14. Les coqs et la ministre

8 minutes de lecture

Mathias

Un peu comme à l’époque où je me préparais pour une mission, mes gestes sont mécaniques et je ne réfléchis pas vraiment lorsque j’enfile ma chemise et la boutonne en me regardant dans le miroir. La veste suit, je mets mes chaussures, glisse ma montre à mon poignet, passe ma main dans mes cheveux à plusieurs reprises pour tenter de les discipliner et ajuste le col de ma chemise. Je glisse les mains dans mes poches et recule de quelques pas pour m’observer, un sourire aux lèvres. Pas mal, j’avoue.

Je ne pense pas me vanter, c’est une vérité. J’en joue souvent, j’avoue, mais j’ai aussi la tête sur les épaules et je n’en abuse pas. Sauf avec Miss Coincée. Elle… Elle me rend complètement dingue. Comment une nana aussi canon peut-elle être aussi insupportable ? En plus, elle envoie tous les signaux possibles. Elle veut me sauter à la gorge et me sauter tout court, c’est sûr ! Et franchement, si Julia n’avait pas rappelé le coup du “No zob in job”, je pense que je l’aurais détendue à coups d’orgasmes. Ouais, pas un seul, plusieurs, histoire qu’elle la boucle vraiment et qu’elle quitte son air coincé. J’avoue, j’ai très envie de la voir sourire niaisement après un décollage brutal pour le septième ciel. Au point que, rien que d’y penser, je suis dans l’obligation de me rajuster.

Je soupire en récupérant mon oreillette et installe le boitier dans ma poche arrière avant de glisser mon téléphone dans celle de ma veste. Les gars sont en train de discuter dans la pièce à côté, et je me demande encore comment on va pouvoir parvenir à communiquer avec deux langues différentes. J’ai cru comprendre que certains gars du groupe de Julia ne parlaient pas Français, et moi je n’y connais rien en silvanien. Merveilleux. Cette soirée me gonfle d’avance.

Je change de pièce pour retrouver la troupe installée autour de la table. Julia est déjà là, elle en profite pour passer les dernières consignes et alterne entre les deux langues. Franchement, je me fiche totalement de savoir qui la Gitane reçoit, pourquoi, et je ne parle même pas du menu du dîner. Je crois que je ne cache pas ma lassitude suffisamment bien, Florent me colle un coup de coude dans les côtes qui me fait grimacer.

Nous filons ensuite comme un seul homme en direction de la salle de réception, et tout le monde se disperse pour gagner son poste d’observation. Julia se pose à côté de moi en soupirant, et je prends le temps de la détailler un peu, constatant qu’elle semble encore et toujours fatiguée.

— Les nuits sont mauvaises avec Sophia ou tu bosses trop ? A moins que Zrinkak t’épuise à coups d’orgasmes ?

— Non, je crois que je suis juste trop stressée. Tu imagines la responsabilité que j’ai ? Je dois non seulement préserver la vie de ma boss, c’est assez normal, ça, mais c’est aussi la mère de mon mari et la grand-mère de mes enfants ! Et là, ça fausse tout, cette proximité émotionnelle…

— Je comprends, mais il va falloir respirer un coup, Lieutenant, parce que si tu fais un burn out, ça ne sera pas mieux. On continue d’étudier les dossiers, je suis sûr qu’on va réussir à dégoter des infos supplémentaires. Et niveau enquête, tu as des infos ? Tu ne bosses pas seule avec ton équipe là-dessus, rassure-moi ? Le Commandant n’est pas sur le dossier ?

— On est tous sur le dossier, mais on reste un pays jeune et avec des gens pas formés, débordés, ça n’avance pas. C’est pour ça qu’il faut profiter des soirées comme aujourd’hui pour s'entraîner dans la protection. Quand on ne peut pas prévenir, il faut assurer la suite.

Nous jetons un œil aux premiers invités qui se présentent à l’entrée et surtout aux hommes de la sécurité qui se chargent de les accueillir et de vérifier leur identité, alors qu’elle a déjà dû l’être au portail. Oui, trop de sécurité, mais les menaces sont réelles.

— Tes gars ont l’air de plutôt bien s’en sortir, de ce que j’ai vu jusqu’à présent. Ils sont sérieux, non ? Et je crois que se retrouver sous les ordres de la belle-fille de la Présidente, ça fait son petit effet. Ou alors c’est ton rôle dans le renversement du Président puis du Général qui te colle à la peau, peut-être ? chuchoté-je.

— Ils sont surtout très bien entraînés. Tu sais que je n’ai pas changé sur la préparation de mes troupes, répond-elle en souriant.

— Je n’en doute pas une seconde, tu aimes trop nous faire souffrir, m’esclaffé-je avant de grimacer. Il est sérieux, lui, il est vraiment en train de taper la causette avec Miss Coincée ? Tu les briefes à la drague aussi, à l’entraînement ?

Son regard suit le mien et elle fronce les sourcils.

— Non, surtout pas avec elle, même si ça ne m’étonne pas qu’elle soit aussi réceptive. Je crois que si elle pouvait se taper tout un régiment, elle le ferait. Heureusement qu’elle n’est pas ministre des Armées, tu sais ! Bref, envoie un message à Stefan pour lui dire de se concentrer sur la sécurité et pas sur le décolleté de la Ministre.

Un message, sérieux ? Je vais plutôt lui gueuler dans les oreilles. Il parle français, lui, c’est parfait ! Je recule de quelques pas pour ne pas être entendu des convives et approche le micro de ma bouche pour faire sursauter ce petit jeune aux hormones en pagaille.

— Stefan, je doute qu’un potentiel agresseur puisse se trouver dans le décolleté de la Ministre, alors je te conseille de faire ton boulot comme il faut si tu ne veux pas te retrouver derrière le portail du Palais à coups de pied au cul !

Je jubile de le voir sursauter et regarder partout autour de lui. Il ne maintient pas bien longtemps le regard quand il croise le mien et se crispe en se redressant, mal à l’aise d’avoir été pris la main dans le sac. Ou les yeux entre les seins ?

— Je me demande parfois comment tu as fait pour gérer tous ces mecs en rut, ris-je en revenant à côté de Julia.

— Je les ai tous mis dans mon lit, qu’est ce que tu crois, me rétorque Julia, le plus naturellement du monde, avant de pouffer.

— Putain, tu m’as oublié dans l’équation, oh ! Enfin… Non, techniquement parlant, je dois avoir plus dormi avec toi que les autres. Vous ne faisiez que dormir ? Parce que je me sens lésé si vous faisiez plus !

— Tu sais bien qu’à part Arthur, tu serais bien le seul à pouvoir me tenter, mon Chou. Mais tu ferais mieux de te concentrer plutôt que de t’évader dans de telles pensées. Je crois qu’il va falloir que tu ailles discuter avec la Ministre, elle n’a pas l’air de vouloir laisser Stefan tranquille. Moi, je garde un œil sur la Gitane.

— Vraiment ? Tu me colles dans les pattes de cette gamine ? bougonné-je. Tu cherches la merde, Ju !

— On est là pour s’entraîner, ce soir, et elle sera présente aussi au concert des Grâces Celtiques. Il faut qu’elle comprenne que nous avons une mission à accomplir, et toi, il faut que tu apprennes à la gérer. Alors, on ne discute pas et on obéit !

— Ne viens pas te plaindre si je la charge sur mon épaule pour aller la jeter dans une cellule ! Et je suis très sérieux, tu fais chier, Ju, je peux pas la voir et c’est réciproque !

Je grogne en m’éloignant, respire un coup pour tenter de me calmer alors que je fends la foule pour me planter devant les deux emmerdeurs qui viennent d’assombrir mon humeur et ma soirée.

— Stefan, je n’ai pas souvenir d’avoir vu passer dans la note du jour que tenir compagnie aux membres du Gouvernement faisait partie de nos missions du soir.

— Je connais mon métier, le Français. Je n’ai pas de leçon à recevoir de toi, alors retourne auprès de ton amie et laisse-moi faire mon travail à ma façon.

— Ce soir, vu le peu de monde qui est présent, il n’y a aucun risque en plus, ajoute Ysée qui me lance un regard clairement énervé. Vous êtes presque plus nombreux que les invités ! Stefan a au moins la gentillesse de me tenir compagnie.

Ok… On a parlé de self control… Ça part mal, vraiment très mal.

— Je vous la fais courte : ce soir est un exercice pour le concert, pour nous. Et il suffit d’une seule personne pour que la Présidente soit attaquée. Quant à toi, le Silvanien, les consignes ne sont pas passées pour les cuistots, à ce que je sache. Donc fais ton boulot comme il faut et pas à ta façon, parce que ce n’est pas la bonne. Tes yeux doivent être partout mais pas dans les décolletés, mon gars.

— Non mais, ce n’est pas parce que tu es un gros pervers que je le suis aussi ! Une femme, ce ne sont pas que ses seins ! Et si tu veux aller prévenir les cuistots, fais-toi plaisir, je ne t’en empêche pas ! Moi, je surveille la salle, comme Julia me l’a demandé. C’est elle, ma Cheffe, pas toi !

— Eh bien figure-toi que c’est ta Cheffe qui m’envoie, Ducon, marmonné-je avant de lui offrir un sourire provocateur. Et de toi à moi, j’ai dû loucher sur le décolleté de Madame quelques secondes, quand tu t’y noies depuis vingt minutes, donc… J’ai une bonne idée de qui est le pervers entre nous.

Bon, quelques secondes, plusieurs fois depuis qu’elle est entrée, j’avoue. Mais je suis clairement plus discret et au boulot, donc les coups d’œil sont furtifs. Faut avouer que sa robe leur fait un joli galbe aussi, elle cherche, non ? Merde, si Julia entendait mes pensées… D’un autre côté, c’est bien elle qui m’a dit qu’elle cherchait à se taper les uniformes !

— Non, mais c’est bientôt fini, ces discours sur ma poitrine ? s’indigne la concernée. Snow, allez vous occuper de vos oignons, et c’est un ordre direct du Ministère, c’est compris ? Je vous rappelle que vous n’avez qu’un visa touristique, pour le moment. S’il nous prend l’envie de le révoquer, ça sera vite fait !

Et c’est reparti… Madame sort les crocs. Que l’autre passe son temps le nez entre ses seins ne la dérange pas, mais que j’en parle, en revanche… Putain, profondément agaçante, cette nana. Excitante ? Je me réserve encore…

— Allez-y, mais je doute que la Gitane soit d’accord pour que je reparte, Miss Coincée. Quant à Julia… Elle risque de vous voler dans les plumes, et ce ne sera pas pour mater vos seins !

— Snow, tu manques de respect à la Ministre ! Je t’interdis de lui donner des sobriquets comme tu viens de le faire ! Venez, Madame, éloignons-nous de ce rustre qui n’a jamais appris les bonnes manières.

Je ricane en faisant demi-tour pour rejoindre Julia. Quel abruti, ce type. Quelque chose me dit qu’il compte la coller dans son pieu. Grand bien lui fasse, mais il devrait faire gaffe, elle mord, et selon où elle va planter ses crocs, il pourrait bien le regretter.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0