de ta faute. Ni celle de personne. Personne d’autre que cette vilaine sorcière en tout cas. Elle l’a poussé à bout tu comprends, il n’était plus tout jeune et très tourmenté, mon pauvre Louis. 

Anatole n’osa pas lui demander plus de détail. Il s’interrogea sur l’identité de la femme qu’elle qualifiait ainsi, mais imagina instinctivement qu’il y avait une histoire d’adultère et de jalousie derrière cette rancœur. Il se contenta de lui adresser un petit sourire pincé, attendri. 

- Mais ce qui est passé est passé ! s’exclama la femme. J’imagine que tu n’es pas venu ici par hasard, mon garçon. Tu voulais quelque chose ? 

- Eh bien… en réalité, si, en quelque sorte. J’avais besoin de prendre l’air… et j’ai vu que votre porte était ouverte alors… 

- Je vois ! Au fait, tu voudrais peut-être prendre un peu de thé ?

- Je… euh… oui volontiers, merci. 

Elle lui tapota la joue d’une main qu’elle venait de déganter, comme s’il avait été un adorable petit bébé. Devant cette attitude maternelle, il tenta de dissimuler sa gêne, tandis que la fleuriste rebroussait chemin vers l’étage supérieur. Il était étrange, songea Anatole d’avoir une cuisine en haut. Cependant, après réflexion, ça l’était peut-être moins que d’avoir transformé un salon serre, ou en tout cas pas plus. Tandis qu’il restait bêtement debout au milieu de tout cela, la voix de la vieille Anaïs s’éleva au loin :     

- Comme je te l’ai dit, tu es le bienvenu ici. Cela ne doit pas être facile j’imagine, de perdre la mémoire une deuxième fois. Je suis navrée que certains habitants ait réagit comme ils ont réagi, cela m’attriste. Heureusement que Léa était là, c’est une brave petite et on dirait qu’elle t’a à la bonne ! Je ne savais pas que vous étiez proches, elle et toi. 

- Apparemment nous n’étions pas… attendez… une deuxième fois ? 

- A quel propos ? répondit la bonne femme d’un air distrait. 

Il éleva un peu la voix pour couvrir les bruits de vaisselle qu’il entendait désormais : 

- Vous avez dit qu’il ne devait pas être facile de perdre la mémoire une deuxième fois ? 

- Oh, se souvint-elle, oui, c’est exactement ce que j’ai dit en effet. 

- Mais… s’intrigua Anatole, vous voulez dire que j’ai déjà perdu la mémoire auparavant ? 

Il y eut soudain un silence, comme si toute activité là haut avait été figée. De toute évidence, la vieille Anaïs ne s’était pas attendue à cette question. Anatole vint se placer juste au pied des escaliers et tenta en vint d’apercevoir la vieille dame : il ne vit que la lumière du jour éclairant le plafond de l’étage. 

- Je vous en pries, reprit plus fort encore Anatole en se tordant dans tous les sens pour essayer de voir quelque chose, dites-le moi. Les gens ici prennent tous des pincettes avec moi, mais cela ne m’aide pas, au contraire !

La vieille Anaïs ne lui répondit pas immédiatement, mais un peu de silence supplémentaire eut raison d’elle et elle finit par répondre d’une voix hésitante : 

- Eh bien… j’imagine que je pourrais… oui, c’est d’accord, mon garçon. Accorde-moi encore quelques secondes, c’est presque prêt. 


Elle descendit en effet quelques temps après, un plateau en argent entre les mains. Elle invita Anatole à prendre place dans l’un des deux uniques fauteuil en cuir présents dans la pièce et s’installa dans le second après lui avoir donné une tasse fumante. 

- Nous n’avons que du thé vert ici, j’espère que cela ira ? 

- Oui, c’est parfait, merci. 

Tenant sa boisson chaude d’une main, il fixa la vieille dame en silence, attendant qu’elle daigne expliciter ses propos. Celle-ci continuait de lui sourire, mais Anatole remarqua qu’elle évitait désormais de croiser son regard. En fin de compte, elle prit une profonde inspiration et se lança. 

- Quand tu es arrivé ici, il y a plusieurs années naturellement, oh ma foi, mon pauvre garçon, je n’sais plus exactement combien, le temps ici me parait s’écouler si rapidement je dirais… 

- Cinq ans, selon Jules.

- Oui, ça doit être ça, hum… cinq ans, naturellement. Quand tu es arrivé ici il y a cinq ans donc, tu ne te souvenais plus de qui tu étais. 

- C’est étrange… fit Anatole perplexe. 

Mais la vieille Anaïs eut des propos qui l’étonnèrent : 

- Pas tant que cela, dit-elle, pas ici.

Et elle porta sa propre tasse de thé à ses lèvres en tremblotant. Par mimétisme, Anatole fit de même et croisa l’une de ses jambes sur l’autre. 

- Que voulez-vous dire ? demanda-t-il fortement intrigué. 

- Eh bien, mon garçon, il faut que tu saches que cet endroit n’est pas tout à fait ordinaire, comme tu as déjà dû t’en rendre compte, naturellement. Je suis une vieille dame et cela fait bin longtemps maintenant que je suis ici. Aussi loin que je me souvienne, personne n’est arrivé à Crossbeard par hasard : tous les habitants, sans exception, sont des gens qui n’ont plus le moindre souvenir de qui ils étaient auparavant. Ils ont tous été envoyés ici pour pouvoir commencer une nouvelle vie. 

Anatole n’était pas sûr de comprendre ce qu’elle était en train de lui dire. 

- Tu comprends, mon garçon, le village en lui-même a été fondé sur ce principe, continua la vieille femme. Ici, tout le monde peut repartir de zéro et vivre pleinement ses rêves. Bien sûr, cela à un coût, car cela signifie renoncer à retrouver sa vie d’avant, il faut accepter ignorer l’être qu’on a été. Mais au fond… cela n’a aucune importance, naturellement. 

Anatole se redressa dans son fauteuil et tenta de s’installer le plus possible au fond de celui-ci, comme si le contact du dossier contre son dos le rassurait face aux propos de la vieille Anaïs qui le laissait particulièrement perplexe. Elle ressemblait à l’une de ces vieilles folles à chat.  

- Mais qu’est-ce que vous racontez ? s’indigna-t-il d’un air peu poli. C’est une sorte… de village pour amnésiques ? C’est ça que vous dites ? 

La vieille Anaïs hocha la tête d’un air convenu. Chapardeur surgit de nulle part et vint se placer sur l’accoudoir du fauteuil occupé par sa maitresse.  

- Mais c’est complètement stupide ! critiqua Anatole. Qui a eu une telle idée ?! Des médecins ? 

- Stupide ? s’étonna la vieille Anaïs qui eut soudain l’air très contrariée. Je ne vois pas en quoi c’est stupide, jeune homme ! Ce qui est stupide, c’est de rejeter d’entrée de jeu une idée sans se pencher dessus, comme tu viens de le faire ! 

Anatole sentit ses joues rougir de honte. Il eut l’impression d’être un petit enfant capricieux qui venait de se faire réprimander par sa mère.

- Pardonnez-moi, s’exclama Anatole confus. J’essayais juste de comprendre… 

- Pour comprendre quelque chose, mon garçon, encore faut-il être ouvert, rétorqua la vieille femme sèchement. En quoi choisir de vivre parmi des gens qui nous ressemblent, qui ont vécu la même chose que nous, dans une communauté fraternelle basée sur le libre-échange, le partage, la bonté et l’utopie est-ce stupide ?  

- Je… je ne voulais pas vous juger, pardon. 

- Nous juger ? s’étonna-t-elle un peu plus encore. Tu es venu ici, toi aussi, mon garçon. Ne dit pas ça comme si tu n’étais pas comme nous. 

Anatole baissa les yeux. Il n’y avait pas pensé, car sa perte de mémoire l’empêchait de se remémorer les choix qu’il avait pu faire autrefois, mais elle était dans le vrai. S’il était venu ici, à Crossbeard, et qu’il y avait vécu cinq années, cela signifiait probablement qu’il avait partagé la même volonté que les autres habitants. Malgré le fait qu’il trouvait cela un peu bizarre, il tenta de faire bonne figure : la vieille Anaïs était la première à lui apporter des éléments concrets ; il pourrait juger de sa potentielle démence plus tard. 

- Si je comprends bien… tenta-t-il de résumer, ce village est selon vous une sorte d’expérience médicale : on a organisé des amnésiques en société pour leur permettre de vivre une vie différente et de leur permettre de vivre… « leur rêve ». C’est ça ? Quel est le but ? 

- Le bonheur, répondit la vieille dame du tac-o-tac. Le bonheur, mon garçon. Il n’est pas toujours bon pour tout le monde de retrouver la mémoire, pas quand la vie que l’on menait avant été horriblement triste ou vide de sens. 

- Mais vous avez dit que personne ne se souvenait de sa vie d’avant ! fit remarquer Anatole.

- C’est vrai, je l’ai dit. 

- Dans ce cas, comment pouvez-vous être certaine que votre vie d’avant était horriblement triste ? 

- Je l’ignore en effet, avoua la vieille dame en terminant son thé. Mais, maintenant que je suis ici, à quoi bon me torturer avec cela ? 

C’était le serpent qui se mordait la queue : elle préférait vivre ses rêves loin de ses anciens souvenirs potentiellement désagréables pour pouvoir être heureuse, sans même savoir si sa vie d’avant n’était pas précisément celle d’une personne heureuse. Anatole était perdu face à cette manière de penser. En ce qui le concernant, il était inconcevable qu’il puisse accepter de se créer un avenir sans se souvenir de ce qu’il avait laissé derrière lui. Etait-il condamné à ne plus jamais se souvenir ? Etait-ce pour cela qu’il n’arrivait pas à se rappeler ? 

- Et donc vous avez laissé les médecins vous entrainer dans une telle aventure ?! se révolta-t-il. Sans broncher ? 

- C’est toi qui parle de médecins depuis tout à l’heure, mon garçon. Moi, je n’en ai pas parlé. 

- Eh bien… j’ai supposé que... Qui d’autre ?

- Personne, naturellement, répliqua-t-elle avec une grande tranquillité. Chacun d’entre nous a exprimé, à un moment donné de sa vie, son souhait d’une existence satisfaisante. Et c’est alors que Crossbeard est venu nous trouver. Premier, Deuxième et Troisième nous accueillent les bras ouverts et sans conditions, c’est aussi simple que cela. Nous devons simplement nous adonner à nos tâches quotidienne pour que le village continue de vivre. 


Abandonnant à regret l’hypothèse de l’expérience scientifique de grande envergure, Anatole avait désormais cette désagréable sensation d’être tombé dans une sorte de secte. En définitive, Crossbeard était une communauté renfermée sur elle-même, un peu comme l’étaient les amish aux Etats-Unis, et cela lui paraissait trop farfelu pour qu’il y adhère. Il commençait à comprendre pourquoi tout le monde semblait être si gentil et attentionné : ce genre de groupe était trompeur, ils vivaient dans l’illusion d’un monde parfait, prenant soin des uns des autres, mais dans l’unique but de garder chacun et chacune, s’enrôlant malgré eux mutuellement dans cette folie sans queue ni tête. 

- Et le Bâtiment Noir ? poussa-t-il.  

- Le Bâtiment Noir ? répéta la vieille dame dont le visage se décomposa immédiatement. 

- Oui, Jules dit que…

- Je te conseille vivement de ne pas t’y rendre, coupa froidement celui qui lui avait paru si sympathique auparavant. 

- Mais l’on m’a dit que… insista-t-il.

- Le Bâtiment Noir est très dangereux, mon garçon !  

- Il est arrivé en même temps que moi. 

- Le Batiment Noir a volé mon Louis ! s’exclama-t-elle avec force. 

Chapardeur, qui s’était endormi en boule à côté de sa maitresse, se redressa d’un bond, surpris par la virulence de la vieille dame. Il descendit du fauteuil pour monter à l’étage, tandis qu’un nouveau silence vint prendre place dans la pièce. Anatole sut qu’il touchait là à un sujet extrêmement sensible et qu’il était malvenu de continuer la discussion, mais il avait absolument besoin de savoir. 

- Votre mari est mort à cause du Bâtiment Noir ? 

La vieille Anaïs vrilla le regard en direction du jardin et dissimula un instant son visage derrière l’une de ses mains. 

- Oui, dit-elle la voix chevrotante. 

Puis, elle réajusta son tablier et afficha un sourire forcé à son invité improviste. 

- Le Bâtiment Noir est comme une sirène, mon garçon, expliqua-t-elle. Il apparait de temps à autre, en haut de cette colline, et alors, à chaque fois c’est pareil : certaines personnes ressentent cette profonde et inexplicable attirance pour lui, comme un phare illuminant une voie sombre. Mais ce n’est qu’une chimère, mon garçon. Lorsqu’une personne entre à l’intérieur, on le retrouve sans vie peu de temps après.  Puis le bâtiment disparait comme il était venu, ayant accompli son œuvre.  Ca c’est passé ainsi à chaque fois… ca c’est passé ainsi pour Louis.

- Mais comment un bâtiment peut-il apparaitre et disparaitre ? interrogea Anatole interloqué. Ca n’a pas de sens ! Un bâtiment ne bouge pas ! 

Pour Anatole, la sénilité de la vieille dame ne faisait plus aucun doute. Néanmoins, il vit un rapprochement évident entre les propos qu’elle tenait et ce que lui avait dit Premier lorsqu’il l’avait accompagné jusqu’à la grande place. De toute évidence, l’endroit abritait un fou dangereux qu’il était préférable d’éviter.  

- Eh bien celui-ci en est capable, mon garçon, rétorqua la vieille Anaïs avec certitude. Et d’ailleurs… Lorsque ton corps sans vie à été retrouvé, nous avons été beaucoup à penser dans un premier temps que tu en avais été la victime toi aussi. Mais le bâtiment était toujours debout, menaçant, et ça, c’était étrange. Il ne l’avait jamais fait. Maintenant que tu es de nouveau parmi nous… nous savons que ce n’était pas le cas. Tu as probablement été victime d’autre chose. 

- Pour en avoir le cœur net, fit Anatole, le mieux serait que j’aille voir par moi-même ce qui s’y passe. Peut-être même que je retrouverai ma mémoire… 

- Tu n’as rien écouté de ce que je viens de te raconter ! pesta la vieille dame. Personne n’en revient, ne fais pas l’idiot. Mon mari aussi, pensait pouvoir lui résister. 

- Mais c’est un bâtiment ! répliqua Anatole. Juste un bâtiment !  

- Et alors ? 

- Et alors… je sais pas, c’est stupide ! Il doit y avoir quelqu’un là-bas, quelqu’un qui sait ! 

- Tu recommences, mon garçon ! gronda la vieille Anaïs. Ne sois pas si condescendant ! Il n’y a personne là-bas ! Je te l’ai dit, ce village n’est pas ordinaire et il y a un tas de choses que tu ignores sur cet endroit ! Ce serait une grosse erreur de ta part que de te croire plus malin que tout le monde. 

Il n’y avait rien de menaçant dans le ton qu’employait la vieille dame, mais il y avait une profonde tristesse qui se ressentait avec une telle force qu’Anatole en eut mal au cœur. Il commençait à s’en vouloir d’avoir ravivé une telle douleur.

- Dans ce cas... dit-il lui aussi avec douleur, sentant les larmes lui monter aux yeux, expliquez-moi… 

- Je pense que tu devrais t’en aller, mon garçon.  


Elle ne voulut rien savoir de plus. 


*

  

Anatole sortit de la maison de la vieille Anaïs avec un mal de ventre naissant. L’échange qu’il venait d’avoir avec la fleuriste l’avait profondément chamboulé : il était surprenant de voir ce que l’on pouvait apprendre simplement en traversant une rue, mais ce qu’il avait appris n’était pour lui qu’une succession de non-sens.  Il posa sur les habitations un regard différent, car elles prenaient pour lui non plus l’apparence d’un petit havre de paix aux traits british, mais celle d’une vaste supercherie orchestrée par des illuminés. Comment son ancien lui avait-il pu se laisser entrainer dans un tel communautarisme démentiel ? Il n’arrivait même pas à trouver le mot adéquat pour décrire ce qu’un rapprochement d’amnésiques chroniques était à ses yeux. Pourquoi ne pas bâtir un village pour accueillir tous ceux qui mangeaient vegan ? Ou pour toutes ces personnes qui étaient agacées par la télévision ? Malgré les remontrances de la vieille Anaïs, Anatole n’en démordait pas : c’était idiot. Et puis il y avait aussi… 

Tournant la tête, son regard se posa sur une silhouette sombre, visible au loin : celle du Bâtiment Noir. Selon Jules, ce bâtiment s’était dressé en haut de sa colline le lendemain de son arrivée au village. Selon la vieille Anaïs, il poursuivait les gens jusqu’à ce que quelqu’un meurt. Etait-il possible qu’il soit venu pour lui ? Lorsqu’Anatole le regardait, il lui arrivait de percevoir comme des chuchotements presque inaudibles ; il avait cru jusque là que sa fatigue lui jouait des tours, mais ses certitudes commençaient à faiblir. Et si la vieille Anaïs disait la vérité ? Les habitants avaient apparemment écarté l’hypothèse que sa mort eut un lien avec celui-ci, parce qu’à l’ordinaire, il « disparaissait » lorsque sa tâche était accompli.  Mais Anatole était revenu… le Bâtiment Noir l’avait-il pressenti ? Avait-il su qu’il n’était pas encore véritablement mort ? 

Anatole frissonna de terreur. Il était vrai que depuis qu’il l’avait aperçu, il ressentait une forme de fascination pour celui-ci et n’avait pour seule envie que d’aller y jeter un coup d’œil. Cela faisait deux jours que Jules tentait de l’en dissuader, mais ce que l’inventeur et la vieille dame lui avait dis le confortait plus encore dans l’idée qu’il y trouverait des réponses sur sa soi-disant mort.  Ce conflit interne entre attirance et répulsion provoquait en lui une profonde indécision. 


Décidé à raconter à Jules ce qu’il venait d’apprendre, Anatole traversa une nouvelle fois la rue. Sa colère contre l’inventeur en herbe avait désormais disparue :   ce n’était pas tant à Jules qu’il en avait voulu qu’à lui-même. Cela le rendait particulièrement malade d’être incapable de se souvenir et il se découvrait un tempérament d’impulsif. C’était comme s’il avait été quelqu’un à qui tout avait réussi dans le passé, comme s’il avait toujours su quoi faire ou quoi dire et que, pour la première fois, il se retrouvait face à une série échecs. 


- Je m’excuse pour tout à l’heure, dit Anatole une fois face à Jules, je n’ai pas été très juste avec toi.

Celui que les habitants surnommaient Léonard avait bien avancé et ses morceaux de ferrailles assemblés commençaient à fortement ressembler à l’armature d’un vélo. Néanmoins, il s’affairait désormais à étudier le mécanisme d’une montre à gousset, un petit outil en acier à la main et un étrange casque sur la tête qui lui permettait de garder en permanence une loupe devant ses yeux. 

- Ca n’fait rien, lui répondit Jules d’un ton si vague qu’il sembla évident qu’il n’en pensait pas un mot. 

Penché sur son œuvre, il ne daigna pas lui adresser un regard. Anatole hésita, puis reprit avec précaution :

- J’ai un peu mon sang froid…

- On peut dire ça, oui, rétorqua son hôte en continuant de trifouiller l’horlogerie.

- Mais tu dois savoir ce que s’est… après tout. 

Cette fois-ci, Jules s’arrêta net. Lorsqu’il tourna la tête en sa direction, Anatole vit un gigantesque œil bleu le scruter au travers de la lentille grossissante de son appareil. 

- Que veux-tu dire ? demanda-t-il d’un air intrigué. 

- Toi aussi, tu as été amnésique, affirma Anatole, je me trompe ? 

- Non. 

- Non quoi ? 

- Non, tu ne te trompe pas, répondit Jules d’un air agacé. 

- Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? interrogea Anatole en ignorant la mine boudeur du garçon. 

- Tu ne me l’as pas demandé, lui fit remarquer ce dernier. 

- Mais évidemment ! Comment voulais-tu que je songe à poser une question pareille ?! s’indigna Anatole qui commençait déjà à oublier qu’il était venu pour s’excuser. 

Jules fit le choix du silence, comme pour signifier à Anatole qu’il ne continuerait pas la conversation s’il criait à nouveau sur lui. Anatole souffla un grand coup pour essayer de contrôler ses humeurs. 

- Vous l’avez tous été, reprit-il d’un air plus accusateur que prévu. 

- Qui te l’a dit ? demanda Jules. 

- La voisine, en face. 

- Je ne te l’ai pas dit parce que cela ne me semblait pas important, avoua Jules. 

- Pas important ?! s’exclama Anatole. Cela fait deux jours que j’essai de comprendre pourquoi je n’ai aucun souvenir ! Comment cela pourrait-il ne pas être important ? 

- Ca n’a rien à voir ! rétorqua Jules dont la voix commençait à s’élever également. Nous avons tous oublié notre vie d’avant, mais toi, c’est différent ! C’est la vie que tu as eu ici, au village, que tu as oublié ! Et ça, ça c’est peu commun… et puis, dois-je te rappeler que tu étais mort de surcroit ? Non, crois-moi, tout le monde sait parfaitement ici que ton cas est tout sauf ordinaire ! Donc non, ce n’était pas important ! Ce qui l’est, c’est ce qui s’est passé ces dernières semaines. 

- Et le Bâtiment Noir ? continua Anatole sans vraiment l’écouter. Tu t’es bien gardé de me dire, pour le Bâtiment Noir, hein ? 

- Tu me fais CHIER, Anatole ! 

Jules se leva brutalement et ôta de sa tête sa lunette improvisée. Furieux, il se dirigeait vers la sortie lorsqu’Anatole lui attrapa le bras. 

- Jules, attends ! 

Mais le garçon se libéra de son emprise d’un mouvement brusque. 

- Lâche-moi ! exigea-t-il. 

Décidé à ne pas le laisser s’en tirer ainsi et à obtenir des réponses, Anatole saisit son épaule gauche avec force et le retourna d’une grande puissance. 

- Non, tu restes là ! 

- Je t’ai dis de me laisser m’en aller, espèce de connard ! gronda Jules de nouveau. 

Anatole ne l’entendait pas de cette oreille. C’était bien trop facile de fuir ainsi, il lui devait des explications. Après tout, c’était bien lui qui était censé répondre à toutes ses questions, comme Premier le lui avait dit. 

Comprenant qu’il ne le laisserait pas partir ainsi, Jules eut une réaction inattendue et vint planter son poing droit dans la figure de son ancien ami. Sonné, Anatole lâcha son emprise et le garçon s’engouffra dehors. 

- Fais chier ! lâcha Anatole en reprenant ses esprits, une main posée sur sa mâchoire douloureuse.   


Anatole avait du mal à réaliser ce qui venait tout juste de se produire. Entre la vieille Anaïs, son chat et maintenant Jules, il semblait doté d’une capacité exceptionnelle à se mettre les gens à dos en quelques minutes. Qu’est-ce qui clochait chez lui ? 


Il lui semblait être plus seul que jamais.  




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