68. Les conseils du post avancé

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Mathias

— T’es sûr que tu te sens bien, Jerem ?

Mon collègue est pâle comme un linge, mais il serre les dents depuis que nous nous sommes mis en route, ce matin. La blessure n’est pas grave, en soi, mais elle l’affaiblit. Une vraie mauviette, mais je me garde bien de lui dire, il pourrait me coller un uppercut sans souci, même blessé.

— Bien sûr que ça va, grogne-t-il, le front en sueur.

Je pose le dos de ma main sur son front et le dissuade d’un regard de la repousser. Pas de température à première vue, c’est bon signe.

— Bois un coup et pose-toi un peu. Quand tu seras prêt à repartir, on reprend la route.

Nul doute qu’il sera prêt dans une minute. Il va serrer les dents et avancer sans broncher. Ce ne sera pas la première fois.

Je fais signe à Seb que je vais faire un tour pour déblayer le terrain et m’enfoncer dans la forêt pendant que tout le monde se détend un peu. Évidemment, avec la chance qu’on a, nous nous retrouvons non loin d’un camp des rebelles et je m’allonge sur le sol, jumelles en main pour observer leur petite vie tranquille. Parce qu’il s’agit de ça. Franchement, on pourrait les penser en camping. Certains se promènent même sans armes. Ils sont détendus, comme s’ils faisaient simplement acte de présence, comme si c’était suffisant pour éviter les représailles du Gouvernement silvanien. C’est définitif, les rebelles ne ressemblent en rien à ceux que j’ai pu côtoyer à l’époque où la Gitane menait la danse.

Pour autant, il faut quand même que nous restions vigilants, et c’est dans un silence de mort que nous contournons le camp, à bonne distance, en espérant ne pas nous faire repérer. J’en profite malgré tout pour jeter des coups d’œil sur leurs installations, espérant y trouver des informations qui s’avèreront cruciales, ou, dans un espoir vain, un militaire enchaîné quelque part, qui effraierait autant Ysée qu’il la réjouirait.

— On va se poser là pour la nuit, annoncé-je finalement en constatant que Jérémy est de plus en plus épuisé.

Ça ira pour quelques heures, même si nous sommes en terrain ennemi. Suffisamment loin des camps de surveillance, loin d’une route, d’un village, mais pas non plus perdus dans la forêt. Peut-être que, si la nuit est suffisamment sombre, nous pourrons apercevoir, entre les arbres, les lumières du village.

— Tu fais peur à voir, vraiment, soupiré-je en aidant Jérémy à s’asseoir. Mange un truc et prends ces foutus cachetons au lieu d’être borné. Sinon, je t’envoie Ysée, et pas pour un bisou !

— Même une fessée, si c’est elle qui la donne, je prends, grogne-t-il en prenant les cachets que je lui tends.

— Elle ne donne pas la fessée, elle assassine avec des mots, t’es pas prêt pour ça, ricané-je en m’éloignant.

Je m’éloigne et m’installe au calme pour sortir le téléphone satellite. Après avoir reporté les dernières informations de notre balade du jour sur la carte, je compose le numéro de Julia et attends patiemment qu’elle décroche.

— C’est pas trop tôt, marmonné-je, faussement agacé. C’est pas l’heure de fricoter avec Zrinkak, tu sais ?

— Je fricote bien quand je veux, dis-donc ! Ce n’est pas parce que tu es sur le front que tu peux te mettre à régimenter ma vie, mon Chou ! Quelles nouvelles, alors ?

— Eh bien, pendant que tu connais probablement la petite mort, si Zrinkak est toujours aussi doué, nous on a manqué de peu la bonne vieille faucheuse.

— Comment ça ? Vous avez eu des soucis ? s’inquiète-t-elle immédiatement. Tout le monde va bien ?

— Jérémy est blessé à l’épaule, mais rien de critique. Si on est vigilants, ça va le faire. Mais… Il nous ralentit, il douille. Sauf qu’on ne peut pas faire demi-tour maintenant, donc il suit.

— Il s’est fait ça comment ? Vous vous êtes battus ? Tu veux qu’on organise une opération pour venir le chercher ?

— Les rebelles ont dû nous suivre pendant un repérage et on s’est fait tirer dessus. Julia, je sais que tu n’es pas pour attaquer en premier, mais… L’organisation des troupes ici, c’est l’anarchie, vous n’en feriez qu’une bouchée. On a réussi à passer les barrières facilement après deux jours d’observation, pour tout te dire.

Je sursaute en voyant apparaître Ysée à mes côtés et lui fais signe de s’asseoir en passant le téléphone en haut-parleur.

— Ce n’est pas la stratégie que nous avons adoptée, Mat, tu le sais bien.

— Parce qu’il y a une stratégie ? Je vais t’envoyer toutes les infos qu’on a récoltées, je t’assure que tu en viendras aux mêmes conclusions. Leur ligne de front est un gruyère. Les camps installés pour surveiller… totalement désorganisés, trop éloignés les uns des autres… Une bonne attaque simultanée… Je sais qu’il faut couper la tête du serpent, et on cherche les infos pour savoir où il est, mais honnêtement, moi je profiterais pour réduire les troupes et frapper fort.

— En plus, ce n’est pas sûr qu’il y ait une tête, intervient Ysée. J’ai l’impression qu’ils sont tous en train de se battre entre eux pour savoir qui sera le leader du mouvement. C’est vraiment un bordel monstre, leur histoire, et rien n’a l’air organisé. Plus on attend, plus on leur laisse une chance de s’organiser. C’est maintenant qu’il faut frapper si on veut éteindre la révolte dans l'œuf.

— Vous êtes d’accord tous les deux ? s’étonne Julia. C’est nouveau, ça ?

Je lance un regard blasé à Ysée et lève les yeux au ciel avant qu’un sourire se dessine sur nos lèvres. Oui, on peut être d’accord, Dieu merci. Peut-être même un peu trop, ces derniers jours, de quoi m’interroger.

— Ça nous arrive rarement, ça devrait te mettre la puce à l’oreille sur l’évidence de la situation, argumenté-je.

— Tu sais que si je dis ça à Marina, on lance l’attaque avant la fin de la semaine ? Vous avez bien réfléchi à ce que ça implique ? Et puis… si on lance l’assaut, c’est peut-être dangereux pour Daryl s’il est prisonnier quelque part. Vous y avez pensé à ça ?

— Vu l’organisation des camps, je doute qu’il soit là… Mais c’est un risque, oui, soupiré-je sans oser regarder Ysée. Espérons qu’on l’aura retrouvé d’ici là.

— Il n’y a aucune trace de lui nulle part, Julia. Et… on a déjà un blessé avec cette expédition. Il faut agir vite si on ne veut pas qu’il y ait d’autres victimes. Et nous, en attendant, on va continuer nos recherches. Je sens, je sais qu’on va finir par le retrouver.

— Vous savez que vous me faites chier, tous les deux ? On s’organise pour une stratégie, je passe des nuits blanches à tout mettre en place et vous, la main sur le cœur, vous me demandez de tout modifier ? Comment je vais faire pour assurer la sécurité de Marina si elle se met en tête de mener l’assaut contre les troupes ennemies, moi ?

— Tu lui rappelleras qu’elle est la Présidente, plus la Gitane. Cette vieille bique ne va pas non plus nous emmerder, maugréé-je. Pour le reste, écoute, je t’envoie les infos, tu regardes et tu fais comme tu l’entends. Essaie de te lever du pied droit demain, ce serait cool, Lieutenant Mauvais poil. Demande un cunni à Zrinkak pour te détendre, au pire.

— Mat ! me réprimande-t-elle. On parle de l’avenir de la Silvanie, là, pas de ce qu’Arthur et moi pouvons faire. Est-ce que je te dis d’aller te faire sucer, moi ? Envoie-moi les infos et je transmets à Marina. Après, le reste n’est plus en mon pouvoir.

— Non, tu ne me dis pas ça, mais je te parle avec toute ma bonne humeur alors qu’on aurait pu y rester hier, donc ce n’est pas nécessaire de me suggérer une pipe. Toi, en revanche, tu m’as l’air toujours aussi tendue. Y a un souci ? Je te manque à ce point ?

— Désolée, Mat. Je me fais un sang d’encre pour vous… répond-elle plus doucement. Et ici, Marina n’en fait qu’à sa tête. Elle n’arrête pas d’aller prendre des bains de foule. Tu imagines l’horreur pour la sécurité ? Bref, je ne dors plus ou presque… Occupe-toi bien d’Ysée, Lieutenant Canon, et des autres membres de l’équipe. Je compte sur toi pour que tout se passe bien et qu’il n’y ait plus de mauvaise nouvelle de ta part ! Je t’envoie un hélico pour Jérémy ou tu le gardes avec toi ?

Et un petit coup de pression supplémentaire, c’est gratuit, Mat… Comme si je comptais les déposer entre les mains des rebelles pour m’en débarrasser !

— Colle lui ses petites filles à garder pour qu’elle reste au Palais. Lila m’a dit que sa mamie lui manquait et qu’elle aimerait passer plus de temps avec elle. Joue la corde sensible ! Et laisse tomber pour l’hélico, on est en terrain ennemi et Jérémy veut rester avec nous. Je pense que ça ira mieux demain, après une bonne nuit de sommeil.

— Oui, tu as raison, je vais utiliser mes filles, je crois qu’il ne reste que ça que je n’ai pas essayé, indique-t-elle avant de marquer un court silence. Je te tiens au courant pour te dire si on va attaquer ou pas. Prenez garde à vos fesses !

— Oui, Cheffe. Et, Julia ! Arrête de te laisser marcher sur les pieds par Marina. Tu es son chef de la sécurité, tu as ton mot à dire sur les sorties. C’est la Présidente que tu as en face de toi, pas ta belle-mère. Fous un pied au cul au Lieutenant Vidal, tu as besoin d’elle, souris-je.

Je raccroche sans tarder et m’occupe d’envoyer les informations, coordonnées géographiques des camps incluses, afin de décider la Gitane. Je ne suis pas du genre à vouloir déclarer la guerre, d’ordinaire, mais il me semble que l’attaque au concert peut être considérée comme telle, alors il ne s’agira que d’une riposte. Pas des moindres, je n’en doute pas, mais si ça peut calmer les ardeurs des rebelles, c’est à prendre.

— Demain, on rendra visite aux villages alentour, dis-je finalement à Ysée, restée silencieuse jusqu’à présent. Tu veux bien ne pas y aller seule avant ?

— Non, j’ai déjà fait assez de dégâts comme ça, je reste avec vous, répond-elle, l’air un peu ailleurs.

— Ysée, arrête de ruminer tout ça, bon sang. La culpabilité n’a pas sa place sur le terrain, surtout quand elle n’est pas justifiée.

— Oui, tu as sûrement raison… J’espère qu’on n’a pas fait une erreur en disant à Julia qu’il faut attaquer. Je… J’aime pas ne pas maîtriser la situation.

— On a donné notre avis, ce n’est pas nous qui prenons la décision finale. De toute façon, on n’a aucune prise sur cette guerre. On subit, c’est comme ça… Tu ne peux pas tout maîtriser, ma belle. Impossible. Allez, à table ! J’ai les crocs et les rations militaires sont tellement délicieuses, en plus ! ironisé-je en lui tendant la main après m’être levé.

— Oui, le festin nous attend. Mais tu sais quoi ? C’est meilleur que ce qu’on bouffait quand on était avec la Gitane dans la rébellion !

Je ris et lui fais une révérence pour qu’elle me précède en direction du camp. Moi, galant ? Oui, c’est une vérité. Mais j’avoue que pour le coup, tout ce qui m’importe, c’est de profiter du spectacle de ses hanches qui se balancent en rythme et de ce joli cul planqué sous le treillis. Galant et obsédé, on s’amuse comme on peut en terrain ennemi.

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