Chapitre 20.3

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Oviedo, Août 2011.

 Le soleil asturien me caresse la peau. Je l’aime toujours autant, celui-là. Trop timide en Bretagne, virulent en Méditerranée : ici, il concocte un dosage parfait pour profiter de ses rayons taquins sans le regretter. Paupières closes, je l’accueille sur mon visage détendu. Après l’énorme fiesta de la semaine précédente — j’ai célébré en grande pompe mon passage à la trentaine — reposer mon corps, mes pensées et mon foie est appréciable.

 La plage est fréquentée, Août oblige. Je zieute les autres touristes en manipulant le sable d’un geste machinal. Mon œil paresseux saute de scène en scène, jusqu’à s’arrêter sur le groupe que j’accompagne. Andreas et son père barbotent en compagnie de Lorena, ses filles et son mari. Inévitablement, mon esprit vagabond rembobine. La fête indécente, les abus en tout genre, et l’aura qu’Arnaud a eue sur mon entourage. Beau parleur, voix charmeuse, pas le dernier pour débattre, plaisanter ou danser – en fin de nuit, on a servi un spectacle collé-serré interdit aux mineurs, qui a achevé les reliquats de bienséance agonisants au milieu de ma fatigue et mes consommations diverses et psychédéliques. Exaltant, torride, savoureux. Le lit a couiné d’allégresse. Un anniversaire mémorable.

 On s’est quittés il y a trois jours, mais mon chéri me manque déjà. Faut l’avouer, je suis accro à ce pétillant Parisien, qui remet du goût sur ma langue amatrice d’épices. Sans avoir totalement fermé la porte à une nouvelle histoire d’amour, je n’avais pas imaginé être capable de redonner autant de ma personne et de mon cœur pour quelqu’un. Mais Arnaud est habile pour me montrer le chemin. L’herbe est verte et tendre sous mes foulées, et le son des orages semble, enfin, loin derrière moi.

 Une ombre m’extirpe de mes prés fleuris : Oscar, ruisselant, se laisse tomber à mes côtés. Il se sèche sommairement. L’éponge tamponne sa peau caramélisée, et un détail m’interpelle. Il est… différent, non ? Plus… massif ? Sculpté ? Oui, je rêve pas. Sous mon nez, en mouvement, son corps délesté de tissu m’illustre l’évidence. Depuis quand Oscar traîne une carrure pareille ? On pourrait réaliser une leçon d’anatomie musculaire sur ses jambes, compter les fibres sur ses biceps, utiliser ses abdos comme planche à découper, mourir de honte sous ses yeux incrédules…

 Oh. Merde. Oscar me fixe en train de le mater sans aucune pudeur. Je bredouille.

  • T’es… vachement musclé, dis donc. T’as pris du… volume… Enfin, je veux dire, t’es plus… large. Non, pas large, mais… ferme… Enfin, bon. Voilà.

 Re-merde. Tape ta réplique de lapine en chaleur ! En face, l’effet est immédiat : yeux ronds, teint écrevisse et mordillement compulsif de joue. Malaise quatre étoiles. Félicitations, Alix : la trentaine ne t’a pas été livrée avec le raffinement, de toute évidence.

  • J’sais pas… hésite-t-il.

 Pfeuh ! Mon gars, je suis parfaitement au courant dès que mon cul empoche un malheureux kilo et menace l’intégrité de ma garde-robe. Et toi, t’aurais pas remarqué la version XXL de tes cuissots ? À d’autres ! Je n’aurai pas l’outrage de reluquer son arrière-train, mais étant donné le potentiel de base, je serai curieuse de… Alix, voyons !

 Après un moment de latence, Oscar consent finalement :

  • C’est… le sport.

 Sérieux ? Réfléchir dix plombes pour me balancer la première des évidences ? Sans blague, c’est pas un coup de la fée marraine ? Dommage, je lui aurais bien chiné un ventre moins grassouillet, si t’avais son 06.

  • Mouai… Tu t’entraînais déjà pas mal. T’en fais plus qu’avant ?

 On gagne un échelon dans le malaise, visiblement.

  • Peut-être…
  • Raquel ne dit rien ?

 Totalement déstabilisé, le coco. Pour une banale histoire de temps de raquette en main. Décidément, la sensibilité d’Oscar ne change pas : j’ai l’impression qu’il s’évanouirait si je lui soufflais trop proche du visage. Et j’ai trouvé ça mignon ! L’assurance d’Arnaud me catapulte dans une autre galaxie amoureuse. Et de quoi je me mêle, moi, d’abord ? Je m’en cogne, des états d’âme de sa nana, non ? Grand bien lui fasse, si vivre avec un homme vaporeux ne la dérange pas.

  • Laisse tomber, vous faites bien ce que vous voulez.

 Mutique, il déplie sa serviette et se recouvre quasi intégralement. Salle d’exposition fermée, les visiteurs sont priés de bifurquer vers un nouveau sujet de discussion.

  • Cool que tu sois venue avec nous, tente-t-il.
  • Mmm. Merci de l’invitation.

 Lorsque j’ai déposé Andreas, dimanche, il a bravé sa réserve et ses hésitations à rallonge pour me proposer du bout des lèvres : « Si on allait à la plage tous ensemble, avec Lorena, ça te dirait de nous accompagner ? ». J’ai songé à le faire mariner avec un silence faussement indécis, mais, prise de pitié pour l’effort qu’il fournissait, mon « Oui, bonne idée » fut rapide. Et j’étais sincère : buller sur la côte en compagnie de la troupe Vázquez ? Ouai, carrément. Surtout que Lorena avait renoué amitié avec moi en début d’année, et qu’on se marrait bien, les quelques fois où on se croisait.

  • Et… Tu ne viens pas te baigner ?
  • Nan. La flemme.
  • Tu parles d’une Bretonne…

 Quoi ? Une attaque en traître ? Par Oscar Vázquez ?! Le pire, c’est qu’il rigole. Je lui frappe mollement le bras.

  • Ha. Ha. Gros malin !
  • Pardon.

 Moue désolée.

  • Tu t’excuses de m’envoyer des vannes ? Sois pas si prude, Oscar. Détends-toi. Si ça peut te mettre à l’aise, je te préviens que, moi, je te louperai pas.

 Un sourire se dessine sur son visage innocent. Mon regard papillonne vers l’océan – Andreas et ses cousines se sont lancés dans une structure de sable, sous l’œil expert du tío architecte – puis vers les falaises magnifiques au loin. Jamais je ne me laisserai de ce panorama.

  • Raquel n’était pas emballée par les Asturies ?

 Oscar fronce les sourcils, et m’évalue avec méfiance, pesant ma part de sincérité. Pourtant, je viens en paix : je la désigne par son prénom, c’est bon signe, non ?

  • C’est une vraie question, assuré-je.
  • … Elle est dans sa famille, en ce moment.
  • Ah ? Elle n’est pas barcelonaise ?
  • Une partie habite Majorque.
  • Et tu ne l’y accompagnes pas ?
  • Ben, non. J’ai Andreas.
  • Tu n’imagines pas l’emmener là-bas ?
  • … Ça m’est pas venu à l’esprit.
  • Ah. D’accord.

 Regardez-moi : je papote avec Oscar de sa belle-famille ? Vraiment, j’ai franchi une montagne de résilience. Applaudissements, s’il vous plaît.

  • Tu sais, si tu as besoin, je peux être souple dans les dates pour Andreas… Par exemple, on aurait pu décaler cette semaine pour que tu partes avec elle.
  • Non, non. T’inquiètes, tout est bien.

 Une réaction précipitée qui m’amuse.

  • On dirait presque que ça t’arrange, de pas être dispo pour sa famille…

 Il fronce le nez, et recouvre sa trogne de gamin pris la main dans le sac.

  • Ok, n’en dis pas plus…
  • Non, mais… Je les connais pas trop. Bref.

 Ou l’art de « pas envie de m’étaler ».

  • Et toi, Arnaud, il ne voulait pas venir ?
  • Il pouvait pas, reprise du boulot. Mais il n’est pas contre. Enfin, il est plus… Ce n’est pas le coin d’Espagne qui le tente le plus, de prime abord, mais il découvrira !
  • Il n’est pas trop jaloux ?

 Je me fige. Quoi ? Dans quoi il s’engage, vaillant Oscar, tout à coup ?

  • Pourquoi tu demandes ça ?
  • Bah, parce qu’il bosse, et toi tu glandes encore un peu… Il pourrait… Non ? J’ai mal compris ?
  • Non, enfin si… tu as bien compris.
  • Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai dit une connerie ?
  • Non… J’ai cru que t'imaginais qu’il était jaloux de toi. Je trouvais ça… cavalier de ta part.

 Oscar rosit, nie, et dévie très vite vers les vagues. Un point invisible semble monopoliser son attention, soudainement.

  • Il l‘est pas du tout, par ailleurs, ajouté-je.

 Pourquoi je dis ça ? De un, il n’y avait aucune utilité à fournir cette donnée, le sujet pouvait se clore. De deux, c’est un mensonge total : Arnaud grince des dents à me savoir en Espagne, et pire, en bikini toute la journée avec mon terrible ex qui rôde. D’ailleurs, il n’a pas été avare de SMS cet après-midi.

  • Tant mieux, répond Oscar d’une voix blanche. Je voudrais pas te poser problème.

 Bah alors, pourquoi on frise le bug, là ? Un peu d’humour, peut-être, pour dégripper le bonhomme ?

  • Évidemment, je lui ai assuré qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Nous sommes dignes de confiance. Et puis, toi, t’es marié et fidèle… N’est-ce pas ?

 Virage à cent quatre-vingts degrés. Oscar hoquette, écarquille les yeux, et me jette un regard outré.

  • N’est-ce pas quoi ? Qu’est-ce que tu sous-entends ?
  • Rien de mal, je… c’était pour rigoler…

 Bah merde, alors. La blague flope totalement. Pire, il est fâché, l’Asturien. Il me lâche d’un ton sec :

  • Je n’ai pas de comptes à te rendre quant à ma fidélité dans mon mariage.

 Alors là, je ne m’attendais pas DU TOUT à cette réponse… Je ne sais même pas ce que je dois en faire ?

  • C’est… vrai, tu as raison.

 Il lorgne la mer, boudeur, et se referme complètement. Gros, gros malaise. Bon, je reconnais, ma vanne était nulle. Trop touchy, trop tendancieuse… pas drôle, en fait. Mais de là à prendre la mouche aussi rapidement, sérieux ? Je l’ai pas accusé d’adultère sur place publique, non plus !

 Soudain, d’un bond, il est debout. Médusée, je l’observe me planter et rejoindre sa troupe en quelques enjambées. Vue dégagée sur le postérieur. Je confirme : Oscar s’est modelé d’absolument partout. Et, sous certains angles, c’est agréable.

 Les jours suivants s’inscrivent sous le signe de la farniente et du bon-vivre. J’ai bullé aux quatre coins d’Oviedo avec Emilia, mon hôte favorite, qui m’a présenté le nouvel homme de son cœur. Le soir, devant clopes et bières, nous évoquons nos relations toutes fraîches, à grand renfort de détails impudiques et de palabres niaiseuses. Deux adolescentes shootées aux hormones juvéniles. Pas classe, mais jouissif.

 Je n’ai pas tenté de recroiser la route des Vázquez. Oscar s’est montré plus fermé qu’une porte de prison l’autre jour, et franchement, j’ai eu la flemme d’aller le chercher. Les mystères de ce garçon ne sont plus mon problème. D’autant que, j’ai beau faire la maline, l’autre côté des Pyrénées me donne du fil à retordre dans l'ombre. Arnaud ne s’accomode pas de ma situation espagnole, et me le fait savoir matin, midi, soir. Il ne démord pas de son obsessionnel « fait gaffe à ton ex ». Cocasse, quand on voit comment Oscar défend son mariage fabuleux !

 Ce vendredi, une invitation m’a fait reconsidérer cette mise à distance.

  « de : Lorena
Journée piscine et barbecue chez le frangin ! T’en es ? »

 Hésitations : j’y vais, j’y vais pas ? Je me frotte à Ronchonchon ? Je fais criser mon chéri ? Bon, les feux sont plutôt au rouge.

  « de : Lorena
Mon mec a remonté le Douro* à la nage pour refaire le plein de Porto. La bouteille t’attend, regarde. »

 Photo à l’appui. La canaille.

  « de : Alix
Si tu me prends par les sentiments… »

 On va pas se gâcher de chouettes moments à causes de grinchoneries de relous.

____

NB : le Douro est un fleuve espagno-portugais
le long duquel s'étendent les vignes affrétées au Porto.

____

 Me voilà donc à paresser, encore et toujours, sur un des transats de la terrasse d’Oscar. Il semble que la trentaine ne m’ait pas fourni non plus l’option culpabilité : sauciflard, merveille portugaise au verre, et copine de parlotte : je prends mon pied sans me soucier le moins du monde de l’avis des autres. De toute façon, une partie des « autres » fait les idiots dans la piscine — les pères et les enfants, pour être précise.

  • Ils vont être rincés, ce soir ! fait remarquer Lorena. Ils vont tomber comme des mouches, ça va être le silence radio à la maison, j’aurai une paix royale !

 J’éclate de rire à sa remarque « parentalement incorrecte », comme elle aime le dire. Retrouver Lorena est l’un des meilleurs plaisirs de mon année.

 La grande sœur maternante fut un poil rancunière avec moi au tout début de nos retrouvailles, m’avouant sans tourner autour du pot que « On ne va pas commenter votre rupture, mais ta disparition avec Andreas, c’était difficile à avaler ». Ça m’avait un peu mise devant mes responsabilités. Je m’étais excusée auprès d’elle, puis dans la foulée, auprès de ses parents. Ils avaient accueilli mes mots avec leur bienveillance habituelle. « Merci d’être revenue, Alix. Tu es la mère d’Andreas, tu seras toujours un peu de notre famille, tu sais ». Après ça, j’avais bien vite retrouvé notre complicité avec Lorena. Pas élevée dans la rancune, la fratrie Vázquez.

 Elle se penche vers moi :

  • Tu soupires, Alix, tu soupires.
  • Oui...
  • C'est ton beau mâle qui te manque ?
  • C'est un peu ça.
  • Un peu ? Quand c'est le tout début, l'autre nous manque plus qu'un peu, dans mes souvenirs.

 Mouai, certes il me manque, MAIS il m'agace aussi, avec son flicage permanent. J’ai l’impression d’être une reporter de guerre en mission héroïque : la menace est partout, et il craint pour ma vie. Je louche sur l’objet de terreur : Oscar-la-menace joue au « dauphin qui transporte les enfants sur son dos » et enquille les tours de piscine, gamins accrochés au cou. Les éclats de rires pleuvent sans discontinuer. Wow, effrayant.

  • T’as l’air songeuse, Alix.
  • Oui… Je repensais à la plage, lundi. Oscar m’a fait un truc bizarre.
  • Tu veux dire, plus bizarre encore que d’habitude ?

 Je pouffe. Balle perdue totalement gratuite.

  • Oui. En fait, il faisait la gueule. Il parlait pas.

 Elle me regarde par-dessus ses lunettes de soleil.

  • Attends, t’es en train de dire que Oscar Vázquez del Río ne disait rien ? Mais nooooon ?! La Terre va s’arrêter de tourner, alertez les autorités !

 « Gna gna gna » grogné-je sous son rire moqueur.

  • Bah, Alix ! T’as pas déniché le scoop de l’année, là !
  • C’est différent. D’abord on causait bien, et soudain, paf. Plus rien.
  • Ah bon ? Vous parliez de quoi ?
  • De rien de spécial… On discutait d’une potentielle jalousie d’Arnaud, et j’ai vanné en affirmant qu’il n’y avait aucun danger puisque ton frère est un homme marié et fidèle. Il a pris la mouche. D’un coup. Il m’a envoyé paître.

 Lorena me dévisage, mi-amusée, mi-consternée.

  • Je reconnais que la blague était moisie, justifié-je avec malaise.
  • Je ne vois même pas ce qu’il y a d’humoristique, honnêtement.
  • Oh, ça va. Il m’avait taquiné avant, j’ai tenté de lui rendre la pareille, je me suis lamentablement foiré.

 Son visage se mute en sérieux, façon Holmes en recherche d’indices.

  • Il t’a taquiné ?
  • Bah quoi ? C’est pas la première fois. Ton frère a la dent aiguisée, quand il s’en donne la peine.
  • D’accord, mais… Depuis votre séparation ?
  • C’était la première depuis, oui. ... Quoi ?
  • Rien. C’est bien, ça veut dire que… vous êtes un peu plus à l’aise l’un avec l’autre.
  • La preuve que non : il m’a fait la gueule.
  • Ouai mais ça, c’est pas spécialement de ta faute…

 Elle se mordille la lèvre, avec l’air de la lycéenne qui retient les infos top-secrète de ouf à propos de la cheerleader et le BG de l’équipe de basket.

  • Lorena ? Crache !
  • Ok… bon, je ne devrais pas, mais… ça ne se passe pas très bien avec Raquel. Oscar n’est pas bavard, t’imagines bien, mais on sait que leur relation n’est pas au beau fixe en ce moment.
  • … Ah… Mince.

 Je ne trouve pas mieux. Non pas que je me réjouisse qu'il puisse y avoir du rififi entre eux, mais ça me tire assez peu de compassion à vrai dire. Ceci dit, ça ne va pas arranger mon cas auprès d'Arnaud, cette affaire. Lorena, en revanche, rayonne de son constat.

  • « Mince » ? Tu rigoles ? « Hourra » tu veux dire !
  • Je ne me permettrai pas.
  • Parce que t'as jamais eu à la supporter !

 Et encore heureux !

  • Eh bien, quelle joie indécente, Lorena !
  • Oh, je ne vais pas m'en cacher. J'ai déjà trinqué à l'annonce qu'elle ne foutrait plus les pieds à Oviedo. Mais là, j'ai mis le champagne au frais !
  • Ah, carrément ? T'es sûre de ton coup ?
  • Certaine. La question n'est plus de savoir SI ils vont se séparer, mais QUAND.
  • Et pourquoi elle ne vient plus à Oviedo ?
  • Elle s'emmerde profondément, ici. Elle n'aime pas les Asturies, elle n'aime pas les Vázquez, elle n'aime pas les potes d'Oscar, et personne ne l'aime en retour.

 Purée. Paye ta situation merdique !

  • Pas cool, prononcé-je à bout de mots.

 Lorena hausse les épaules.

  • Ça leur créer des tensions, forcément. Le frangin, il est capable d’accepter beaucoup de choses, mais à un moment, il pètera. La moindre remarque à propos d’Andreas, ça ne passera pas.
  • Parce qu’elle en fait ?
  • J’en sais rien, je suis pas avec eux, mais… Elle râle plutôt sur toi. Il accepte moyennement déjà, mais alors, il ne tolérera pas de faux-pas à propos d’Andreas. Tu sais, on ne dirait pas comme ça, mais votre séparation a eu l’effet de le transformer en Papa-lion. Il sort les griffes quand il s’agit de son fils. Et je connais mon frère, je vois bien qu’il est tendu. Les griffes, Raquel ne va pas tarder à les voir.

 J’ai essayé de ne pas trop réfléchir aux confessions de Lorena, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai comme un peu de peine pour Oscar — quel comble, franchement ! J’en ai touché deux mots à María par SMS, et elle a eu une réaction étrange. Alors que je m’attendais à des émojis diablotins hilares, elle est restée très sérieuse, répondant un simple « Putain de crétin ! ». À ma question « Pourquoi ? », elle a botté en touche « Comme ça. Il te faut encore des preuves, t’en es pas déjà convaincue ? ». Mouai.

 De toute façon, mon esprit est toujours parasité par Arnaud, qui n’a cessé de me solliciter tout au long de la journée. Ma lassitude n’échappe pas au scanner Oscar, qui, timidement, tente une perche.

  • Tu vas bien ?

Joli effort. Quand je disais qu’ils n’étaient pas rancuniers, ces deux-là.

  • Oui, oui. Nickel. Et toi ? Bonnes vacances ? Andreas est enchanté, vous n’avez pas quitté vos maillots de bain !

 Il sourit.

  • On ne passe pas l’été dans les Asturies pour rester au sec, ce serait criminel, argue-t-il sur un ton badin.
  • De toute manière, tu peux lui proposer n’importe quoi, tant qu’il est avec toi, il est sommet du bonheur.

 Je tente l’armistice verbal. Échec inattendu. Oscar se pétrifie, yeux soucoupes, bouche entrouverte, apnée. Encore ! Bon sang ! Y a un problème dans le serveur interne, une mise à jour loupée, trop de poussière dans le ventilo ? Emmenez-le en maintenance, ou je sais pas ? Qu’est-ce qui lui prend ?

  • Hey ? Oscar ? Allô la Terre ?
  • Oui, je… C’est vrai ?
  • Bah, oui ! Banane ! Pourquoi je mentirais ?
  • Je sais pas.
  • T’as pas imaginé que ton fils, ton FILS, la chair de ta chair, prenais plaisir à être avec toi ?

Ma doué ! Il est pas loin de la syncope !

  • Je sais pas.

 Oh toi, mon coco, tu me chauffes sérieusement les oreilles avec tes flottements énigmatiques et ta trogne de chaton perdu. J’avais prévenu, que j’allais pas te louper.

  • T’as quoi, là ? C’est quoi, cette attitude ? Qu’est-ce qu’il y a à comprendre ? Pourquoi tu plantes comme un vieux PC sous Windows 95 quand je te dis que ton gamin t’aime ?

 Boum ! Je viens de lâcher les mots interdits, ceux qui font office de code nucléaire. Effet garanti : implosion sous carcasse. Oscar vacille : il tremble, son regard cherche un ancrage, sa respiration est laborieuse. Intérieurement, je jubile. Et continue.

  • C’est ce qui se passe là-dedans, que tu gères pas, Oscar ? Qu’est-ce que tu planques ? Ça te fait quoi, quand j’te dis ça ? Tu ressens des trucs, non ? Me dis pas que y a rien, me dit pas que t’es une coquille vide quand il s’agit d’Andreas ! Tu peux jouer l’autruche sur beaucoup de tableau, mais pas celui-là !
  • Arrête, Alix.
  • Et pourquoi ? Parce que ça remue ? Ça fait tanguer le navire de guerre ? Oscar Vázquez va pas savoir tenir la barre sous la tempête ? Tu crois que j’ai oublié qui t’étais ? Que j’me souviens pas à quel point faut plonger profond pour te pêcher ?
  • Arrête, j’ai dit ! Qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi tu m’emmerdes, comme ça ?
  • Ah, t’es fâché ! Un peu d’émotion ! C’est merveilleux ! Ça mord à l’hameçon !

 Pétard. C’est un regard furieux, presque flippant qu’il m’adresse. Heureusement que je connais l’homme en face, parce qu’il me ferait presque peur. Mais, joueuse, je ne recule pas : au contraire, j’avance le buste, et réduit la distance. Son aura est électrique. On s’observe un peu, immobiles. Puis, d’une voix calme qui m’étonne moi-même, je conclue.

  • Ça fait du bien, non ? De ressentir des trucs, et de les laisser s’exprimer ? Et si t’essayais plus souvent ?

 Dans ses iris, fixées sur les miennes, la colère s’évapore. Un éclat, une flamme, je sais pas : quelque chose vit. Lentement, il inspire.

  • Pas toujours facile.
  • Essaie quand même. Il est temps.

 Je me redresse, sans décrocher mon regard du sien. Là, il est complètement accessible. Alors…

  • On va la refaire, d’accord ? Allez, écoute bien : ton fils t’aime, Oscar. Et chaque seconde qu’il passe près de toi a un goût de bonheur dans sa bouche.

 Il ferme les yeux, fébrile, et accueille la bourrasque qui le traverse. Sa tête dodeline, sa voix trémule.

  • Merci. Pour moi aussi, ce sont les meilleurs moments de ma vie.

 C’est pas tout à fait ce que j’ai dit. Mais bon, on prend.

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