39. Le lac des beaux regards

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Ysée

Lorsque je me réveille, j’ai l’impression d’avoir rêvé ma rencontre nocturne avec Mathias. Ce n’est pas possible qu’on ait autant parlé sans s’accrocher ou se disputer comme on le fait d’habitude, si ? Mais il était loin du personnage habituel, un peu comme si l’obscurité lui avait permis de laisser de côté ses protections auxquelles je me suis habituée. Ou alors, c’est juste moi qui étais différente. Bref, je ne sais pas d’où tout ça est venu, ce que je sais en revanche, c’est que notre échange m’a fait du bien et que j’ai fini ma nuit de manière sereine. C’est quand même agréable de savoir que quelqu’un veille sur soi, même quand on dort.

Je descends et souris à Florent qui a repris la veille et s’est positionné à son endroit habituel.

— Je te fais un café, Florent ? lui demandé-je doucement.

— Je ne dis pas non, merci, Ysée. Il fait bon, tu devrais venir prendre ton petit déjeuner sur la terrasse.

— Oui, j’arrive, mais il est déjà tard, je vais aller réveiller les filles et on prendra tous ensemble notre petit déjeuner dehors.

Quand nous nous retrouvons dehors, je suis surprise de constater que Mathias est déjà installé en train de servir le café et le chocolat chaud des enfants.

— Déjà levé ? Tu ne dors donc jamais ?

— Ça m’arrive, mais je ne suis pas un gros dormeur. Et je préfère être debout avant la maisonnée, je ne suis pas loquace, le matin, j’ai besoin d’être tranquille un moment avant de socialiser. Un vrai calvaire, à l’armée, d’ailleurs. Et ta fin de nuit ?

— J’ai dormi comme un bébé et je suis en forme, merci.

Il est le seul à comprendre que les remerciements ne sont pas qu’une forme de politesse, mais aussi un signe de ma reconnaissance pour son attention quand il est venu me retrouver. Les filles sont un peu tristes que leurs parents soient repartis et nous nous mettons rapidement d’accord pour aller passer la journée au lac de Beauregard qui se trouve à quelques kilomètres de la datcha de mes parents. Dès qu’on parle de se baigner, Lila et Sophia retrouvent le sourire, ce qui fait vraiment plaisir à voir. Elles l’ont encore plus quand les deux ex-militaires indiquent qu’ils vont se joindre à nous… Et peut-être que moi aussi, je suis heureuse de passer ce temps avec eux. Je sens que nous allons bien nous amuser.

Quand nous arrivons sur le parking, Snow tient à sécuriser l’endroit avant que nous ne descendions et nous le regardons faire un petit tour avant de nous confirmer que nous pouvons sortir.

— Tu es obligé de toujours jouer au soldat ? Que veux-tu qu’il nous arrive ici ? On vient tout juste de décider de notre destination, personne ne peut nous attendre ici, tu sais ?

— Tu es obligée de toujours te plaindre de ce que je fais ? rit-il. Arrête de poser des questions, je ne te demande pas la mer à boire, on vient de perdre quoi, une minute sur le timing pas du tout organisé de la journée, c’est si terrible ?

— Non, du tout, mais tu peux te détendre, Beau Blond. Ici, tout ira bien. Profite aussi de ta journée. C’est tout ce que je voulais te dire.

— Bien M’dame, me lance-t-il en faisant un salut militaire, le sourire aux lèvres. Qui grimpe sur mon dos ? Tonton Mat doit se détendre, j’ai besoin de vous, les filles !

— Moi ! s’écrie Lila en lui montant immédiatement dessus.

Sophia prend une mine déçue mais quand Florent lui fait signe, elle se précipite sur lui et c’est une course folle vers la plage qui s’engage entre les deux hommes et qui est facilement remportée par celui qui a pris la plus petite. Je les suis tranquillement à distance et nous nous installons près de l’eau.

— Lila, Sophia, avant de foncer dans l’eau, on n’oublie pas la crème solaire !

— On peut pas aller un peu nager avant ? bougonne Lila.

— Nope, la sécurité avant tout, demoiselle, lui lance Mathias en me tendant la main. Je peux avoir la crème, Ysée ? J’adore tartiner le corps des gens.

Je lui tends et constate que finalement, les deux filles ne sont pas mécontentes de passer sous les mains de leur tonton adoré qui s’exécute avec patience et attention avant de les relâcher. Elles foncent avec Florent dans l’eau et moi, je me tourne vers lui en souriant et en papillonnant des yeux.

— Je peux bénéficier de ton expertise et te laisser me protéger aussi bien que tu l’as fait pour Lila et Sophia ?

— Madame la Ministre veut profiter de mes mains expertes ? Comment refuser ! Tu es sûre de toi ? Je ne voudrais pas te mettre dans tous tes états, me rétorque-t-il en haussant les sourcils de manière suggestive, apparemment taquin aujourd’hui.

— Ne t’inquiète pas, si tu me mets dans tous mes états, j’irai me refroidir en allant me baigner.

Je viens m'asseoir devant lui et lui présente mon dos. Mathias ne s’active pas immédiatement, mais pose finalement ses mains chaudes sur mes épaules, en contraste total avec la fraîcheur de la crème qu’il commence à étaler avec délicatesse. Je sens ses pouces passer et repasser sur ma nuque comme s’il me massait plus qu’il ne me protégeait du soleil, et courbe davantage le dos lorsque ses paumes dévalent lentement ma colonne vertébrale et s’en écartent pour passer sur mes flancs.

— Vous avez l’air tendu, Madame la Ministre, souffle-t-il à mon oreille, un sourire dans la voix.

— Je le suis beaucoup moins depuis quelques secondes. Tu sais que tu pourrais faire carrière comme masseur, Mathias ? Cela fait un bien fou. Tu veux que je te retourne la pareille quand tu as terminé ?

— Ça dépend… Tu sauras te tenir ? pouffe-t-il en remontant ses mains sur mes épaules, reprenant ses caresses sur ma nuque.

— Je ne sais plus, Mathias, tu m’empêches de réfléchir, là.

— Doigts magiques, que veux-tu ! s’esclaffe-t-il en se levant avant de me tendre sa main. Allez, à l’eau !

Après tous ses discours sur la protection, lui fonce sans prendre la peine de s’enduire de crème solaire et il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits. Doigts magiques, c’est le moins que l’on puisse dire. S’il avait continué quelques minutes de plus, j’aurais eu du mal à ne pas lui sauter dessus.

Je ris de le voir hésiter à pénétrer dans l’eau qui reste fraîche alors que moi, je fonce et plonge, prenant un malin plaisir à l’éclabousser au passage. Quand il émet un grognement d’énervement, je me redresse non loin de lui et fais exprès de me secouer pour l’arroser encore plus.

— Monsieur est frileux ? Il a été échaudé qu’il craint l’eau froide ? ajouté-je, fière de connaître ces expressions françaises qui m’ont toujours fait sourire.

— On ne t’a jamais dit qu’il fallait entrer doucement dans l’eau, pour ta sécurité ?

— On ne t’a jamais dit que tu étais un rabat-joie, parfois ? Allez, les filles, aidez-moi à éclabousser votre tonton ! A trois contre lui, il n’aura aucune chance !

— Hop hop hop, gronde Mathias en m’éclaboussant, n’y pensez même pas, petites fouines !

Avec l’aide de Lila et Sophia, nous parvenons à le mouiller tellement qu’il finit par se résigner et plonge pour échapper à notre attaque. Je le sens me frôler la jambe sous l’eau avant de ressortir un peu plus loin à côté de Florent qui observe la scène en riant. Les deux sont bien musclés et la vision n’est pas pour me déplaire. Les filles n’ont pas le même intérêt et Lila s’occupe de sa sœur en l’aidant à flotter.

— Lila, tu ne la lâches pas, hein ? Et tu me dis quand tu en as assez, il ne faut pas la laisser sans surveillance à son âge !

— Qui est-ce qui joue l’agent de protection, là ? ricane Mathias.

— C’est juste que j’ai envie de profiter un peu de l’eau avant de me concentrer sur la petite, mais il faut faire attention. J’adore nager et je veux juste prendre quelques minutes pour moi. Tu sais que personne au lycée ne nageait plus vite que moi ?

— Je demande à voir ça, sourit-il. Flo, tu surveilles les filles ? On revient et je prendrai le relais !

— Oui, Chef !

— On fait la course, Madame la Ministre ?

Son petit air sûr de lui, même s’il m’excite un peu, m’énerve aussi, comme s’il ne croyait pas en mes capacités de nage. Il faut dire qu’après l’expérience des armes à feu, je comprends qu’il puisse douter un peu de moi, mais bon, là, je suis quand même en terrain plus connu.

— Seulement si le gagnant remporte quelque chose, le défié-je.

— Et qu’est-ce que tu proposes ?

— Une journée sans corvée à la maison et… Comme je vais gagner, un autre massage ! Ça te va ?

— Ok, ça me va. J’ai hâte de me faire masser !

— Prépare tes doigts magiques, plutôt. Tu vois le plot, là-bas ? Il faut aller le toucher et revenir. Le premier de retour auprès de Florent gagne. Flo, tu lances le départ ?

— Ok, mais essayez de ne pas vous entretuer sur le trajet, hein ? Prêt ? Trois… Deux… Un… Partez !

Je m’élance aussi vivement que possible mais Mathias, plus costaud que moi, a pris une meilleure impulsion et me devance dans cette course improvisée. Cependant, quand je parviens à le rattraper facilement, le regard étonné qu’il m’adresse vaut toutes les richesses du monde. Il m’a sous-estimée et je suis contente de le voir se mettre à forcer sur ses bras pour tenter de refaire son retard. Malheureusement pour lui, c’est vraiment une de mes forces et je me permets, avant de revenir près de Florent de faire une courte pause, le temps de lui lancer.

— Alors, on fatigue ? La sécurité n’est pas assurée, là, Mathias !

Je me relance et parviens sans difficulté à atteindre Florent en premier, sous les applaudissements des deux filles.

— Tada ! J’ai gagné ! A moi, le massage !

— Bien joué, Madame la Ministre, soupire Mathias, essoufflé. J’aurais dû prendre une option plongée à l’armée.

— Et toi qui pensais que ça serait facile de me battre, me moqué-je. Tu vois, c’est ça quand on a à faire à une professionnelle de la nage comme moi !

— Tu m’as menti sur la marchandise, ce n’est pas très loyal et ça mérite une correction, fais gaffe.

— Une correction ? Encore faudrait-il que le petit vieux essoufflé que tu es soit en capacité de me rattraper !

Malheureusement pour moi, il ne me laisse pas le temps de m’échapper à nouveau et se jette les bras en avant pour tenter de me couler. Je fais un pas en arrière mais ne suis pas assez vive et il parvient à poser ses grandes mains sur mes épaules. Lorsqu’il appuie avec force, je ne peux rien faire et retiens ma respiration quand ma tête se retrouve totalement immergée. Heureusement qu’il me relâche rapidement et je peux ressortir en m’ébrouant.

— Tu triches ! l’accusé-je en tentant à mon tour de le faire couler, mais la chance n’est vraiment pas de mon côté car il a pied et tout ce que j’arrive à faire, c’est à me soulever au-dessus de lui alors qu’il éclate de rire.

Dans cette lutte où la force brute est essentielle, je n’ai aucun moyen de le surpasser et tente de de me débattre quand il referme ses bras autour de moi pour m’empêcher de m’enfuir. J’essaie de le repousser mais ne parviens à rien d’efficace. Tout ce qu’il se passe, c’est que nos corps se touchent, nos mains se retrouvent, nos peaux se frôlent. Et c’est excitant à souhait.

— C’est bon, je hisse le drapeau blanc ! Aie pitié, Mathias ! crié-je sous les rires des filles et de son collègue.

— Dommage, c’était plutôt sympa, se moque l’intéressé en me relâchant malgré tout. Va nager, la sirène, je gère les filles.

C’est fou ce que ça me fait plaisir, ce petit surnom de sirène, et je ne peux m’empêcher de lui répondre d’un grand sourire avant de m’élancer à nouveau vers le large. Je ne me fais pas prier pour profiter un peu de cet instant où je peux oublier toutes mes responsabilités. Je ne sais pas ce qu’il se passe avec Mathias, mais je commence un peu trop à m’habituer à ne pas me disputer avec lui. Et soyons honnêtes, à flirter aussi avec le beau blond à la magnifique musculature qui n’a pas l’air de s’en plaindre. Heureusement que l’eau est fraîche car cela nous empêche de nous brûler alors que nous jouons clairement avec le feu.

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