55. Gel des négociations

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Ysée

Je m’arrête devant mon dressing et me demande ce que je vais bien pouvoir porter pour le repas au restaurant ce midi. Je ne sais pas pourquoi le Ministre des Affaires Étrangères m’a invitée à manger plutôt qu’à une réunion classique, mais je ne me voyais pas refuser alors que c’est moi qui suis en demande de renseignements. Me voilà donc à me poser cent mille questions sur le protocole et sur ce qu’une Ministre a le droit de porter ou pas. Surtout avec le contexte de guerre dans lequel nous sommes. Il faut à la fois que j’aie l’air sérieuse, professionnelle, mais aussi avoir une tenue classe et attrayante. Franchement, des fois, je préfèrerais être un mec et juste choisir la couleur de mon costume ou m’assurer que ma cravate n’a pas de tâche !

Je pose réellement mon regard sur le reflet que me renvoie mon miroir pour la première fois depuis ce concert. Je crois que la partie préférée de mon anatomie, ce sont mes jambes qui sont bien proportionnées et relativement musclées. Mes cuisses sont un peu grosses, mais dans l’ensemble, ça va. Par contre, je pense que mes seins sont trop gros. Je sais que ça plaît à tous les mecs que j’ai mis dans mon lit, mais moi, je ne les trouve pas attirants du tout. Franchement, ça nous donne un tel désavantage par rapport aux mecs dans tout ce qui est sportif qu’il y a de quoi se demander pourquoi la Nature nous a faites comme ça.

Alors que je furète parmi mes robes, mes pensées reviennent une fois de plus vers Mathias. Je n’arrive pas à l’écarter complètement de mes rêveries et cela m’interroge beaucoup. J’ai encore l’impression de le sentir vibrer en moi, de sentir ses mains sur mes fesses ou sa bouche qui me dévore. On a baisé pendant à peine quelques minutes, certes, il m’a fait jouir, mais franchement, ce n’était pas mon premier orgasme ! Pourquoi est-ce que je ne peux pas passer à autre chose ? Et pourquoi, surtout, m’a-t-il rejetée à chacune de mes approches suite à cette première fois ? Il y a un truc qui cloche chez moi ?

Je me secoue mentalement et choisis une robe simple qui est bien cintrée et que je peux porter sans soutien gorge. J’aime bien comment le vert ambré met en valeur le marron de mes yeux. J’enfile une petite culotte et passe des sandales qui évitent de trop me grandir. Je ne veux pas que le Ministre se sente gêné parce que je fais presque une tête de plus que lui !

Lorsque je pénètre dans le petit restaurant typiquement silvanien, je ressens une bouffée de fierté en entendant la musique traditionnelle qui est diffusée et en voyant installé le drapeau que nous avons retrouvé suite au retour de la Démocratie dans notre pays. L’ambiance est tamisée, assez sombre et il me faut un instant pour m’habituer à la relative pénombre du lieu. De cette obscurité sort un petit homme, en complet gris, qui s’approche de moi en souriant.

— Bonjour, Boris. Désolée, je suis un peu en retard. Tu n’as pas attendu trop longtemps ?

— Bonjour Ysée, pas de problème, sourit-il en me tendant le bras. Viens, allons nous installer.

— Merci d’accepter de me consacrer un peu de temps. J’ai vraiment besoin d’éléments pour remplir la mission que m’a confiée Marina. Je suis sûre que tu as déjà fait tout le travail en plus, je ne vois pas ce que je vais apporter, mais il faut bien obéir à la Présidente.

Je le suis jusqu’à une petite alcôve où il s’installe en face de moi après avoir refermé le rideau derrière nous, nous isolant ainsi, au moins visuellement, du reste du restaurant. Un serveur vient nous proposer le menu et je m’interroge de plus en plus sur ce que Boris attend de cette rencontre qui ressemble plus à un rendez-vous amoureux qu’à une rencontre au sommet entre deux ministres.

— Eh bien, je pense surtout qu’on pourrait faire une bonne équipe pour relancer les gouvernements voisins. Ça vaut le coup d’essayer, ils sont un peu lents à la détente. Tu prendras un apéritif ?

— Non, ou alors juste un jus de fruits. J’ai besoin de garder l’esprit clair pour comprendre tout ce que tu vas m’expliquer.

— Ysée, on déjeune, c’est le moment de faire un break, tu sais ? On verra ça plus tard pour le reste. Parle-moi de toi, plutôt…

— De moi ? Mais pourquoi ? On est là pour travailler, Boris, je ne vois pas ce que ça va t’apporter de mieux me connaître.

Je prends les choses avec le sourire mais à l’intérieur, je bous et je sens mon énervement augmenter. Après, la Gitane a dit qu’il fallait que j’utilise mes attributs pour avoir ce que nous demandons, serait-ce là une tentative de Boris de me mettre à l’épreuve ?

— C’est important de connaître ses partenaires de travail, Ysée. Et puis, une jeune femme déjà ministre, ça me rend curieux. Tu dois être une personne vraiment intelligente et captivante pour en être arrivée là aussi tôt.

— C’est maintenant que tu t’en rends compte ? Tu sais que ça fait déjà deux ans que je suis arrivée au Gouvernement ? Et qu’avant, j’étais déjà dans l’état-major de la Gitane. Je ne suis pas un transfuge de l’ancien système, moi.

— On va être amenés à travailler en étroite collaboration, Ysée, il est normal que je veuille apprendre à mieux te connaître, non ? On est toujours dans le rush depuis l’élection de Marina, soupire-t-il, là, c’est l’occasion idéale.

— Et qu’est-ce que tu veux savoir de moi ? Mes mensurations ? Ma position préférée ? Ou tu t’intéresses à autre chose ? répliqué-je, exaspérée par le regard concupiscent qu’il porte sur mon décolleté.

— Oulah, mes excuses, rit-il en s’adossant contre sa chaise, rentre les crocs, Ysée, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise.

Il a raison, il faut que je me maîtrise et que je ne laisse pas libre court à mes réactions habituelles. On parle de diplomatie, là. Je dois mettre en valeur mes atouts pour obtenir ce que je suis venue chercher. Tout est bon dans la négociation et si je réagis au quart de tour pour un regard déplacé, je ne vais pas être trop efficace dans mes démarches. Je me redresse donc un peu et adresse un sourire que j’espère charmeur à Boris qui me répond avec un air satisfait.

— Oui, désolée, je suis un peu à fleur de peau avec tout ce qu’il se passe dans le pays. Je n’ai pas ton expérience de gestion de crise et j’ai beaucoup à apprendre de toi. On commande ? J’ai une faim de loup, ajouté-je en essayant de changer de sujet.

— Je comprends, surtout que ces militaires Français n’ont même pas pu vous protéger d’une attaque, de ce que j’ai entendu dans les couloirs. Qu’est-ce que tu vas prendre ?

— Je vais prendre le plat du jour, avec beaucoup de crème, c’est ce que je préfère, dis-je en me léchant volontairement les lèvres, ce qui parvient à le déstabiliser un peu.

— Heu… D’accord, très bien. Je vais prendre la même chose, me répond-il en détournant les yeux pour héler le serveur en tirant sur le rideau.

Je savoure cette petite victoire sur lui et me dis que je progresse vite. Il faut dire que ce n’est qu’un homme à qui j’ai affaire et qu’ils sont si faciles à manœuvrer. Alors que le serveur arrive presque en courant, je sens mon téléphone vibrer dans mon sac à main et je jette un œil pour savoir qui cherche à me joindre. En voyant le numéro de mes parents, je m’inquiète tout de suite par rapport à l’état de mon père et réponds après avoir fait une petite moue d’excuse à l'attention de Boris.

— Allo, Maman ? Je suis au travail, là, c’est urgent ?

— Ysée, je… Il faut que je te parle, Chérie, me répond-elle d’une voix nouée avant d’hoqueter. C’est… c’est Daryl.

Mon frère ? Il lui est arrivé quelque chose ? J’ai l’impression que tout mon corps se fige alors que ma mère continue de sangloter sans poursuivre.

— Qu’est-ce qu’il se passe avec Daryl, Maman ? Parle ! Il n’est pas… mort ?

J’ai prononcé le mot et immédiatement, je m’en veux. C’est le meilleur moyen de faire venir le mauvais sort, non ?

— Ils… Ils ont dit qu’il était porté disparu.

— Qui t’a dit ça ? m’exclamé-je en l’interrompant. Et disparu où ? Il est où, là ?

— Des hommes en uniforme sont venus à la maison, renifle-t-elle avant de souffler bruyamment pour se calmer. Il était en mission dans l’Est et… ils ont essuyé des tirs. Plusieurs personnes ont disparu, ils ne savent pas où ils sont.

— Mais comment a-t-il pu disparaître ? Ceux qui t’ont prévenue n’ont pas cherché à le protéger ? Pourquoi ne l’ont-ils pas suivi ? Maman, donne-moi le nom de ceux qui sont venus que j’aille les voir ! A moi, ils vont me dire ce qu’il en est exactement ! Là, tu ne sais rien !

Je m’énerve et je sens la panique s’emparer de moi. Mon petit frère, c’est ce que j’ai de plus cher au monde et personne n’a le droit de lui faire du mal. Je sens que je vais me transformer en furie s’il lui est arrivé quoi que ce soit.

— Je ne me rappelle pas qui c’est, Ysée Quand j’ai vu la voiture militaire se garer devant la maison, j’ai compris que… Enfin, j’ai imaginé le pire, je… je suis désolée, je ne peux pas t’en dire plus. Ils ont dit qu’ils nous tiendraient informés, et je… j’imaginais que tu le savais déjà, en vérité.

Non, je ne sais rien parce que je suis en train de perdre mon temps avec un ministre qui n’a rien trouvé de mieux que de m’emmener au restaurant pour partager avec moi ses connaissances. Je ne sais rien parce que je ne suis pas au bureau mais dans une alcôve où je suis contente quand un de mes sourires décontenance un peu le type qui m’a invitée. Je ne sais rien parce que personne ne sait rien sur ce qu’il se passe réellement à l’Est. Et tout ça me mine.

— Je vais essayer de me renseigner, Maman. Je te tiens au courant.

Je raccroche et me lève devant le regard un peu surpris de Boris qui ne s’attendait pas à ce que je le quitte si rapidement.

— Désolée, Boris, mon frère a disparu, il est militaire et était déployé sur le front de l’Est. Il faut que je retourne au Palais si je veux obtenir des informations ou des précisions. Nous reprendrons notre petit conciliabule prochainement, promis.

— Oh, je comprends, bien évidemment. Je vais te raccompagner, je ne pense pas que tu sois en état de conduire après cette annonce…

— Non, ça ira, j’ai mon chauffeur qui m’attend. Merci Boris. A plus tard.

Je ne veux surtout pas passer une minute de plus avec lui, je ne serais pas capable de me retenir ou de continuer à jouer le petit jeu que j’avais entamé. Là, je ne pense plus qu’à une chose, débarquer dans le bureau de Marina et lui demander de mobiliser toute l’armée pour aller à la rescousse de mon frère. En espérant que le pire ne soit pas arrivé…

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