Chapitre premier. Partie I. Ter

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Ragne comptait les pas sur le chemin qui l’emmenait dans le palais. Partout autour de lui, la violence régnait. Il enjambait les cadavres sans même les voir. Un voile de distance s’était interposé entre lui et le monde.

 La fatigue l’encombrait. L’attaque avait mis des années à se planifier, il avait donné de ses nuits, il avait donné de son âme pour permettre à se plan d’éclore. Et aujourd’hui que la nuit l’enrobait de son suaire, la victoire avait un goût sinistre dans sa bouche. S’il le pouvait encore, Ragne, aurait pleuré. Lui qui hier était dieu parmi les hommes, lui qui hier était le passant mystérieux de l’âme des autres, il s’était condamné lui-même.

 L’escalier qui arrivait devant lui arracha une grimace. Son corps avait été altéré par le temps. Chaque usage de ses pouvoirs lui laissait un stigmate. Une peau ridée, des escarres, des os trop rouillés, voilà ce qui demeurait de ce long passage sur cette terre.

 Marche après marche, Ragne affrontait son plus grand ennemi de la soirée. A ses oreilles, ses grognements saturés semblaient plus affreux que les longs hurlements d’agonie qui dominaient la ville.

 L’ascension était d’une autre violence, visuelle. Chaque pallier comptait des poches de macchabés, un amas sinistre de corps jonchait l'entrée du palais. Ici, on avait dressé des piques pour clouer ceux qui avaient résisté, là un autre n’était plus reconnaissable tant l’acier l’avait meurtri. La Secte n’était connu ni pour sa pitié ni pour sa tendresse. Un adversaire était mort ou en sursis face à eux.

 Lorsqu’il passait devant ses malheureux, Ragne lançait son esprit délivrer leur âme de leur prison de chair. Et les conglomérats de lumières s’enfuyait trouver leur bonheur loin de cette ville désormais abandonné à la sauvagerie des hommes.

 Avec un soupir épuisé, Ragne acheva sa montée. Le palais surplombait la ville, c’était un édifice de marbre luxuriant qui n’avait pas été conçu, au grand dam de ses anciens occupants, pour la défense. On pouvait encore deviner, malgré les trainées de sang, les boiseries lustrées qui accueillait le visiteur en entrée. On pouvait aussi voir, sous les monticules de cadavres, le parquet d’un bois rouge et rare, sans doute importé du lointain sud. Ragne se souvenait du temps où il avait parcouru ses forêts braisillantes. Cela lui paraissait si loin, ses frères étaient encore debout, c’était dans une autre vie se rabroua-t-il afin de chasser la tristesse.

 Le marcheur se retourna pour contempler son œuvre. Ishar était en feu. Rien ne résisterait à la Secte. Il le savait, des dizaines de milliers de fanatiques rôdaient désormais dans la ville vaincu. Ce soir, les hommes se rallieraient à leur cause ou mourrait. Ce soir des femmes seraient violées par millier. Et la ville, qui avait assurée à sa péninsule une paix prospère, tombait sous les assauts de son ancienne création.

 Ragne incarnat une prière globale pour les âmes des morts. Puis il marcha, moitié ivre, moitié écœuré du charnier. Il parcourut le dédale du palais en automate qui souhaitait échapper à sa propre conscience. Il connaissait bien les lieux, voilà des mois que l’ancien gouverneur le logeait, trop heureux d’accueillir le Marcheur dans ses murs.

 « Je suis aujourd’hui le messager de la mort. » Sanglota Ragne avant de s’écrouler, sans un regard pour ses cartes qui s’amoncelaient sur son bureau, sur son lit. Il s’abandonna ainsi à un sommeil sans rêves. Il savait déjà qu’on viendrait le réveiller d’ici une poignée d’heures. Au fond de lui, il espérait simplement que les dernières personnes pour qui il entretenait de l’affection et qu’il avait embarqué dans ce projet avait survécut.

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