43. Chapeau de paille et yeux perçants

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Ysée


Le jour se lève et, une nouvelle fois, ce sont les pépiements des oiseaux qui me réveillent. Je crois que je pourrais écouter ce doux bruit chaque jour jusqu’à la fin de ma vie tellement j’aime ça. Je m’étire et j’entends le bruit mat d’un objet qui tombe au sol. Je me penche sur le côté de mon lit et souris en voyant mon jouet que je récupère en me souvenant que j’ai passé la soirée à m’en servir. Et non, je n’avouerai à personne que je me suis donné du plaisir en pensant à cet abruti de Mathias qui m’a laissée comme une conne alors que je me serais donnée à lui avec joie. Bref, j’hésite un instant à recommencer avant de me lever mais je suis raisonnable et passe à la salle de bains pour le nettoyer et le ranger, bien sagement, dans mon tiroir.

Lorsque j’arrive dans la cuisine, je suis accueillie par les deux Français qui lèvent les yeux de leur café en même temps. J’éprouve une petite satisfaction en les voyant reluquer mes jambes nues et me fais un malin plaisir à aller faire la bise à Florent tout en ignorant superbement Mathias.

— Bonjour, les mecs. Bien dormi ? Prêts à une nouvelle journée d’inaction et d’oisiveté ?

— On sort, aujourd’hui, me lance Florent après avoir partagé un regard avec son collègue. On va aller en ville.

— En ville ? Tous ensemble ? Mais pour quoi faire ? demandé-je, peinant à cacher mon excitation à l’idée de cette sortie.

— On en a marre d’être en silence radio. Il faut que j’appelle ma femme, sinon je vais avoir les papiers du divorce posés sur mon bureau en rentrant, rit-il. Donc on va aller acheter un téléphone. Et puis, ce sera l’occasion de se balader un peu, de faire visiter les filles, même s’il faut qu’on soit discrets.

— Excellente idée ! On part à quelle heure ? Je vais réveiller les filles tout de suite ?

— Attends, Ysée, soupire Florent. Il faut… Comment dire… Disons que tu es un visage connu du Gouvernement, alors, si tu veux venir… Il faudrait que tu puisses passer incognito, tu vois ?

Je me suis assise en face de Mathias qui n’arrive pas à détourner le regard de l’échancrure de mon petit top. Je crois bien que ça fait une minute entière qu’il est avec son morceau de pain à la main, trop occupé à me mater pour le mettre en bouche. Cela me fait un plaisir fou et, avant de répondre à Florent, je me moque un peu de lui.

— On dirait que tu préfères plus mon décolleté que mes fesses, toi ! Ferme la bouche, sinon tu vas finir par avaler une mouche. Et, ajouté-je ne me tournant vers son collègue qui se marre, je fais comment pour passer incognito ?

— Eh bien, l’idée serait qu’on arrive à te déguiser pour que personne ne te reconnaisse, poursuit Florent avec le sourire aux lèvres alors que Mathias me fusille du regard en quittant la table.

— Ça va être dur, non ? Tu as quoi en tête ? lui demandé-je, intriguée.

— Franchement, c'est faisable. Je vais te filer mes lunettes de soleil, on va bien te trouver une tenue dans les armoires, et puis… Y a ce chapeau, là, sur le mur. Tu crois que tu pourras le supporter une journée ?

Je regarde le chapeau de paille que mon père utilise pour aller au jardin quand il est là et une idée un peu perverse me traverse l’esprit.

— Pourquoi pas, oui, ça pourrait être marrant. Et pour encore mieux me dissimuler, on pourrait jouer au petit couple avec ses enfants, non ? Mathias, tu en penses quoi ? Toi et moi, bras dessus, bras dessous ?

— Hein ? Ben voyons, ricane-t-il en se passant la main dans les cheveux. Avec ça sur la tête ? Hors de question.

— Mais non, le chapeau, c’est pour moi ! Et je sais que mon honneur sera sauf et que je ne risque rien, même en portant un couvre-chef aussi sexy ! me moqué-je. On part à quelle heure, alors ?

— Dans une heure, bougonne Mathias. Je vais réveiller les filles.

— J’espère que tu prendras des photos, Flo, ça va donner, cette visite. A tout à l’heure, je file me préparer.

— Je vais surtout prendre des photos de la tronche de Mat, ricane-t-il. Ne traînez pas trop, j’aimerais bien qu’on ne rentre pas trop tard, je suis crevé, moi.

Je rigole et file prendre une douche rapide puis je choisis une vieille robe qui appartenait à ma mère et qui me vieillit juste par son aspect un peu désuet. Elle est un peu serrée au niveau de la poitrine, mais je trouve qu’elle me met bien en valeur et je souris intérieurement en me disant que ça va encore plus perturber Mathias. J’enfile le chapeau de paille et me retrouve devant les filles et leur tonton, le sourire aux lèvres.

— Tada ! Personne ne peut me reconnaître, si ? Je suis belle, comme ça ?

— Il est bizarre, ton chapeau, rit Sophia. Mais ta robe est jolie !

— Parfait, sourit Florent en me tendant ses lunettes. Ni vue, ni connue, Madame la Ministre !

— Et qu’en pense mon petit roudoudou d’amour ? demandé-je en me penchant vers lui pour déposer un petit baiser sur son nez. Nous sommes crédibles en tant que mari et femme ?

— Eh bien, si t’es une cougar tout droit sortie de la campagne profonde qui est allée chercher son mari dans la capitale de la mode, ouais, ça doit pouvoir passer. Espérons que les Silvaniens ne soient pas trop futés, quoi.

— Une cougar ? m’indigné-je avant de me calmer devant son air satisfait. Putain, tu es con. J’essaie de me vieillir, justement, pour donner l’impression qu’on est de la même génération !

— Hum… Pas besoin de te vieillir pour ça, juste de mûrir, j’imagine. Ce serait plus utile.

— Bon, on y va ? nous interrompt Florent en levant les yeux au ciel. Insupportables, ces deux-là.

Nous prenons la voiture et faisons le voyage vers la ville presque en silence. Seules les filles s’amusent et discutent de tout et de rien. Sophia s’extasie devant chaque poule que nous croisons et c’est divertissant de la voir ainsi s’émerveiller devant ces choses que nous ne voyons même plus.

Arrivés en centre ville, Mathias ouvre sa portière et vient m’ouvrir, avec un petit air narquois. Il me tend la main pour que je m’en saisisse et sourit de toutes ses dents.

— Quoi ? Tu n’as jamais vu une femme avec un chapeau ou quoi ?

— Je vis à Paris, Ysée, les chapeaux comme ça, non. Mais… Ça te va plutôt bien, je crois qu’il n’y a que toi pour porter tout ça et ne pas avoir l’air totalement ridicule.

— Ça fait star de cinéma en vacances, non ? demandé-je en passant près de lui.

Je ne peux m’empêcher de noter qu’il continue à me mater et il me donne l’impression de perdre la faculté de parler quand je suis à côté de lui. Je profite de sa surprise pour laisser mon doigt glisser contre son torse et m’amuse du frémissement que je devine. J’adore le tenter comme ça alors que je sais qu’il n’y a rien à attendre de moi. Je ne me laisse pas avoir par un mec qui me rejette comme il l’a fait hier soir ! Impossible !

— Star de cinéma en vacances ? Je… Heu… Si tu le dis, pouffe-t-il en passant son bras autour de mes épaules. Donc, nous sommes tes bodyguards ?

— Toi, tu es mon roudoudou chéri, minaudé-je en souriant, et lui, c’est le garde du corps ! indiqué-je. Et les filles, vous êtes des princesses en vacances ! Faites-vous plaisir !

— Oui, bon, on y va mollo, quand même, soupire Mathias. L’idée c’est de ne pas faire de vagues. Le chapeau n’était peut-être pas une bonne idée pour ça, d’ailleurs. Sérieux, on dirait un épouvantail. Tu fais peur, Ysée.

— Oui, il a raison, Tonton ! Un épouvantail ! Tu vas faire fuir tous les oiseaux !

— Et arrêtez de vous coller comme ça l’un à l’autre, ce n’est pas crédible, renchérit Lila. On y va, plutôt que de parler pour ne rien dire ? J’ai hâte de voir les nouveaux téléphones !

— Allons-y, mais ne t’emballe pas, beauté, il va falloir attendre pour appeler tes parents, trop risqué, soupire Mathias en me relâchant pour l’attirer contre lui. Je suis désolé.

— Bon, ce n’est pas qu’on n’est pas bien, ici, mais on a une carte pré-payée à acheter ! Allons-y ! nous interrompt Flo qui a l’air beaucoup plus stressé que nous.

Nous le suivons et profitons d’être incognito pour déambuler dans les rues du centre ville qui est très pittoresque. Il n’y a pas de touriste car ils ne sont pas encore de retour, mais il est évident qu’une fois la situation calmée au niveau géopolitique, ils vont revenir et profiter des petites rues ombragées, des magasins de souvenirs tous fermés lors de notre passage et des terrasses toutes plus accueillantes les unes que les autres.

Nous achetons deux recharges dans le magasin de produits généraux qui se situe près du commissariat et nous continuons notre petit chemin quand mon regard croise celui d’un policier en uniforme. Le type est entre deux âges, les cheveux grisonnants, et des yeux d’un bleu glacial qui me transpercent, comme s’il lisait en moi et savait exactement qui j’étais. Je fais mine de rien mais je panique intérieurement. Je force tout le monde à tourner dans une petite ruelle et presse le pas.

— Je crois que le policier m’a reconnue. Il faut qu’on se barre d’ici. Et vite !

— Tu es sûre ? m’interroge Florent.

— Peu importe, sûre ou pas, on file, ça vaut mieux, lance Mathias en prenant Sophia dans ses bras. Et on va prendre le circuit touristique pour le retour et faire gaffe. Allez, en route.

— J’espère qu’il n’a pas prévenu ses collègues, dis-je, un peu paniquée, sinon, on va avoir du mal à sortir de la ville.

— On verra bien, pas la peine de s’inquiéter tant qu’on n’est pas confrontés au problème, Ysée. Et chaque problème a sa solution, tente-t-il de me rassurer en prenant ma main. On accélère un peu le pas, les jeunes.

L’ambiance est beaucoup plus pesante et c’est presque en courant que nous retournons à la voiture. Heureusement, nous ne croisons aucun homme en uniforme et Mathias lance vite le moteur afin de nous éloigner de la ville, sans encombre. J’espère que ce n’était qu’une impression et qu’il ne m’a pas vraiment reconnue, ce policier. Mais ce regard perçant… J’en frissonne encore. Et même si le trajet du retour se passe sans aucun souci, je ne peux m’empêcher de me dire que ce n’était pas forcément une bonne idée de me joindre à cette petite excursion.

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