Chapitre 17.2
Oviedo, Janvier 2009.
Oscar.
Je regarde à l’infini les six photos que j’ai reçues par courrier ce matin. J’imprime chaque détail dans mon esprit, caresse le papier brillant, je ferme les yeux. Je m’imagine presque caresser sa joue. Je n’ose pas embrasser les photos. Ce serait ridicule, non ? Alors, dans mes songes, je câline et j’embrasse l’esquisse de mon fils.
Lorsque j’ai décacheté cette enveloppe neutre, et que j’ai compris ce qu’elle contenait, j’ai fait une tête qui n’a pas échappé à Raquel. « Qu’est-ce que c’est ? T’es tout drôle ? Montre ! ». Elle m’a arraché le courrier des mains, a parcouru les quelques mots, et a conclu d’un « Ah » stoïque. Puis elle a rapidement passé en revue les clichés. « Il est mignon ! Il te ressemble ». Elle n’a pas remarqué que j’ai reçu ses mots comme des coups de poignard. J’ai eu envie de beugler de me les rendre immédiatement, mais j’ai bêtement attendu qu’elle daigne les reposer. « Ça va faire plaisir à tes vieux » qu’elle a ajouté. J’ai hoché la tête. Oh que oui. Ils en seront heureux. Enfin, autant que possible pour de simples photos. Elles n’effaceront pas l’absence, mais… elles combleront éphémèrement le manque. « T'auras qu’à leur donner ! Tu sais bien que moi, je ne veux pas de ça ici ». Je n’ai pas répondu.
Maintenant, je me suis isolé dans la chambre d’Andreas. Raquel ne viendra pas me chercher ici. Elle avait suggéré qu’on en fasse une salle de fitness. Elle n’avait pas compris pourquoi je m’étais énervé contre son idée. « On va pas garder la chambre d’un gamin qu’on voit jamais ! Ça te fait du mal, ces trucs de lui partout ! C’est pour ton bien que je le propose ! ». J’avais accepté qu’on refoule toutes les photos de lui, qu’on ôte ses couverts de la cuisine, qu’on dégage ses jouets du jardin, qu’on remise ses affaires restantes dans des cartons. Mais débarrasser SA chambre, non, hors de question. Elle n’en avait plus reparlé. Elle avait compris que le sujet “Andreas” était le seul truc indiscutable avec moi. On n’en discute donc jamais.
Discrètement, j’avais replié et rangé ses vêtements que je supposais trop petits, et j’en avais acheté d’autres à la taille supérieure. Ils attendaient sagement dans le placard. J’avais aussi donné certaines babioles de bébé, et regardé avec envie les rayons des plus grands. Je savais qu’il aimait les machins de constructions — j’absorbais tout ce que l’autre timbrée voulait bien me dire à son propos. Alors, j’avais acheté une boite de machins de construction. Elle était là, elle attendait. Tout attendait, dans cette chambre. Moi aussi, j’attendais.
Tout à l’heure, j’irais effectivement donner ces photos à mes parents. J’aurais aimé les avoir en double. Mais Raquel a sans-doute raison : je me ferais plus de mal que de bien à les garder sous les yeux.
Pour le moment, je les caresse encore. Qu’il est beau, mon petit garçon.

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