Chapitre Premier, Partie IV

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 Le matin se levait sur la ville conquise. La foule avait été massée sur la place d’Ishar. Alors que l’architecture autrefois fastueuse de la ville fumait encore, la population grelottait sous la fine pluie que le littoral charriait, comme une caresse de consolation.

 L’épaisse effluve des poutres en cendre attaquait les poumons des vieillards qui crachaient leur âge en une toux maladive. Autour de l’assemblée, les soldats victorieux observaient les nouveaux sujets de la secte attendre leur sort sans enthousiasme.

 L’air suintait la peur, les souvenir des massacre de la veille étaient encore présent. Les cris des morts et des viols avaient ce sinistre pouvoir de résonner dans les tympans encore longtemps après leur émission. Chaque homme, chaque femme tremblait, habité par la triste et anxieuse conviction d’être la prochaine victime de ces fanatiques. Les plus téméraires avaient dissimulé sur eux quelques armes pour tenter de passer trépas avec de la compagnie. L’atmosphère avait un arrière-goût d’apocalypse. Les copeaux de cendre voltigeaient, fuyant les larmes des nuages.

 Fredel fendit la foule de ses soldats, s’avançant vers les habitants d’Ishar. Non loin, Ragne marmonnait pour les âmes. La fatigue l’assaillait. On l’avait fait venir chercher, écourtant sa nuit si brève. Sa présence était gage d’une autorité naturel, elle légitimait les mots que Fredel allait prononcer. Complétement désintéressé du spectacle, Ragne se vouait plutôt aux subsides des morts.

 Il resta ainsi de longues minutes, perdu dans ses pensées, tourmenté par le bruit des défunts dont les âmes ciraient si fort à ses oreilles. Il tenta l’espace d’un instant de saisir les noms de chacun. La meurtrissure de la terre lui était insupportable, mais il ne se sentait de la colmater de suite. Après avoir murmuré un mot pour les morts. Les délivrant leur esprit de la terre, les laissant partir vers le firmament.

 C’était là, son premier rôle, permettre à la vie de s’achever. Il caressait les lignes telluriques pour les apaiser. Il tentait de les extraire de la terre. La violence des combats avait ployé les essences, elles étaient brisées, arc-boutées sur ce passé si récent qui les retenait dans ces lieux. Avec une infinie tendresse, Ragne tendit son esprit pour rassurer ses hères qui n’avaient plus de corps. Il murmura à leur être désœuvré les mots que le temps avait forgé. Il leur raconta la course des âges, la grandeur de leur vie… et, coupable de leur mort, il leur livra la raison de cette violence. Les âmes vibrèrent, puis, sans un mot, rougeoyante de colère et bleues de tristesse, elles s’envolèrent vers le firmament, rejoindre la charge de leur ancêtre. Le Marcheur regarda le flot des esprits s’échapper vers les cieux. C’était un kaléidoscope de couleur, triste spectacle de vies achevées irradiant le crépuscule de ces peintures invisibles pour les yeux des mortels. D’un mouvement de cil, Ragne chassa les larmes qui lui venaient. Alors qu’il allait reporter son attention sur les mots de Fredel, il sentit une colère ancienne happer son esprit. Une âme était restée agrippée à son corps. Alors que Ragne lança son esprit vers elle, il tituba, le cerveau gourd de la violence résiduelle.

 Haussant un sourcil interrogateur, le Marcheur étudia l’essence sous toutes ses coutures. C’était l’esprit d’un homme ancien, il avait vécu sans raison un nombre conséquent de vie. Fuyant sa malédiction, il avait erré sans but de ville en ville lorsqu’il devenait évident que l’âge n’avait pas d’emprise sur lui. Une longue-vie de plus, une victime de plus du jour de la colère. D’un ton empli de tristesse, Ragne murmura :

 « Je suis désolé de ne pas avoir croisé ta route avant cette fin, l’ami. »

 L’âme vrombit, amère, l’idée d’avoir vécu si longtemps, sans sens, sans réalisation l’avait blessé. Partout, des ligaments de lumière se noircissaient lentement, comme une gangrène. Ragne recommença à étudier l’âme. C’était une goutte de lumière d’une trentaine de centimètres de long, les zébrures qui pouvaient surprendre la profane s’expliquait assez facilement. Chaque entrelacs était fait d’une somme de sentiments, de souvenirs et d’expériences. Des couleurs courraient le long de ces fils, chaque flash laissait un ton miroiter un instant. Et là, au milieu de ces éclats un trou, noir béant, grignotait l’âme. Comme une déchirure dans l’identité de l’homme. Alors, Ragne comprit, il savait à qui cet homme devait sa longue vie. Plein d’une empathie sincère, le Marcheur murmura.

— Fils du Damné, cesse ta lutte…

 L’essence feula, arquée de colère. Elle tendait toute son énergie vers son interlocuteur, haineuse, désespéré. Ignorant sa violence, Ragne reprit.

— Apaise ta fureur, le firmament t’appelle.

 L’âme se calma un instant, réfléchissant lentement à la possibilité du départ. Puis, semblable à un serpent, elle se blottit sur elle-même avant de bondir, flèche éthéré. Les réflexes forgés par les millénaires d’expériences prirent le dessus. Ragne lança sa cape en arrière. Son bâton lesté fendit l’air pour se défendre. Son agresseur tomba, mort à nouveau. L’âme s’éteignit, joignant un plan d’existence où Ragne n’avait ni pouvoir ni regard. Ce dernier resta ainsi quelques secondes sur ses gardes, les sens alertes quant à la possibilité d’une autre attaque. D’une distance lointaine, il entendit le cri de colère d’un être qu’il aurait préféré savoir disparu. Fermement campé sur ces appuis, Ragne réceptionna la charge sans reculer. L’énergie de l’esprit bouillonnait, furieuse, face à lui. C’était la colère d’un être si ancien que Ragne lui-même le craignait. Pourtant, il l’affrontait, sans faillir, fier face à cette fureur.

 Dans un tourbillon d’énergie, le Marcheur fit face au Damné. Le bâton ferré voltigeait, il parait les attaques de l’Immatériel qui tentait de mordre l’Immortel. Le combat se déroulait loin de ce monde, dans un rêve éthéré ou les essences se faisaient face. Epargnant la terre des sévices de leurs coups. Chaque attaque semblait pouvoir fêler le soleil, chaque parade annihiler un monde. Ragne déchaina les éléments, soufflant l’autre de ses pouvoirs. Son ennemi darda sur lui l’ombre du néant. Aucun ne parvint à passer les défenses de l’autre. Leur affrontement ne fut ainsi qu’échanges de coups sans blessures. Il n’y eut aucun témoin de cette violence et, durant une seconde, ils se combattirent durant un siècle. Alors… le Damné se replia, conscient de l’impasse du combat.

 Ragne réintégra son corps, dans cette ville ravagé par la guerre. Durant un instant, il s’attendit à une autre attaque. Rien ne se passant, il se détendit, rejoignant la foule agglutinée dans la peur, la colère, l’attente.

 Fredel s’était hissé en haut d’une estrade de fortune, il dominait la foule de son sérieux ecclésiastique. D’une voix forte, sans vraiment s’intéresser à la tension palpable sur les lieux, il parla.

 « Amis… âmes égarés,

 Vous avez souffert… vos proches viennent de tomber sous les lames de nos épées. Mais n’ayez pas de rancune. Vous n’êtes pas responsable de la folie de vos dirigeants. Vous n’êtes pas non plus responsable de votre ignorance, de vos blasphèmes passés.

 Vous ne pouviez embrasser la seule vraie foi si vous ne la connaissiez pas !

 Mais nous sommes là… venus vous délivrer.

 Alors, mes frères. Sacrifiez les mensonges de vos maitres ! Libérez-vous de ces fausses croyances ! L’Ordre et le Chaos sont les deux seuls Dieux ! Ils ne vous aiment… Non ni ne vous détestent ! Adorez-les et votre vie sera belle ! Tournez-leur le dos… et vous en mourrez ! »

 Fredel tourna le dos à la foule. Se dirigeant vers le palais ou pendait encore les corps sans vie de leur précédents occupants.

 La foule elle grondait d’incompréhension. Les prédicateurs se rapprochèrent d’eux. Sous l’escorte des soldats, ils proposaient aux habitants un choix simple, la conversion ou la mort. Les premiers abjurèrent leur foi sans résistance.

 Alors que Ragne tournait le dos pour rejoindre le palais, il entendit les bruits étouffés d’armes qu’on dégaine. Quelques-uns ne semblaient pas accepter cette foi subite. Comme si la religion pouvait être autre chose qu’un choix politique, une sorte de croyance profonde et si ancré dans l’humain qu’elle le définissait presque. Ragne sourit un moment de cette absurdité avant de réprimer par un soupir la tristesse qu’il ressentait à l’idée de ces morts si proches.

 Il soupira. Il devait s’entretenir avec Fredel rapidement. Et l’idée même lui chagrinait le cœur. Accusant le coup, le Marcheur se rapprocha du dirigeant de la secte. Sa harangue semblait l’avoir galvanisé et alors que l’aube n’allait pas tarder à naitre, il semblait d’une forme olympienne, capable de prendre une autre ville à lui tout seul.

— Joli discours, initia Ragne.

— Merci Immortel. Votre plan s’est découlé sans encombre au début, nous sommes bénis des dieux.

— Ce n’était qu’une ville, il en reste beaucoup à faire tomber.

— Dès demain, nous serons dans la Passe, Gürmz puis Danau tomberont dans la semaine. En un mois, nous serons à Dinane, puis de là, nous pourrons dominer notre nouvel empire.

— Ne crions pas victoire trop vite. Nous n’avons pas le contrôle de la mer, et ne pouvons-nous risquer à attaquer l’Archipel de suite. La Passe reste un mouroir que trois grand-mères avec un balai tiendraient face aux légions de l’apocalypse.

— Mais nous vous avons vous Marcheur. Et nous avons les longues-vies. Avec de telles armes, rien ne nous résistera jamais.

— Les longues-vies vont être dévolue à une longue tâche et l’usage de mes pouvoirs n’est pas gratuit Fredel. Il faut entrainer les hommes. Ils sont le bras de l’Ordre et du Chaos, c’est eux qui viennent sauver le monde… pas moi. Ce n’est plus mon temps. J’ai déjà écrit ma légende. C’est la vôtre désormais qu’il s’agit de faire.

 Fredel se rengorgea, heureux de la confiance que l’Eternel plaçait dans ses troupes. L’homme était bouffi de sa suffisance et Ragne le savait, il avait manœuvré depuis des années pour en faire le dirigeant de la secte. C’était un pontife cruel et un stratège limité, mais c’était un politiste accompli, capable du meilleur pour bâtir sa postérité. Et Ragne n’avait jamais autant besoin de quelqu’un que d’un arriviste en ces temps.

 Soucieux de continuer à maintenir ses faveurs, Ragne reprit.

— C’est à Ishar qu’est née la Secte. L’histoire est vieille, vous avez déjà dû l’entendre mille fois.

— Mais jamais de votre langue Marcheur, minauda le pontife.

 Ragne sourit intérieurement. Manipuler l’ego des gens avait toujours été d’une facilité insolente. Croiser sa route avait dans le passé propulser des quidams à des postes d’importances. Marquer le souvenir du Marcheur, et l’amener à raconter cette rencontre, continuait de fonctionner dans ce sens. Ragne savait que pour la suite, il devait flatter Fredel, lui montrer que la Secte demeurait son objectif final. Un baroud d’honneur avant son départ.

 Le Jour des étoiles noires approchait et partout dans le monde, on chantait son départ. Ici les bardes narraient celui qui avait été Ragne, là-bas, ceux qui vivaient depuis des siècles se souvenaient de la longue Marche. Ragne le savait, il était la dernière mémoire de ce monde, il était révéré pour ça. Et sa mort était proche. La terre entière l’exsudait, les arbres le pleuraient la nuit et les vieilles montagnes sortaient de leur torpeur pour pleurer l’inéluctable départ. La nature entière composait une poésie pour son dernier ami. Face à l’abysse de son passé, Ragne était encombré de ce futur, sa vie avait été interminable, il avait dupé la mort, dupé le temps, dupé les hommes. Il avait trainé un corps trop abîmé, il avait porté une âme trop coupable. Aujourd’hui, alors que sa mort était si proche, Ragne se demandait ce qu’il avait fait de ces années, de ces siècles. Et son cœur était lourd parce que les jours devant lui ne lui appartenait plus, mais étaient dévolu à son plan. Un travail au sacrifice consenti depuis mille ans. Aussi, il rassembla ses pensées et se reconcentra sur Fredel.

— C’était la première religion

— La seule vraie, l’interrompit l’ecclésiaste.

— Assurément, sourit poliment Ragne, je me souviens de comment elle commença. C’était un poème du fond des âges, ils étaient peu, déjà conscients de l’importance du sang.

 Fredel observa les yeux noirs, si puissant malgré leurs âges, du Marcheur, se brouiller. Il reprit sa narration d’une voie lente et grave. C’était la voix primaire du marcheur, celle du barde qui narrait un monde qui venait de naitre.

 « Qu’ici, ce soir, tous se souviennent. Mourir pour la Secte, c’est offrir son nom à la voûte céleste. Notre histoire est récente, mais ce récit est long, son passé est noir. Ceux qui restent pour l’entendre, qu’ils sachent que l’Ordre et le Chaos les embrasent. Nous entendre, c’est adhérer. Ce soir, ils mourront, ce soir, la ville sera nôtre. »

 Fredel frissonna, autour du Marcheur, un premier cercle se formait, chacun comprenait qu’ils entendaient ici la première nuit, celle qui se passa des milliers d’années auparavant, lorsque Wirdid créa la Secte et l’étendit par les armes sur le continent. Il y avait un silence religieux autour du Marcheur qui continuait de faire vibrer l’air de sa voix forte.

 « Ce soir, Ishar tombe, ce sera le jour de la Première Chute. Ce soir, la Secte s’élève. Et la mort va rôder. Nous allons redonner la foi à la terre. Redonner à notre espèce une raison de vivre.

 Et Wirdid se tût face à ses hommes. Et ils se déversèrent sur Ishar. C’est là qu’ils naquirent, extraits des entrailles de la terre, avec un besoin si immense. Le besoin de croire en quelque chose de supérieur.

 Les Immortels ne s’y intéressèrent pas. Ce n’était pas leur histoire. Ce n’était déjà plus leur temps. Et l’Ordre et le Chaos furent les premières divinités.

 Le monde comprenait alors sa logique par cette religion. Ici la nature créait, là les hommes la détruisaient. Ici, les humains érigeaient, là l’océan reprenait. Il n’y avait pas de justice, il n’y avait plus de moral. Il n’y avait qu’un flot incessant de choses qui étaient avant de disparaitre. C’était là la pensée de la religion. Être et avoir été. Sans sens mais malgré tout plein d’un but divin imperceptible.

 La religion du zéro et de l’infini, les hommes ne pouvaient qu’épouser l’idée. Se comprendre sans voir. Faire confiance à un sens supérieur qui ne pouvait pas être le sien. »

 Ragne se tût, observant l’assistance avec un air hagard. Beaucoup de fanatiques s’étaient massés autour de lui. L’histoire allait commençait et il voyait leur visages attentifs, curieux de se trouver eux aussi un sens. Un instant, il oublia qu’il se trouvait au milieu d’une foule d’assassin et Ragne épousa sincèrement leur cause. Il comprit leur besoin viscérale d’avoir un but, de ne pas exister sans être oublié à leur mort.

 Le Marcheur était ici dépositaire de son grand âge, c’était le vieillard qui faisait face à des enfants avide de comprendre le monde, persuadé de réussir là où leurs aïeux avaient échouaient. Dans ce temps plein de mystère, les légendes offraient une compréhension simple du monde.

 Un instant durant, Ragne se demanda quel était son rôle ici. Il continuerait l’histoire, mais serait-il simplement un divertissement où une source de leçon. Il ne savait pas pourquoi on l’écoutait, et au fond de lui, il espérait que les cerveaux de l’auditoire étaient toujours fonctionnelles, qu’ils n’étaient pas trop abrutis par le sang et capable de résister au flot des mots si séduisants qu’ils berçaient l’âme dans une douce torpeur.

 Ceux qui lui faisaient face étaient des gens simples… les questions les effrayaient, y avait-il quoi que ce soit de plus inquiétant. C’était un jeu sordide pour qui n’y était pas éduqué, à une question répondait une autre interrogation, puis une autre et encore une autre. Un cycle sans fin qui remettait le monde dans une perspective d’ignorance éternelle. Et ils cherchaient une certitude.

 C’était ce qu’offrait la religion. Une ignorance feinte et donc un contrôle certain. Le mythe plus que la raison, le confort de la certitude plutôt que l’horreur des fausses questions.

 Et c’était son rôle ce soir, offrir une réponse à leur sacrifice. Donner un sens à leur combat. Sans joie, Ragne reprit sa voix de conteur, il frappa le bout de son bâton sur le sol, un siège de pierre jaillit de la terre pour le soutenir alors qu’une flamme de gaz éclaira la scène, plongeant le visage du Marcheur dans une lueur chaleureuse. Il lui fallait raconter les temps anciens. Lorsqu’il foulait la terre telle un enfant. Lorsque ses frères et sœurs étaient encore vivants.

 « Lorsqu’on narre une histoire, on s’attend toujours par commencer avant. Raconter le monde ordinaire avant l’appel du voyage. Je pourrais commencer ici, vous parler de la révélation de Wirdid, vous parler des longues méditations, du pèlerinage dans les steppes glacés.

 Je ne parlerais que de violence.

 C’est ce qui a définit la Secte. La violence de la foi sur l’esprit. Le besoin animal de l’idée qui devait survivre peu importe le coût.

 Si vous cherchez la vie ordinaire de la Secte, vous trouverez cette essence. La violence omniprésente qui définit leur philosophie.

 La révélation de Wridid était simple, les choses existaient sans but, mais c’est notre existence qui leur en trouvait un, dans l’erratique du Chaos, l’homme créait l’Ordre. Et dans le Chaos de l’homme, les dieux offraient l’Ordre.

 C’était un sens au monde, irréfragable.

 Alors la Secte est née dans la violence. Elle s’est extraite de la fange humaine. Elle a brûlé la terre. Le continent portait partout la bannière de l’Ordre et du Chaos intriqué.

 Et les deux dieux régnaient heureux sur le monde.

 Et Kelde se leva, elle vociféra, organisant dans l’ombre la révolte. Elle condamna la Secte. Condamna le besoin de croire. Et les légions de vos ancêtres durent faire face à la colère d’Immortels, ivre de colère à l’idée d’être remplacé.

 La secte fut balayée, moins de cinq ans après son avènement, Wirdid pendait aux portes d’Ishar.

 Et la Secte mourut en silence, oublié des hommes pendant les siècles.

 Mais le passé n’est plus. Aujourd’hui, vous avez appris… »

 Ragne laissa enfler la clameur avant de reprendre, d’une voix forte.

 « Oui, vous avez appris qui est votre ennemi ! »

 L’assemblée hurlait, enivrée par le récit. Le pas de l’auditoire frappait le sol en cadence, les gorges frayait dans un mariage forcé avec l’air, Ragne tremblait en cœur avec la foule, euphorique, emporté par son histoire.

 « Et c’est là que vous allez frapper. »

 Le flot humain hurla, son énergie restauré par l’histoire. L’un d’entre eux lança un appel, un cri sinistre qui reprenait l’envie de l’armée entière.

 « Vers le Nord ! »

 Et la multitude reprit.

 « Vers le Nord ! »

 « Vers le Nord ! »

 « Vers le Nord, mort à Kelde ! »

 Les cris étaient mi prière mi ordre. L’armée s’était érigé tribunal, et ceux-là qui avait remis leur destin dans les mains d’une religion cruelle, ceux qui là, abandonné de tous même de l’espoir avaient trouvé refuge dans le cœur asséché de la foi. Ceux-là s’étaient érigé tribunal et aujourd’hui, ils condamnaient ce qui avaient été, ils condamnaient ce qui demeurait des temps anciens. Ils condamnaient à défaut de comprendre, espérant trouver dans le chaos résultant de la destruction du passé un ordre nouveau pour le futur.

 Ragne soupira, attristé en silence de la violence nouvelle, et pourtant si ancienne, qui animait la troupe. Ils ne trouveraient que mort dans leur folie destructrice, il ne trouverait que colère en réponse à leur violence. Pourtant, ils le savaient, l’histoire leur offrirait repentance, malgré leur barbarie, malgré leur cruauté. Il se l’était promit, il y veillerait.

 Là, ils continuaient d’hurler.

— Vers le nord !

— Mais que trouverez-vous au nord, murmura Ragne pour lui-même, la mort, seulement la mort… nous répondrait le vent invisible des tombes.

 Sans un regard pour l’assemblée, il repartit en direction du palais, il ne trouverait plus le sommeil et il lui fallait désormais troquer ce temps superflu dans un travail, toujours plus harassant.


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