Chapitre second. Partie III

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 L’armée partait en guerre. Ragne l’observait du haut du palais. Les cohortes luisaient sous le soleil de la péninsule. La Secte avait été armée jusque-là de bric et de broc, le pillage d’Ishar l’avait équipé d’amure et d’armes plus aptes au combat. Les cultistes devenaient enfin soldats. Leurs pas labouraient déjà la terre, comme un aveu de leur but futur : la destruction de ce qui avait été par leur avancée.

 Un instant, Ragne oublia l’aversion qu’il avait pour ses pions. Il les observa pour ce qu’ils étaient, un ensemble d’humain, fait d’un rêve, celui de sauver le monde par la foi. Il y avait dans cette intention un idéalisme naïf qui touchait l’immortel tout en l’agaçant. La force sauvage et impérieuse de la confiance, qui rendait l’oublié soudain grandit et utile par sa foi, était source d’une violence future certaine par le zèle qu’elle entretenait.

 Les hommes qui s’écoulaient devant lui étaient les résidus du siècle. C’était ceux qui n’avaient su être et qui abandonné au monde avait été recueilli par la Secte. Elle les avait nourris, logé, leur avait donné un savoir. Elle avait transformé des épaves en humains. Ils étaient, c’est vrai, privé de réflexion et de discernement, cerveau acquis à une pensée inapte à la nuance. Mais on leu avaient rendus une dignité qu’ils défendaient sans doute avec une rage plus féroce qu’ils ne défendaient leur foi. Ragne le comprenait maintenant el les voyant partir en guerre avec discipline et rigueur. Eux les oubliés, eux les maudits, eux les parias, ils avaient aujourd’hui un sens. Peu leur importait s’il se gorgeait de sang et d’horreur, peu leur importait s’il leur coûterait la vie. Peu importe le flacon tant qu’on a l’ivresse, peu importe l’existence tant qu’elle soit utile, soupira Ragne.

 Il se désintéressa de l’armée en marche pour observer la ville derrière lui. Elle semblait si vide, si artificiellement propre. La Secte avait dressé d’immense bûcher au sud de la ville et offert les corps de ceux qui étaient tombés. Tous les gravats avaient été déblayés, toutes les traces d’incendie avaient étés effacé. Comme un tsunami, après la dévastation, les cultistes avaient retourné les ruines à la mer. Il ne restait dès lors plus qu’une ville à moitié vide, dépossédée de son armée, factorisée dans un plan logistique balbutiant.

 Il ne restait plus que les prédicateurs. Monstre humains qui avaient oublié d’avoir un cœur. Et c’était le seul avenir offert aux survivants du massacre. Les enfants étaient impitoyablement ôtés à leur famille pour être converti. « Ceux-là sont trop vieux » avait tranchés Fredel la veille en désignant le groupe des grabataires et autres sexagénaires. Trop vieux pour être persuadé de la beauté de la secte. Trop vieux pour embrasser la foi. Trop vieux ainsi pour survivre dans cette théocratie. Un concert de métal avait répondu à la sentence et les glaives s’étaient une fois de plus humecter du sang des malheureux. L’un s’était brillamment défait de son assassin, le désarçonnant, il lui avait fait sauté son arme des mains avant de l’occire et de courir pour tenter de tuer le grand Prêtre. Un archer l’avait stoppé net dans sa course. Il n’y avait pas de place pour le courage, pas de place pour l’honneur sous l’égide de la secte. Il fallait croire et se soumettre.

 Pourtant, il y avait des idées qui en valait la peine dans leur pensée se rappelait Ragne avec tristesse. La Secte croyait en un monde dual. Un monde où il n’était pas question de bien ni de mal. C’était une simple opposition de l’ordre face au chaos, le système face à l’entropie. On pouvait choisir de vivre en équilibre, comme le préconisait Fredel, limiter la portion de chaos en nous, limiter la fonction d’ordre également. L’excuse pour les intellectuels était donc de s’abandonner à l’ordre, de cherche une rationalisation absolue de monde, une classification des idées qui reléguait la religion au plan secondaire. Les bardes eux épousaient sans réserve le chaos. Lui qui était source de mystère et de folie, ils permettaient au troubadour de s’en repaître, de se nourrir d’histoire soufflé par la démence de la nature. Ragne avait toujours apprécié cette liberté morale permise par la Secte. Lui qui était un être profondément chaotique, tourmenté par un passé trop immense pour être narré, et pourtant si intensément touché par l’ordre pensée qui le séduisait par sa logique et son sens, il ne pouvait qu’apprécier cette absence de morale.

 Comme pour illustrer sa pensée, alors qu’il passait à côté de l’un des rares camps de soldats laissé pour préserver la ville, il entendit au côté du feu le chant du barde. Le Marcheur cessa alors un moment ces pas, plongeant son regard sur ce bref legs d’éternité. Les soldats étaient une dizaine, massés autour du feu, emmitouflés dans de lourde couverture pour couper l’air marin si froid en cette période de l’année. Le feu était si violemment attaqué par le vent qu’il semblait presque inutile, tout capable de chauffer le pauvre ragout qui peinait à laisser éclore des bouillons. Mais pourtant, malgré le froid, la violence de la veille et ce sinistre goût de victoire sinistrement teinté de génocide, les guerriers avaient dans les yeux cette parcelle éternelle d’enfance qui brillait toujours peu importait les conditions. Pour qui raconte une histoire, pour qui narre une légende, chacun demeure à jamais un minot, se murmura Ragne à lui-même alors que le récit vint à son tour l’envelopper dans la douce chaleur de jour meilleurs, de ciel plein de mots, de nuages gorgés de rêves.

 « … c’était après le commencement, bien après, les immortels avaient déjà été chassé par les hommes, abandonné au hasard des deux dieux. C’est Negulin qui narre ce qu’il a vu un jour près de la ville de Feydu. Puisse ma voix rendre justice à la sienne ;

 Un jour, alors que je me rendais au marché pour vendre mes bêtes je vis un étrange attroupement près des remparts. Bien sûr, je n’y prêtais pas attention au début. J’essayais de me projeter dans la vente déjà. J’avais avec moi une vache et trois chèvres. Et je tentais de calculer combien je pourrais en tirer, Cordelia, était une vache laitière, je voulais en tirer un bon prix, mais au fond, je savais que c’était Devos, une chèvre solide au hanche ferme à la fertilité certaine qui ferait mon bonheur. Si j’étais tout affairé dans mes chiffres, ce n’étais pas par cupidité, loin de là, j’avais toujours était un homme modeste, profitant du labeur de mon bétail sans excès. Mais je devais marier ma fille Cristie, elle n’était bonne qu’à peu de chose, ne savait pas cuisiner ni travailler les champs. Et elle avait hélas hérité de mes traits grossiers, ce qui faisait d’elle un laideron difficile à marier. Mais j’avais pour espoir de la rendre vraiment séduisante par la dot qui serait grandis par la vente de mes bêtes.

 Mais voilà qu’alors que j’arrive devant la porte, on m’interpelle et m’apostrophe. « Et toi, là qui passe, tu te rends criminel ! » En effet c’était jour de justice. Et un fou avait choisi d’aimer une autre femme que celle à qui il s’était unit. Sa femme l’avait appris et avait demandés au prince de rendre justice. Et voilà l’homme qui devait être fouetté par chacun qui passait. Il était déjà exsangue et un coup de plus le tuerait. Moi qui étais simple je refusai d’abords de porter un coup, on me dit que si je ne le faisais pas, je serais fouetté également.

 Devant mon refus obstiné, la foule chargea et me roua de coup. Et alors que mes muscles souffraient, alors que mes os se broyaient, alors que je tentais de protéger ma tête, on me vola mes chèvres et on tua ma vache. J’assistai impuissant à son agoni, tout juste capable de survivre moi-même.

 Mais le bruit était grand et le prince, sans doute alerté par ce sinistre pugilat arriva. Les agresseurs chassés, je donnai ma version des faits et le prince sourit. Il dit alors : « Sais-tu Negulin que tu as agi selon l’Ordre et qu’eux étaient motivé par le Chaos. Il n’y a pas plus de justice dans leurs actes qui furent pensés sans loi que dans les tiens qui a agi pour refuser la loi. Mais il y a un déséquilibre, et ce déséquilibre je le refuse. Passe au trésor, on paiera tes bêtes au prix fort. Tel est l’enseignement de la Secte »

 Et ainsi fut fait… »

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