24. Entorse au protocole

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Mathias

Je me poste au niveau de la porte principale entre le hall et la salle, observant les gars qui vérifient l’identité des spectateurs et effectuent la fouille. Julia est partie avec deux de ses gars récupérer la Gitane, angoissée comme pas possible, la boule au ventre. Surtout qu’elle n’a pas réussi à convaincre Arthur de ne pas venir. Bon, ce n’est qu’un grain de sable supplémentaire dans son rouage déjà grinçant. Je comprends que ce soit compliqué à gérer pour elle, mais je ne l’avais jamais vue être aussi déstabilisée par le personnel dans le cadre pro, et ça me fait bizarre. Il faut croire que devenir parent remet tout en question. Heureusement, pas de mioche pour moi, au moins, je ne suis pas au bord de la crise de nerfs. Sauf quand je croise Ysée. Elle est aussi bandante qu’insupportable, et plus ça va, plus mon envie de la coller dans mon lit augmente. Ouais, je rêve de la faire taire. Je voudrais qu’elle ravale sa langue de vipère, ou la sorte pour quelque chose de bien plus agréable. Quoique, j’aurais trop peur qu’elle plante ses crocs là où ça fait mal. J’en grimacerais presque. Non, vraiment, je me demande à quel moment elle s’est dit que je l’insupportais, sur quels critères ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal, au juste ?

Je me reconcentre sur la foule qui s’amasse dans le hall et grogne en voyant que les gars font rentrer trop vite les gens. Ils ont tous un QI d’huîtres dans l’équipe ou quoi ? Dire que Stefan voulait qu’on les augmente plutôt que de nous engager, la bonne blague.

D’ailleurs, il joue sur tous les tableaux, lui, c’est dingue. Le mec doit être sous viagra, non ? Après les Grâces cette nuit, il a souri à la Ministre en lui lançant un regard qui voulait clairement dire qu’il était prêt à la culbuter dans les coulisses. Il doit avoir une addiction pour le sexe, pas possible autrement. Et elle, elle fonce dedans sans souci, je suis sûr. Je devrais peut-être dire à la jolie brune cinglée que c’est lui qui a trempé sa nouille dans chacune des chanteuses, mais j’aime trop la voir outrée et l’énerver encore davantage… Je dois être un peu maso, parce que la voir s’emporter avec moi m’excite… Autant que ça m’agace… Et depuis qu’elle m’a embrassé… Ouais, j’avoue qu’elle m’a collé une trique d’enfer. Rien qu’avec un baiser… La dernière qui m’a fait cet effet, c’était elle, cette autre dont je ne veux plus entendre parler. On voit ce que ça a donné.

J’ai trop la tête ailleurs, moi, elle m’obsède, cette nana. Nouveau soupir, nouvelle tentative de concentration, et cette fois-ci, l’attitude d’un mec dans la file d’attente pour être fouillé m’interpelle. Je m’approche doucement de Sébastien et regarde totalement ailleurs en lui parlant à l’oreille.

— Fouille bien le gars à la chemise bleue, il regarde partout et ça ne me semble pas être de la curiosité.

Il acquiesce et poursuit sa tâche comme si de rien n’était alors que je recule pour ne pas attirer l’attention du type. Je ne devrais pas m’attarder sur Seb, je le connais, je sais qu’il fait son boulot comme il faut, il a toute ma confiance. Je devrais davantage me concentrer sur les hommes de Julia, mais je préfère avoir l’œil partout, ça vaut mieux. Espérons que la Ministre ne débarque pas, elle a le don de me griller les neurones et de me déconcentrer rien qu’en ouvrant cette bouche qui pourrait faire et dire tellement de belles choses plutôt que de cracher des horreurs…

Il faut vraiment que j’arrête de penser à elle. C’est une nana insupportable. Oui, rien que ça.

Sébastien s’applique à bien fouiller le type comme demandé, et j’observe au loin ses vêtements et son attitude. Il n’a pas de sac à dos, juste une chemise et un pantalon qui ne semblent rien cacher de particulier, mais c’est son attitude qui m’interpelle. Il regarde partout autour de lui comme s’il cherchait quelque chose, comme s’il s’inquiétait, comme si… Je ne sais pas, ça me semble louche.

— RAS Snow. Il est un peu éméché, mais n’a rien sur lui.

J’acquiesce en entendant la voix de mon homme dans mon oreillette sans pour autant quitter le gars des yeux alors qu’il s’engouffre dans la salle.

— Trois minutes, Mat.

Julia, à travers le talkie-walkie. Présidente en approche. J’informe Flo et Jérémy qui sont déjà postés au carré VIP, avant de prévenir ceux du hall que je décroche pour me rendre à l’issue de secours qui servira à accueillir Marina. Je traverse la salle qui se remplit à vitesse grand V alors que j’avale un petit shot d’adrénaline. La Lieutenant a réussi à me stresser, j’ai hâte que cette soirée soit finie, mais j’avoue qu’après une semaine ici, je suis surtout content de faire autre chose qu’analyser des dossiers et faire des entraînements. Et puis, j’adore bosser à nouveau avec Ju, ça me manquait. Certes, nous sommes loin du terrain comme on l’entendait avant qu’elle ne décide de se ranger, m’embarquant avec elle à la retraite, on est bien loin du front et des ennemis en visu armés comme pas possibles, mais les réflexes sont toujours là. J’ai l’impression de pouvoir scanner chaque personne présente, d’analyser tout mouvement pour décider s’il est suspect ou non. Et j’adore ça.

— Putain, Mat, Marina fait chier, elle est descendue de la voiture au stop pour entrer par devant !

Je jure et fais demi-tour en vitesse pour regagner le hall. Elle va nous tuer. Toujours aussi dingue, la Gitane, merde ! Je récupère le talkie après avoir averti tout le monde à travers l’oreillette, tout en me faufilant à travers la foule.

— J’arrive, Ju. Prenez la deuxième porte, c’est Seb qui gère. Terminé.

Forcément, elle veut se taper un bain de foule, la Présidente. Ben oui, autant lancer sa campagne en grande pompe. Elle est terrible.

— Libère le passage sur ta file, Seb, qu’on ne se retrouve pas acculé de partout.

Je pousse sans ménagement ceux qui ne me laissent pas passer dans le hall et fusille Marina du regard en tombant sur elle, à peine sorti.

— Vous êtes dingue, grommelé-je. Une vraie folle, putain. A quoi ça sert de passer des jours à organiser les choses ?

— Il faut bien vous occuper un peu, vous les jeunes, répond la Présidente aux anges.

— On en discutera plus tard, Mat, soupire Julia. Formation serrée, les gars.

— Ouais, on dira ça à vos petits enfants quand vous vous serez pris une balle, marmonné-je. Elle voulait pas qu’on s’ennuie ! Magnifique !

Julia blêmit à vue d’œil et je m’excuse d’un regard avant de lui tourner le dos. Forcément, l’arrivée de la Présidente induit un mouvement de foule. Puisqu’elle ne peut pas la jouer discrète, en prime. Elle salue, tout sourire, alors que nous l’encadrons, main sur notre arme, aux aguets comme pas possible. Si elle fout tout en l’air et reste en vie, je jure de l’étrangler moi-même !

Seb a évidemment fait son boulot et libéré le trajet, je lui fais signe de bien refermer derrière nous et dirige la Présidente vers le carré VIP dès que nous entrons. J’entends Julia la menacer de la priver de ses petites-filles jusqu’à sa mort si elle dévie du trajet et soupire de soulagement lorsque nous arrivons au carré VIP où Arthur est déjà installé. Je me poste à ma place et souris alors que Marina se fait gronder comme une enfant, par son fils et sa belle-fille. Bien fait, même si je suis sûr qu’elle s’en fout totalement. Au moins, Ju passe ses nerfs sur elle, elle sera sans doute plus détendue après ça.

Je ne peux m’empêcher de scanner la foule des yeux. Évidemment, l’arrivée de la Gitane attire les regards, beaucoup sont tournés dans notre direction et ça n’arrange pas mes affaires.

— Elle va me tuer, marmonne Julia en se postant à mes côtés.

— Si on ne crève pas à cause d’elle avant. Comment tu fais pour bosser avec elle, sérieux ? Trois ans bientôt, à ta place je l’aurais déjà achevée, moi.

— Je pense que la terroriste la plus dangereuse, ce soir, c’est moi. Si elle résiste à mes envies de meurtre, je crois qu’elle peut résister à tout.

— Est-ce que je dois te menotter et t’arrêter ? Tu sais que j’ai toujours rêvé de te passer les menottes et de te soumettre à tous mes désirs, Lieutenant Sexy, lui lancé-je pour tenter de la dérider, prenant mon air séducteur.

— Tu sais bien que si l’un de nous doit porter des menottes, ça serait toi. Je suis une femme libre, moi. Mais arrête donc de fantasmer un peu et concentre-toi. Vu le monde, le risque est quand même au maximum.

— J’ai beau être un homme, je peux faire deux choses à la fois, tu sais ? Mais évite de me coller dans la tête une nuit à ta merci, tu me fais bander, Ju.

— Arrête de dire des conneries et concentre-toi un peu, répond-elle en souriant. Le concert va commencer !

— Oui, Cheffe. Je vais chercher la Ministre ronchonne d’abord, elle est encore en coulisses et j’aimerais bien éviter qu’elle se balade sans protection, même si j’adore l’idée qu’elle soit en train de m’attendre en rageant.

Je souris comme un gosse alors qu’elle lève les yeux au ciel, et quitte la zone VIP pour rejoindre l’entrée des artistes où effectivement, Ysée est adossée contre le mur, les yeux sur de la paperasse.

— C’est l’heure de venir profiter du show, Madame la Ministre.

— Déjà ? Mais il n’est que… Oh ! Déjà ! Je n’ai pas vu passer l’heure avec tout ce qu’il y a à faire. Tout est en ordre ? Vous faites quoi, ici ? Vous n’êtes pas en train de protéger la Présidente ?

— Vous allez traverser la foule pour rejoindre la Présidente, il faut bien que quelqu’un veille sur vous, non ? Tout va bien en salle, tout le monde est content, sauf Julia parce que sa belle-mère n’en fait toujours qu’à sa tête, grimacé-je en approchant. Vous êtes prête, on peut y aller ?

— Je ne risque rien, moi, personne ne s’intéresse à la Ministre, répond-elle sans que je sache si ça lui convient ou si elle est un peu amère.

— Sans vouloir vous vexer, vous avez tort, Ysée. C’est le Gouvernement au complet qui est visé, on n’est jamais trop prudent. Je vous laisse passer devant, je vous suis à la trace. C’est bon pour vous ?

Elle lève les yeux au ciel, clairement pas ravie de ma proposition.

— Si ça vous fait plaisir de mater mes fesses, au moins, l’un de nous sera heureux. Allons-y.

— Je bosse, Madame la Ministre. C’est la foule que je vais mater, aujourd’hui.

Du moins, je vais essayer. L’insinuation que j’aie pu la reluquer à un autre moment semble être comprise, son regard se trouble un instant avant qu’elle s’engage dans la salle. Comme prévu, je ne laisse que quelques centimètres entre elle et moi et surveille de près ce qui se passe devant elle alors qu’elle se faufile à travers la foule.

Je ne suis rassuré qu’une fois qu’elle s’installe aux côtés de la Gitane, et peux me poster dans le coin droit du carré VIP pour observer la foule. Les lumières s’éteignent à peine quelques secondes après que je suis installé et les discussions laissent place à des cris et des sifflets de joie à peine les spots de la scène laissent apparaître les trois folles aux voix magnifiques.

Je comprends un peu mieux les mecs postés au bas des gradins dans un stade. Les gars tournent toujours le dos au terrain, ce qui doit être terriblement frustrant. Ce soir, je ne suis pas dos à la scène, et la tentation est grande de profiter du concert visuellement aussi. Les Grâces sont envoûtantes, et je ne parle pas que de leurs voix. Ces femmes doivent être sous cocaïne, elles ont passé la nuit avec Stefan et pourtant, elles sont à fond, elles dansent ensemble, motivent un public déjà bien en forme. J’avoue que je préfère largement ce concert au ballet de la semaine dernière.

La première partie se passe merveilleusement bien et tout le monde est émerveillé et ravi du spectacle qu’elles nous offrent. Elles sont dans le ton et parviennent à entraîner la foule dans des reprises de tubes qui ont l’air connus de tous les présents. Moi-même, je me surprends à fredonner certains refrains entrainants. Lorsqu’elles arrivent au dernier morceau avant l’entracte, les applaudissements sont tellement fournis qu’elles reviennent devant nous et, sur un signe d’Erin, reprennent un morceau A capella qui est tout simplement magnifique et plein d’émotions.

Nous profitons de l’entracte pour nous dégourdir les jambes et, forcément, la Gitane offre de nouveaux cheveux blancs à mon amie en se levant pour saluer tout le monde avant de vouloir descendre prendre un bain de foule, chose que nous parvenons à éviter. C’est comme si elle cherchait les ennuis, c’est dingue…

Heureusement le concert reprend vite et j’alterne à nouveau entre la scène et le public. Je reste professionnel sans pouvoir m’empêcher de jeter des coups d’œil plus ou moins brefs sur scène. Je détourne une nouvelle fois le regard pour me replonger dans l’observation du public malgré la pénombre et fronce les sourcils en tendant l’oreille. J’ai l’impression d’entendre des percussions qui ne sont absolument pas dans le rythme de la chanson en cours. Et tout vrille en un quart de seconde. J’ai à peine le temps de croiser les regards perplexes et inquiets de Julia et Florent que les portes qui donnent sur le hall s’ouvrent avec fracas. Du moins, j’imagine, tout est couvert par la musique, mais avant même que nous puissions réagir, les coups de feu pleuvent et les hommes cagoulés s’insinuent dans la foule. Ils sont trop nombreux pour qu’on les abatte rapidement, et les gars s’égosillent déjà dans mon oreillette, paniqués, tandis que je me précipite en direction du groupe de VIP. Julia crie des ordres aux hommes en poussant Arthur au sol, Florent se poste pour viser les assaillants, et moi j’attrape la main de la Présidente pour la coller par terre, faisant de même avec Ysée qui était installée à côté d’elle, faisant barrière de mon corps comme je peux pour les deux femmes. Il y a du sang. Putain, on a carrément merdé.

— Julia ! Marina est touchée !

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