64. Confidences à la belle étoile

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Mathias

Dire que je suis étonné serait sans doute un mensonge puisque j’ai vu de quoi elle était capable lors de notre fuite, mais je suis impressionné, et pas seulement par le fait qu’elle est capable de se taire pendant plusieurs minutes d’affilée.

Est-ce que j’ai menti quand je lui ai dit que je ne la reluquais pas ? Oui. Mille fois oui. Et ça m’énerve, mais c’est une réalité. Ysée, en treillis, un fusil d’assaut en bandoulière, son délicieux derrière qui tend le tissu vert moucheté… Merde, elle est vraiment bandante. Heureusement que l’ambiance sérieuse et la pression de la mission sont bien présentes, sinon, je pense qu’on réitèrerait l’expérience contre un arbre illico.

Merde, focus sur la mission, Snow, c’est pas possible !

Je m’arrête lorsqu’elle me fait signe, suivant docilement ses ordres. On sent qu’elle a de la pratique, j’en conviens. Elle nous arrête suffisamment loin pour que nous ne soyons pas repérés, mais s’est encore approchée de quelques mètres une fois qu’elle les a vus. Ces enflures qui bossent pour des pourris qui veulent du mal à la Gitane et sont prêts à tout pour ça, quitte à menacer et effrayer deux gamines.

— T’en comptes combien ? chuchoté-je en m’allongeant sur le ventre après avoir sorti mes jumelles.

— Il n’y a que deux… non trois chars, c’est fou. Et pour les hommes, je dirais entre quarante et cinquante. On pourrait presque les attaquer avec notre équipe, répond-elle sans hausser la voix.

— On va éviter de tenter le diable quand même, ris-je doucement. C’est déjà un groupement plus nombreux que tout à l’heure, mais… ça m’a l’air d’être un peu le bordel, là-dedans.

— Oui, tu vois là-bas ? me dit-elle en pointant vers une partie du camp que je n’avais pas encore remarquée. On dirait qu’ils sont en train de se battre entre eux.

— Magnifique. Ils devraient organiser des combats à mort, ça nous faciliterait la tâche. Il n’y a aucune organisation, sur ce camp. J’ai l’impression de voir le camp de Food Crisis le jour où on a débarqué en Silvanie avec Ju, c’est dingue. Et bon signe pour nous. Une chance sur deux que le Chef soit occupé à mater un porno dans sa chambre, pouffé-je.

— Un porno ? Mais tu dérailles, Mathias ! s’étonne Ysée qui continue à observer le camp sans se déconcentrer le moins du monde.

— Julia ne t’a jamais raconté ? chuchoté-je, le sourire aux lèvres. Le chef du camp, militaire fainéant, créchait dans une chambre dans une grange. Le type avait récupéré tout le confort d’une vraie piaule alors que nous, on s’entassait au rez-de-chaussée de la grange, il avait un lit deux places, une vieille télé et même un magnétoscope. Julia a repris la piaule en prenant le commandement du camp et nous avons découvert un stock de VHS porno dans le meuble TV. Un stock vraiment très impressionnant, d’ailleurs.

— Je ne savais pas non, répond-elle en pouffant. Tu as dû bien en profiter, alors, non ?

— Même pas. Julia et Arthur squattaient la chambre tous les deux, tu sais ? Et puis, j’avais quelqu’un dans ma vie, à l’époque, me confié-je en me reconcentrant. Tu as repéré celui qui pourrait être le chef ?

— Non, je ne suis même pas sûre qu’ils en aient un. Et je crois qu’il n’y a pas de prisonniers. Je ne vois pas de prison ou de bâtiment qui pourrait y ressembler.

— Non, tu as raison, rien de tout ça, ou d’hommes suffisamment immobiles et sur le qui-vive pour laisser penser qu’ils surveillent quelqu’un. Je suis désolé, Ysée.

— Ce n’est rien, soupire-t-elle. Ca aurait été trop beau de trouver quelque chose dès le premier jour.

Je reste silencieux un moment, ratissant la zone de mes jumelles. Effectivement, pas de chef à l’horizon, aucune des têtes que nous avons pu voir dans les dossiers que Julia nous a fait éplucher. Et une organisation catastrophique. Ysée a peut-être raison, on pourrait sans doute leur régler leur compte juste avec l’équipe présente avec nous. Mais on a d’autres chats à fouetter.

— Il va falloir qu’on s’enfonce dans le territoire ennemi pour tenter de le retrouver. On est à à peine un kilomètre du lieu où son équipe a été piégée, il y a plusieurs villages aux alentours. Rien n’est perdu, Ysée.

— Je sais. Tu as noté la présence de la batterie anti-aérienne là-bas, derrière le bosquet ?

— Je vais te rebaptiser ”Oeil de Lynx”, Madame la Ministre, souris-je. Et envoyer toutes ces infos à Julia. Je ne comprends pas comment ils ont pu récupérer ce genre de matériel…

— Les Mafias ont des moyens que peu d’organisations ont. C’est pour ça que leur alliance avec les rebelles est dangereuse.

— Hum, marmonné-je alors que mon regard est attiré au loin, sur notre gauche. Il faut qu’on lève le camp, Ysée, y a du mouvement et ça vient dans notre direction.

Je m’accroupis en rangeant mes jumelles et l’observe faire de même alors que je retire la sécurité de mon arme.

— Marche rapide, position courbée, on va essayer de ne pas se faire remarquer. Je te suis. Tu es prête ?

— Toujours prête !

Je souris et lui fais signe de se mettre en marche. Ysée ne se fait pas prier et je la suis. Seul le bruissement des feuilles sur notre passage s’ajoute aux bruits de la nature, et c’est une nouvelle petite pointe d’admiration qui me saisit en la voyant aussi efficace.

— Regarde devant toi, chuchoté-je en la voyant se retourner une nouvelle fois. Je gère l’arrière, fais-moi confiance.

— Je n’ai pas envie de te perdre en route, c’est tout.

— Je te suis et ne te lâche pas d’une semelle.

Je pose ma main libre sur son sac à dos et exerce une légère pression que je maintiens pour l’assurer de ma présence. J’aimerais autant qu’elle reste concentrée sur ses pas, même si le groupe qui approchait n’est plus en vue lorsque je me retourne. Je ne dis rien pendant encore quelques minutes, histoire que nous prenions suffisamment d’avance, même si je doute qu’ils viennent jusqu’ici. Ils devaient sans doute partir pour une ronde et ne s’éloignent pas trop de leur campement.

— C’est bon, finis-je par dire en tirant sur son sac pour l’arrêter. On peut faire une pause. Ça va ?

— Oui, ça va. Et toi ? Tu tiens le rythme de la Ministre amateure ?

— J’ai mal aux jambes, mais je déteste marcher comme ça, pas la peine de faire la fière, ce n’est pas le rythme, le problème, ris-je en lui tendant ma gourde. On va rentrer au camp, je pense qu’on a chopé assez d’infos pour aujourd’hui. Les autres doivent avoir fait de même en direction du Sud, on va voir ce qu’ils en disent.

— Oui, ils auront peut-être trouvé quelque chose d’intéressant, eux.

— Ysée… Le peu qu’on a pu observer, c’est déjà beaucoup, je t’assure. Certes, ça ne concerne pas ton frère, mais ça va permettre d’envisager des stratégies d’attaque, si la Gitane décide de passer à l’offensive. Et à nous, ça nous permet de cerner l’ennemi, d’élaborer un genre de profil qui nous permettra de réduire les possibilités concernant les lieux où ton frère pourrait être retenu. Sans oublier qu’il est possible que lui se soit planqué… Il ne faut pas qu’on mette ça de côté non plus. Être militaire, ce n’est pas juste frapper et tirer, tu sais ? plaisanté-je pour alléger l’atmosphère.

— Oui, tu as raison. Et maintenant qu’on est sur place, on va pouvoir avancer dans nos recherches. Si tu continues à me faire confiance, bien sûr.

— Pousse pas le bouchon trop loin, Miss Silvanie, la taquiné-je alors que nous reprenons notre marche.

Je ne vais pas tout de suite lui dire qu’elle a assuré, faut pas pousser quand même. J’aime trop l’enquiquiner pour ça, je plaide coupable. Et je ne dis rien du trajet retour, qui se fait dans un calme olympien. Ysée semble perdue dans ses pensées, et moi je cogite à la suite des événements.

Comme prévu, une fois rentrés au camp, nous débriefons de notre journée d’espionnage avant que je ne m’éloigne pour téléphoner à Julia et lui transmettre les infos. Je pourrais lui faire la tête, mais nous avons mis les choses à plat hier soir et, si je n’aime pas l’idée d’avoir Ysée dans les pattes pour des raisons personnelles, je conviens qu’elle peut nous être utile, tant que nous ne sommes pas en danger.

Nous dînons dans la bonne humeur autour du feu et deux soldats silvaniens prennent le premier tour de garde alors que tout le monde décide d’aller se coucher. Quand je reviens d’un brossage de dents sauvage, Ysée est toujours assise à-même le sol, près du feu, et je n’hésite pas bien longtemps avant de me laisser tomber à ses côtés.

— Tout va bien ?

— Je ne sais pas, Mathias. J’ai l’impression que tout ce qu’on fait ne mènera à rien. Je… Je crois que je suis trop impatiente.

— C’est compréhensible. Tu veux savoir ce qu’on pense de tout ça, avec Julia ? Ou tu préfères rester dans l’inconnu ?

— Non, dis-moi, j’ai besoin de savoir.

— Bien… Pour la faire courte, on est tombé d’accord sur l’idée que ton frère se planque. On a semble-t-il affaire à un groupe désorganisé, y a pas mal de jeunes et une rivalité entre eux. La capture de soldats, ce n’est pas rien, et nous pensons que les rebelles auraient déjà revendiqué la chose, si ça avait été le cas. Pour le reste… Je ne peux pas te garantir qu’il soit encore en vie, mais pour moi, dans ce cas, les autres l’auraient trouvé…

J’essaie d’y mettre toute ma conviction sans savoir si c’est une bonne chose de m’avancer à ce propos. Pour autant, je préfère être transparent avec elle, je crois que c’est ce dont elle a besoin.

— Il faut continuer à le chercher, alors, soupire-t-elle.

— Et c’est ce qu’on va faire, lui assuré-je. Je ne suis pas du genre à abandonner avant d’avoir tout tenté. Si j’avais lâché l’affaire à la première déception, Julia ne serait sans doute pas là à vouloir me castrer tous les jours, tu sais ?

— Tu n’abandonnes pas avant d’avoir tout tenté, mais tu n’es pas dans une relation durable alors que tu es mignon tout plein. Tu n’as pas les mêmes principes en amour ?

— Les blessures de guerre, ça fait mal, celles du cœur sont pires. J’ai essayé, ça a foiré, je préfère profiter de la vie.

— Elle t’a quitté, c’est ça ? me répond-elle en me transperçant du regard. J’ai l’impression que là-dessus, on est pareil, toi et moi. C’est dur quand c’est l’autre qui se barre, hein ?

— Elle s’est barrée, ouais… Avec une nana. Son ex, d’ailleurs. Pour une fois que je m’étais lancé dans une histoire à corps perdu… Le revers de médaille fait mal. Je sais qu’on galère tous en amour, mais je me contente des plaisirs de la chair, ça me va comme ça.

— Purée, tu fais pas les choses à moitié, toi ! Avec une nana ? rigole-t-elle. Et sans prévenir, je suppose. Et, si tu veux mon avis, tu pourrais profiter plus des plaisirs de la chair.

Je soupire en détournant le regard. Oui, se faire larguer pour une nana, je l’ai mal vécu, c’est clair.

— Pas en mission, non. Plus en mission en fait. Je… J’ai rencontré Justine ici, en Silvanie. Elle bossait avec Arthur, gérait la comm’ de l’association. On a commencé à se fréquenter sur ces terres. Tu as déjà connu l’amour passionnel, Ysée ? Celui qui fait griller ton cerveau. Tu ne veux pas te l’avouer, mais tu deviens dépendant d’un sourire, d’un regard, d’un baiser, d’une caresse. Tu ne peux plus t’en passer, pas même quelques heures…

— Je connais ça, Lieutenant Romantique… Et ça me manque, si tu veux tout savoir.

— Ouais, moi aussi, mais… Elle, ça a failli la tuer, tu vois ? Un moment d’égarement, un roulage de pelle… Une mine, et boum… Elle aurait pu y passer, moi aussi, et Julia par la même occasion, qui était venue pour nous rappeler à l’ordre. Tu comprends pourquoi je ne veux pas mélanger les choses ?

— Je vois oui… C’est terrible, ce qui a failli vous arriver. Je comprends ton attitude aujourd’hui… Et en ce qui concerne les plaisirs de la chair, je peux te dire que tu te débrouilles bien.

— Je sais, ricané-je en bombant le torse. T’es pas mal non plus, mais faut te maîtriser, un timide aurait pu se sentir agressé à ma place.

— Je n’aime pas les timides, ils peuvent rester chez eux. Je sais ce que je veux et ce que j’aime chez un partenaire.

— Je vois ça, souris-je. Et donc, l’imbécile qui t’a larguée ?

— Oui alors que je pensais qu’on allait finir mariés… Mais ce con ne m’aimait pas vraiment, je crois. Toujours en train de me dire que je n’étais pas assez bonne pour lui.

— Hum… Un pauvre type, quoi. Si on le croise pendant notre voyage, montre-moi sa tronche, je me ferai un plaisir de lui faire aussi mal avec mes poings qu’il a pu te faire mal avec ses mots.

— Je n’ai pas besoin de quelqu’un pour me venger, je sais le faire toute seule, rétorque-t-elle brusquement.

— Bien Madame, soupiré-je en me levant. Je vais me coucher avant que ça parte en couilles. Bonne nuit, Ysée.

Je m’éloigne pour regagner ma tente, fatigué par cette conversation. Pourquoi est-ce que je lui ai parlé de tout ça ? Pour la faire fuire, peut-être… Ou pour qu’elle arrête de me tenter ? J’ai besoin de rester concentré sur la mission, sauf qu’elle occupe un peu trop ma tête et pourrait parvenir à me déstabiliser. Au moins, vu la froideur de sa dernière réponse, je crois qu’elle comme moi allons remonter le mur qui nous protège.

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