Chapitre 13.5
Dans la tête (et le portable) d'Oscar.
« de : Luigi
message : Yo mec, tu vas bien ? Tu te remets de tes abus ? »
« Oscar
Bof. Horrible. »
« Luigi
Je comprends pas, t'avais à peine bu un verre que t'étais déjà bien allumé ! Tu tiens de moins en moins l'alcool ! »
C'est ça ouai... à peine un verre, ce n'était que l'iceberg !
« Oscar
Fatigue. Dis, tu me rafraîchis la mémoire sur la soirée, steup ? J'ai un gouffre de quelques heures... »
« Luigi
J'ai réussi à pécho la blonde qui bosse dans la botanique. Trop facile. J'aurais pu avoir sa cousine avec, si j'avais été en forme »
« Oscar
Je m'en tamponne, de ça, mec ! Je te parle de moi, putain ! »
« Luigi
Oh, ça va ! Tu t'souviens vraiment vraiment pas, mec ? Et au fait, Alix, elle fait encore la gueule ? »
« Oscar
Bah elle est distante. Et je ne sais pas pourquoi ! »
« Luigi
Parce que t'as été un champion XD ! T'as saoulé Alix, belle perf ! Tu réussis encore à me surprendre, même après 20 ans d'amitié »
« Oscar
La ferme ! Raconte, au lieu de faire le mariole ! »
« Luigi
Alors : tu t'souviens qu'on jouait ? On misait nos verres ? Tu paries ou tu bois ? »
« Oscar
Oui, oui. Formidable ! T'as vraiment un don pour les idées connes, toi ! J'ai pas dû parier beaucoup, vu la gueule de bois de ce matin ! »
« Luigi
T'as quand même relevé mon défi ! »
« Oscar
Et c'était quoi ? C'est à cause de ça qu'Alix fait la gueule ? Putain, qu'est-ce que j'ai fait ? »
« Luigi
J'ai lancé « Tu demandes Alix en mariage ou tu bois » ! HA HA HA, tu l'attendais pas, celle-là ! Je suis fier de moi, sur ce coup. Tout le monde était chaud sur ta réponse ! »
Quel putain d'abruti. Je ne vois pas laquelle des deux solutions Alix aurait pu préférer.
« Oscar
Et j'ai fais quoi ? »
« Luigi
Alix t'a supplié de ne faire ni l'un ni l'autre. Que vous alliez dire au revoir à tout le monde et rentrer, parce que t'avais beaucoup trop bu et qu'elle ne savait pas comment elle allait te faire monter les trois étages dans ton état. »
« Oscar
Pitié, dis-moi que j'ai dit au revoir ! »
« Luigi
Crétin. Tu t'es mis à genou. »
Maldita de puta de mierda de... Brillantissime, Oscar ! T'as raclé le fond ! Je suis resté hagard sur le dernier message de mon meilleur pote. J'espérais déchiffrer autre chose à la douzième lecture, mais... non, non. Y'a pas à chercher d’échappatoire : tu as été l'empereur des minables, hier soir.
« Luigi
Ah, au cas où tu te poses la question, elle t'a répondu "t'es trop con, Oscar" et elle s'est barrée. C'est moi qui t'ai ramené. Allez t'inquiètes, j'suis sûr que tu sauras rattraper le coup ! Tu l'as dans la poche, ta francesita ! »
Mouai, tu parles… Le pardon inconditionnel, je le mets sacrément à l'épreuve, depuis Septembre. Ça s'appelle jouer avec le feu. Je danse une polka dans un barbecue, à ce niveau.
J'inspire grandement. Après les conneries, vient le temps des excuses.
- Alix, je sais que je t'ai déçue hier. Je n'aurais jamais dû faire ça.
Elle me dévisage.
- Je croyais que tu n'avais pas de souvenirs d'hier ?
- J'ai des rapporteurs pour m'aider à recoller les morceaux.
- Ah.
Je perds le contact visuel. Elle louche sur la table du salon. Je la trouve triste. Merde ! Dis quelque chose, Oscar, vraiment ! C'est indispensable, là !
- Alix, tu sais... J'ai fait n'importe quoi, mais dans le fond... c'était peut-être pas totalement...
Elle relève le nez, fronce les sourcils. Ah, ok : mauvais trajet. Fallait pas suggérer l'idée de transformer l'idiot en sérieux, apparemment.
— Qu'est-ce que tu insinues, au juste ?
Braque, Oscar. Demi-tour au frein à main.
— Euh... Quand... On va à Covadonga, cette semaine ?
Yeux ronds comme des soucoupes. Elle reste ahurie sur ma phrase. Je lui chante une mélodie dont elle ne comprend pas le tempo. Arg ! J'en ai marre, d'ajouter des lignes à mon CV de nullité !
— Pourquoi tu me parles subitement de balade ?
— J'ai envie d'y retourner avec toi.
C'est que, j'ai peut-être une idée... Je pourrais faire une demande digne de ce nom devant les lacs. C'est bien, ça, non ? Et elle pourrait, éventuellement, j'en porte l'espoir, envisager de... dire oui ?
Elle soupire longuement.
- Oscar, je vomis à n'importe quel moment de la journée et sans déclencheur apparent, j'ai mal partout, et je suis fatiguée... Je ne crois pas qu'une heure trente de voiture, des routes de montagne escarpées, et une randonnée soit le meilleur des programmes pour moi. Je suis désolée... Peut-être plus tard ? Ils disent que les vomissements passent après le premier trimestre...
- Oui, bien sûr. Excuse-moi, j'ai pas réfléchi.
Ben oui. Si tu avais un minimum d'attention envers elle, l'évidence t'aurait sauté aux yeux. Mais une fois de plus, tu penses qu'à ta gueule, Oscar. T'es nul, nul, nul, putain !
— On en reparlera plus tard ? Ils disent que les vomissements passent après le premier trimestre...
Oui, enfin... En Décembre ou Janvier, sous les neiges hivernales ? J'emmène pas une femme enceinte faire de ski alpin, moi !
Elle me sourit tristement. Elle a l'air navrée – quel comble ! Elle murmure un second « désolée », et je ressens – enfin ! – la nécessité, vitale, de me reconnecter à elle. J'ouvre mes bras et la laisse s'y blottir. Elle ne se fait pas prier – même, on dirait qu'elle n'attendait que ça. Depuis combien de temps en a-t-elle besoin, en réalité ? Je savoure son corps qui se moule au mien, sa chaleur qui irradie, ses cheveux fous contre ma joue. Et, d'un coup, pour la première fois depuis des semaines, je me sens bien. Parce qu'elle est là. Avec moi.
- Alix ?
- Oui ?
- Je t'aime.
- Ah ! Ça faisait longtemps. ... Ça me manquait un peu. Beaucoup, en fait.
Je la serre un peu plus. Je n'ai plus envie de la lâcher. On va le faire, hein ? On va le faire ensemble, et ça ne sera même pas une montagne. Juste une toute petite colline, trop facile à gravir.
- … Et donc, ça sera un garçon ?
- Oui.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Je le sais, c'est tout. Il aura des cheveux bruns, et il fera du tennis avec toi. Avec une raquette rouge.
- Ah. Eh bien... d'accord. … C'est marrant, ma première raquette était rouge.
- Ah ! Tu vois. C'est un signe.
Elle réussit deux exploits. Le premier, de me décrocher un sourire sincère. Le deuxième, de me projeter, pour la toute première fois, dans ce genre de futur. Il se pourrait même que je trouve cela, effectivement, amusant.
❝
it is a long way from home
wind from the west
dances with a storm
i see cliffs and clouds
sun at the back
i don't need a house
there's a shelter in your arms
we'll be strong if we stay together
we'll be strong if we love each other
we'll be strong if we stay together
we'll be strong if we love each other
❞
Long way from home - Hugo Barriol, 2023

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