Matt

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Je la rattrape de justesse au moment où Lisa pousse un cri de surprise.

J'allonge la fille sur mon canapé et regarde mon amie.

- Ce n’est pas gagné!! Elle a besoin d'aide. Je ne peux rien pour elle. Appelle une ambulance et fait la admettre.

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée même si elle a besoin de soin et d'une aide psychologique. Mais pour le moment elle doit être rassurée sinon elle refusera. Et puis imagine que celui qui l'a séquestré la recherche. Si elle ne parle pas, on ne pourra pas l’aider pour la protéger.

Je soupire d'épuisement moral. Cette fille m'intrigue et j'aimerai bien savoir qui la enfermé, sauf que je ne pose jamais de question sur mes missions, c'est la règle, ma règle, celle qui m'a permis d'avoir la réputation que j'ai aujourd'hui et si je commence à fouiner, je vais m’attirer les problèmes.

Je dois voir Alex tout à l'heure, j'aviserai à ce moment-là. Il m'a vu embarquer la fille et en ce qui le concerne, je sais qu'il l'aurait laissé crever sur place. Je me tourne vers Lisa qui attend ma réponse.

- Très bien, elle reste mais fais lui une prise de sang pendant qu'elle dort. Tu lui fais un check-up complet et n'oublie pas les MST, je ne sais pas ce qu'elle a subit.

Cette idée me révulse mais on ne peut pas la mettre de côté. Lisa s'active durant l'inconscience de la fille. Je lui prépare un café en attendant.

Nous patientons vingt bonnes minutes avant qu'elle ne se réveille. Elle se met en position assise, regarde son bras affublé d'un pansement et me fixe avec des yeux interrogateurs. Au moins elle me regarde.

- Je t'ai fait une prise de sang pour vérifier que tu vas bien. Ne t'inquiète pas. Dès que j'ai tes résultats je te les apporterai. Lisa lui parle doucement pour la mettre en confiance mais c'est moi qu'elle regarde encore. J'ai rarement vu des iris pareils.

J'observe ses traits de visage et si on enlève cet air apeuré et en colère, elle est vraiment jolie. Quand ses cheveux seront coiffés elle le sera encore plus. Ses yeux prennent une place immense, son nez légèrement retroussé et une bouche charnue. En fait, elle n'est pas juste jolie, elle est belle et je n'arrive pas à détourner le regard d'elle.

- Tu veux bien me dire comment tu t'appelles? Je tente ma chance une fois de plus et je reste ébahi quand ses lèvres se mettent à trembler, remuer. Elle essaie de sortir un son mais elle hésite. Depuis quand n'a-t-elle pas parler? Puis sa voix enrouée se fait entendre.

- Em.... Emma. Je ne peux que sourire à l'effort incommensurable qu'elle a produit.

- Bonjour Emma. Je suis Matt et voici mon amie Lisa.

Mon amie sourit à son tour, c'est une petite victoire, nous en avons bien conscience.

- Tu peux la coiffer avant de partir? Je ne suis pas très doué pour ce genre de truc. Lisa éclate de rire, surement qu'elle m'imagine, moi et ma carrure d'assassin avec une brosse à cheveux dans les mains.

Elle accepte volontiers et Emma se laisse faire en silence. Elle donne l'impression qu'auparavant quelqu'un d'autre se chargeait de ça et rien que cette idée me dégoute.

Tout en démêlant sa tignasse récalcitrante, Lisa lui parle doucement.

- Je t'ai apporté des vêtements à moi. Tu peux les garder si tu veux, je ne rentre plus dedans de toute façon et dès que j'ai tes résultats, je reviendrais te voir. Tu es d'accord? Emma acquiesce de la tête. Les mots ne sortent pas naturellement pour elle.

Après le départ de Lisa, je me retrouve seul avec Emma. Ce prénom lui va bien. Les cheveux démêlés, elle les regroupe pour les caler sur son épaule les ramenant devant elle. Je m'approche, m'assoie sur la table basse pour lui faire face. Ses yeux ne me fuient plus et je me perds à la contempler, elle fait pareil. Ses iris me fixent, me scrutent, me sondent et je fais pareil tentant de trouver des réponses dans son regard. J'imagine tout ce qui peut lui passer par la tête, ses interrogations, ses angoisses. J'attrape ses mains, lui caresse les paumes avec mes pouces pour la détendre, ça fonctionne.

- Quel âge as-tu? Je m'aventure à en savoir plus. Elle secoue la tête complètement perdue. Ma question la désarçonne, je le vois bien. Mais j'attends, patiemment. Sa tête pivote de gauche à droite, elle lève les yeux au ciel cherchant des réponses. Et puis l'impensable...

- Je.... Je ne sais pas. Sa voix est à l'image de sa beauté, un doux chant agréable à écouter, quoique toujours légèrement enrouée.

- Sais-tu quel jour nous sommes? Sa réaction est immédiate, un non de la tête. Bon sang, son ravisseur l'a complètement égarée dans le temps et l'espace. Enfermée dans le noir sans savoir si c'est le jour ou la nuit, sans pouvoir compter les jours qui défilent. J'inspire profondément car je sais que quand je vais lui révéler la date d'aujourd'hui, elle prendra pleinement conscience de sa période de séquestration. Je m'en veux d'être celui qui va la bouleverser.

- On est le 11 janvier 2020. Ce que je craignais se produit instantanément, le regard dans le vide, elle calcule et ses yeux s'emplissent de larmes. Je pose ma main sur son visage et essuies celle qui roule sur sa joue.

- 22. Puis elle éclate en sanglot. Mon cœur se serre, saigne pour elle. La vérité la bouleverse. Je l'attrape et la ramène sur mes genoux pour l'enlacer. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Je ne fais pas dans la tendresse d'habitude et encore moins avec une nana. Elle s'accroche à moi et déverse son chagrin dans mon cou.

- Ça fait combien de temps? Je crains la réponse, la colère s'investie sous chaque pores de ma peau. Un frisson remonte dans mon dos. J'ai peur de sa réponse et c'est entre deux sanglots que les mots jaillissent de sa bouche.

- 1 an.....

Putain!!! Un an. Une année de cauchemar, de coups, d'humiliation, de privation, de torture... J'enrage intérieurement parce que je ne peux pas lui faire ressentir cette haine qui s'est infiltrée dans mon corps. Je ne veux pas l'effrayer d'avantage. Je resserre l'étau de mes bras sur elle, je niche ma tête dans son cou, comme elle le fait avec moi. Je la respire, elle se laisse faire. Je partage son chagrin et une idée surplombe toutes mes pensées. La venger.

Comme j'aurai aimé que quelqu'un vienne me sauver, me sortir de cet enfer que mon père me faisait vivre.

Nous restons longtemps ainsi à prendre la force de l'autre, soulager la peine ou la peur de l'autre. Nous n'avons pas besoin de mot. De toute façon, Emma ne dira rien de plus, je le sais et de mon côté, je n'aime pas parler pour ne rien dire. Cette étreinte suffit. Elle a besoin de moi pour comprendre et la réconforter, j'ai besoin d'elle pour me calmer.

Je me redresse, Emma toujours dans mes bras et la pose sur une des chaises autour de la table. Elle s'essuie le visage.

- Il faut que tu manges mais promet-moi d'y aller doucement. Elle me fait un signe de tête.

Je sors tout ce que j'ai dans le frigo. Je ne sais pas de quoi elle a envie ni ce qu'elle aime. Pendant qu'elle grignote des toasts avec de la confiture de myrtilles je prends mon portable et appel Alex.

- Tu viens à quelle heure? Me dit-il sèchement.

- Dans une heure comme prévu.

- T'as fait quoi de la fille? A ce moment une seule idée me traverse l'esprit... mentir. Curieux comme réaction car Alex est mon ami depuis longtemps. Mais le ton de sa voix ne me plaît pas du tout, il est inquisiteur. C'est lui qui m'a mis sur cette mission et je suppose donc qu'il en sait plus que moi et c'est justement ce qui m'inquiète.

- Je l'ai lourdé devant l'hosto.

- Parfait, on se voit dans une heure!

Emma me scrute, elle ne comprend pas ce que je viens de dire. Je dois la rassurer à tout prix. Elle a fait beaucoup d'effort et si je veux qu'elle continue, je dois lui dire la vérité.

- Je me méfie. Je préfère que personne ne sache que tu es là, avec moi. Je ne veux pas que tu ais peur et moins de gens sauront que tu es ici plus tu seras en sécurité.

Son regard vacille. Elle pense beaucoup et ses idées se mélangent. Je ne peux pas la laisser dans cet état alors je m'approche d'elle et prends ses mains dans les miennes.

- Tu es en sécurité ici mais tu es libre aussi. Je ne te séquestre pas, la seule chose que j'attends de toi c'est que tu ailles mieux, fais ce que bon te semble. Regarde la télé, lis, dors, chante, danse. Peut m'importe mais soit libre. Exprime toi comme tu l'entends et je te promets que je vais t'aider à reprendre le cours de ta vie mais pour le moment, je n'ai confiance quand Lisa et je pense que ce n'est pas prudent que tu sortes d'ici. Tu comprends?

- Oui... J'adore l'entendre, sa voix coule comme du miel liquide sur ma langue, douce et sucrée.

Tu divagues mon gars.

- Très bien. Je vais devoir m'absenter. Je dois livrer un colis mais dès que mon rendez-vous est terminé, je rentre. Tu ne seras pas seule longtemps, je te le promets. Tu peux rester seule un moment?

Elle me fixe cherchant l'entourloupe mais je ne lui mens pas et elle s'en rend compte rapidement. Elle hoche la tête et une seconde après, elle se jette dans mes bras.

Je ne l’ai pas vu venir celle-là ! Mais je m'enivre de son odeur, de la confiance qu'elle m'accorde. Je ne comprends pas son geste et faut avouer que je ne suis pas habitué à ça mais je n'arrive pas à la repousser même si je ne suis pas à l'aise avec autant d'effusion. Si elle savait ce que je fais dans la vie, elle me fuirait, mais pour le moment la chaleur de sa peau réchauffe mon corps et panse mes plaies lointaines qui viennent de ressurgir.

Je suis dans un sacré merdier.

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