Lettre à une amie.
Ma chère Mélanie
Jusqu'à ce vendredi nous avions en commun de parler allemand, toi aussi brune que je suis blonde, toutes les deux enseignantes toi dans le second degré moi au primaire. Assises toutes les deux autour d'une table, un soir de mai 2018, en réunion, moi nouvellement arrivée et toi investie depuis longtemps. J'ai fait ta connaissance et nous avons déjà vécu quelques bons moments, faits d'échanges et de sourires.
Et te voilà frappée par une tragédie épouvantable, une atroce injustice que je connais hélas très bien. A la seconde où j'ai lu ton message, et je sais que je fus très très maladroite et confuse, j'ai revécu en un éclair tant de choses et cela m'a bouleversée.
« Mutter Courage » je le suis devenue en 2009 et te voilà en train de le devenir.
Depuis vendredi, je pense beaucoup à toi et à tes deux petits bouts de choux privés de leur papa.
Quand on se couche le soir, quand on se réveille le matin, prêt à entamer une nouvelle journée, on ne peut pas s’imaginer que l’accident peut survenir et fracasser notre bulle de bonheur. Rien ne nous prépare à ces deuils, rien ne nous prépare aux questions auxquelles on devra répondre pour nos petits. On met des enfants au monde avec un homme qu’on a choisi, qu’on aime, et ce n’est pas juste que la vie nous l’arrache et laisse nos petits grandir sans un père. Ça arrivait avant, c’est arrivé à d’autres, mais quand ça nous arrive à nous, on passe par tous les états. Ça met en colère, ça nous plonge dans un désarroi indescriptible, ça fait tellement mal.
Oui, je pense à cette douleur immense qu'on ressent quand la vie nous prend un compagnon, un amour, un partenaire, quand la vie nous arrache celui à qui on a uni sa vie et qui a fait de nous des mamans.
Je sais le goût des larmes versées sur un oreiller, à côté d'un oreiller qui ne sera plus jamais froissé par l'autre.
Mais je sais aussi que la souffrance ne se mesure pas, elle se vit, elle se ressent, chacun à sa façon... de manière très intime. Tu avanceras, comme tu pourras, parce qu’on avance, comme on peut, tu te surprendras à regarder le ciel, en y trouvant une étoile qui brillera d'une façon particulière, tu souriras peut-être en contemplant le calme de l'eau d'un lac ou la blancheur des sommets, en sachant au fond de toi qu'il est là, quelque part. J’ai si souvent envie de croire que Yves est près de moi, et j’ai pu souvent ressentir sa force et son amour, et je sais que Christian continuera de veiller sur toi, sur Antoine et sur Clément. Et en écrivant cela, je pense aussi tout de suite à toutes ces fois où je disais « Yves j’ai besoin de toi » et où les enfants disaient « c’est pas juste, papa, il nous a abandonné ». Et j’accueillais leur colère, leur désarroi et je les serrai fort dans mes bras. J’ai traversé 10 années de ma vie sans lui, et je ne compte plus les jours où un mot, une odeur, une date, un lieu faisaient remonter un flot de souvenirs, ça rappelait la cruelle vérité de l’absence, l’indicible détresse dans lequel nous avions été plongés.
Mélanie, je puise dans ce que je suis et dans ce que j’ai vécu, pour t’écrire ces quelques mots, comme tant l’ont fait en 2009. J’ai souvent relu leurs messages et ils m’ont fait tant de bien. Ce n’était pas des mots de pitié, c’était des messages tendres et bienveillants, des mots d’amour, des mots d’amitié. Je sais que tu seras entourée de tendresse, de bienveillance, et que quelqu’un, plusieurs fois, prendra soin de toi et de tes enfants.
J’ai avancé, j’ai continué, j’ai essayé et je sais que tu vas avancer, que tu vas continuer et que tu vas essayer. Un pas à la fois, ne pas faire plus qu’on ne peut en faire, demander de l’aide à celui qui est passé de l’autre côté ; puiser dans l’amour qu’on avait pour lui la force d’avancer. Ou alors juste patienter et laisser les larmes couler. La musique m’a toujours accompagnée, des mélodies douces, des textes poignants savaient et savent encore si souvent mettre du baume sur mon cœur cicatrisant. Les mots aussi ont ce pouvoir d’adoucir les peines, lire, écrire, ou simplement parler, parfois, ça fait du bien. Je serai disponible pour toi, si je peux faire quelque chose, te soutenir.
J’ai été soutenue par une psychologue, qui a tant de fois ramassé mes larmes et mes doutes et qui m’a aidée à sourire et à avancer, j’ai vu mes collègues entourer les enfants, répondre à leurs questions, faire dessiner l’indicible.
Je t’embrasse bien fort.
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