Chapitre 16.1

4 minutes de lecture

Oviedo, Juillet 2008.

Oscar.

 Affalé sur le divan, ça doit bien faire une heure que je regarde la piscine. C’est comme si j’espérais qu’Alix et Andreas en surgissent en criant « Surprise ! T’as eu peur, hein ? ». Comme si oui, bien sûr qu'elle était d’humeur à faire des blagues.

 En soi, on pourrait dire qu'elle l’est. Vider la maison d’une partie de ses affaires et disparaître avec Andreas sans laisser ni mot, ni adresse, ni possibilité de l’appeler, c’est une surprise à laquelle je ne m’attendais pas. Pas que j’eusse imaginé des retrouvailles dans la joie, évidemment, mais simplement de les voir. Franchir la porte et réaliser leur absence, découvrir nos photos dans un sac-poubelle dans l’entrée, constater le dressing et la salle de bain épurés de ses effets personnels, ça m’a foutu une sacrée claque. C’est une matérialisation de mes actes que je n’avais pas pronostiquée. De toute manière, je n’anticipe plus grand chose depuis des mois. Ma vie va plus vite que moi, je ne fais que courir après désespérément. Je rêve de trouver le bouton « pause ». Oui, me poser, c’est tout ce que je demande. M’asseoir, être seul, faire le vide. Réfléchir à nos fameux problèmes. Prendre du temps pour dissiper mes incertitudes.

 Parce que des doutes sur cette vie infernale que je mène, j’en ai plein. Ça, Raquel l’a bien perçu. Elle s’est engouffrée dans une brèche que je n’ai pas réussi à colmater. Elle est venue comme un baume, le genre de truc qui apaise et sent bon, et elle a adouci le mal. Je n’ai pas eu la vigilance de l’arrêter. Je me suis laissé emporter par la légèreté de ses soins. Trop con, Oscar, t’es beaucoup trop con.

 Alix m’a offert sur un plateau la possibilité de stopper l’hémorragie, l’autre jour. Pourquoi j’ai paniqué comme ça ? Pourquoi j’ai posé cette bombe au milieu de nous et l’ai observé exploser, impassiblement ? Pourquoi j’ai détruit l’œuvre dont nous étions les joyeux héros ? Qui avait envie de cette séparation ? Pas elle. Pas moi non plus.

 Depuis quatre ans, Alix est ma boussole, ma lumière, ma partenaire, mon évidence. Bien sûr, parfois, elle me file le tournis avec ses idées saugrenues. Il faut du souffle, pour traverser la vie aux côtés d’Alix Lagadec. J’étais un peu à bout d'haleine, depuis quelque temps. Pas de sa faute, mais c’est elle qui a payé. Comme un con, j’ai choisi d’abandonner la course plutôt que simplement m’arrêter sur l’accotement pour respirer. Elle a piqué un sprint, elle. J’ai plus qu’à cavaler derrière, maintenant.

 Pourtant, c’est complètement ce que je comptais faire. Aujourd’hui, je voulais m’excuser, ramper à ses pieds, la supplier de me pardonner. J'étais prêt à accepter sa proposition d'habiter à Barcelone, faut essayer après tout. Puis, si ça marche pas, bah ma foi… Peut-être qu’il sera temps de mettre un terme à ce boulot qui me bouffe mes heures et mon énergie. J’avais prévu de lui garantir qu’il n’y a qu’elle, qu’il n’y a toujours eu qu’elle. Que l’autre fille m’avait peut-être foutu le doute, mais que je m’en tamponne, qu’il ne s’est absolument rien passé, qu’il n’y a jamais eu le début d’une envie de quoi que ce soit avec qui que ce soit. J’étais bien décidé à parler, oui, enfin ! J’avais espéré que la retrouver m’aiderait à ordonner le boxon complet de ma vie. Dans un sens, elle m’a aidé, oui : y a plus rien à mettre en ordre, puisqu’il n’y a plus rien, littéralement. Ah ! M’asseoir, être seul, faire le vide : je vais pouvoir le faire à loisir. Bravo ! Merveilleux ! Je suis terrifié des conclusions qui s’imposeront à moi.

 Je tourne et retourne dans mes mains un camion de pompier à la sirène stridente. Ça fait partie des trucs qu’Alix a laissés. Ce fourgon, la tour de cubes, les animaux en bois, la peluche de vache asturienne à l'oreille déchirée… Elle n’a rien opéré au hasard. Les jouets qu’elle a abandonnés ici sont soit les machins trop volumineux, soit mes cadeaux. J’ai tenté d’éviter le cliché du père absent qui couvre son fils de présents pour adoucir le manque qu’il trace derrière lui. « À deux ans, il s’en fiche de tes babioles » m’avait répliqué Alix. Il veut juste m’avoir avec lui. Quand je suis à Oviedo, j’essaie de lui consacrer tout ce que je peux. Je le réveille, je le lève, on mange ensemble, on va se promener, on joue, on cuisine, je le baigne, je lui lis une histoire, deux histoires, trois histoires, je le couche, et il s’endort, sa main dans la mienne. Je l’emmène en vadrouille dans la ville, on va voir la mer, on va voir les lacs, on va au parc, on passe du temps avec ma famille, parfois même on va voir la montagne un peu lointaine. Je l’ai conduit et récupéré plusieurs fois à la crèche, nous sommes allés chez le docteur pour sa troisième otite, j’ai choisi ses nouvelles chaussures d’été. Certes Alix gère la plupart des trucs du quotidien, mais les pauvres petits jours où je suis là, je prends tout ce qu’il y a à prendre avec lui. C’est trop peu, oui, je sais ! Moi le premier, j’enrage de le voir si rarement. Ce gamin est un rayon de soleil, et dans la brume actuelle de ma vie, c’était la seule lumière qui demeurait. Elle est où, ma lumière, aujourd’hui ?

 Affalé sur le divan, c’est peut-être la piscine qui me regarde. « T'as l’air d’un con » semble-t-elle me dire. Un long soupir m’échappe. Putain, Alix… N’aurais-tu pas pu m’offrir le cadeau d’un peu de raison, pour une fois, une seule petite fois ?

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