94. Les problèmes du canon

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Mathias

Je repose mon téléphone sur mon bureau et me masse les tempes en fermant les yeux. Bon dieu… Comme si penser à Ysée tous les jours ne suffisait pas, il faut qu’elle se rappelle à moi, me ramenant à nos adieux bien foirés. Et, comme un con, je n’arrive pas à lui répondre. Pour lui dire quoi, au juste ? Qu’elle me manque aussi ? Ça ne changera rien à la situation. Elle, là-bas, moi, ici. Et nous, incapables de poser des mots sur notre relation. Du moins, incapables de décider d’en discuter. En ce qui la concerne, je ne sais pas si elle est restée sur une simple relation charnelle, mais moi… Putain, je n’ose pas me l’avouer, mais je crois bien que je me suis moi-même brisé le cœur en rentrant en France.

Je grimace à cette pensée et me décide à lui répondre avant de me remettre au travail, mais deux coups frappés à la porte de mon bureau me font lever les yeux par-dessus l’écran de mon ordinateur.

— Mat, une visite pour toi, grimace Florent avant de s’effacer.

Je fronce les sourcils et ne retiens pas le soupir qui passe mes lèvres. Qu’est-ce qu’elle fout là, bon sang ?

— Je bosse, Justine. Je… Qu’est-ce que tu fiches ici ?

— Tu ne réponds pas à mes messages. On dirait que tu m’as bloquée. Mais tu me connais, je n’abandonne pas aussi facilement, Mat. Tu vas bien ? Je peux entrer et discuter un peu ?

Je jette un œil à Florent, resté derrière mon ex, qui lève les yeux au ciel. Ouais, je sais… Sauf qu’il semble inquiet, pas seulement agacé. Pourquoi ? Il pense que je suis prêt à remettre le couvert avec elle ? Après tout ça ?

— Tu peux, mais ça ne changera rien à ce que je t’ai déjà dit, Justine.

— Merci mon chou. Tu sais que j’aime quand tu me parles comme ça ? Autoritaire et froid, inatteignable mais si doux sous la carapace. Cela ne te manque pas, tout ce que nous vivions tous les deux ?

— Non, j’ai trouvé mieux, en fait, soufflé-je sans réfléchir.

Merde, mais qu’est-ce qui me prend ? Et est-ce que c’est vrai, d’ailleurs, ou je cherche seulement à la blesser comme elle l’a fait avec moi ?

— Vraiment ? C’est pour ça que tu rumines tout seul dans ton bureau ? Regarde ce que j’ai à t’offrir, on fait difficilement mieux, non ?

Elle se relève et tourne sur elle-même lentement pour me laisser admirer ce corps que j’ai si souvent parcouru de mes mains.

— Cadeau que tu as offert à de nombreuses reprises à ton ex, avant même de me larguer, je te rappelle, grommelé-je. Arrête un peu, Justine, c’est… pathétique et inutile, en fait. Je t’ai dit non, il te faut quoi de plus ?

— Je suis convaincue que si tu acceptes de goûter à nouveau à l’amour avec moi, que si tu nous donnes une nouvelle chance, on se retrouvera comme avant. Je pense tout le temps à toi, Mat. J’ai envie de toi. J’ai besoin de toi !

Bon dieu, elle me gonfle ! C’est d’une lourdeur sans nom. Comment peut-elle revenir ici en se pensant en terrain conquis ? Je suis si pathétique que ça ? J’étais si niais pour qu’elle pense qu’après m’avoir abandonné, je puisse vouloir tenter à nouveau l’expérience avec elle ?

— Sauf que je n’ai aucune envie de goûter à nouveau. Je te l’ai dit, j’ai tourné la page, lui lancé-je avec un détachement feint. Je n’ai pas envie d’un comme avant, comme je n’ai pas envie de toi, d’ailleurs.

Non, honnêtement, quand je pense à une partie de jambes en l’air, j’imagine une jolie Silvanienne aux cheveux bruns, totalement nue entre mes bras, gémissante et suppliante. Ouais… Loin de celle devant moi.

— Alors, juste pour une nuit ? Juste une fois ? En souvenir du bon vieux temps et pour me faire plaisir ?

Je devrais y réfléchir, non ? Une nuit avec Justine… On s’est bien amusés, tous les deux. Il faut dire que sous cette carapace de fille sage se cache une nana très ouverte d’esprit… Sauf que… Non, je n’en ai pas l’envie. Je suis détraqué, c’est pas possible.

— C’est toujours non, Justine. Je ne suis pas un jouet, et tu t’es déjà assez amusée avec moi.

— Je comprends, soupire-t-elle en se levant. J’ai merdé, je sais, Mat. Mais tu auras toujours une place dans mon cœur. Et mon lit t’est ouvert. N’hésite pas si tu changes d’avis, d’accord ?

Je lève les yeux au ciel une nouvelle fois. Je ne pourrai pas lui enlever son acharnement, mais ça ne changera rien. Je n’éprouve plus de sentiments pour elle, et je ne serai pas aussi bête qu’elle en me jouant de mon ex pour un simple plaisir charnel.

— Tourne la page une bonne fois pour toutes, Justine, je ne reviendrai pas, pas la peine de m’attendre ou je ne sais quoi. Prends soin de toi, et s’il te plaît, arrête ça, tu vaux mieux que de ramper de la sorte.

— Je vais essayer, Mat. Désolée de t’avoir dérangé ainsi, énonce-t-elle tristement avant de déposer un baiser sur ma joue et de s’enfuir en laissant la porte de mon bureau grande ouverte.

— Je suis bien content de ne pas la retrouver à poil allongée sur ton bureau, ricane Florent alors que j’étais perdu dans mes pensées.

— Tu pensais vraiment que je pourrais tendre le bâton pour me faire battre à nouveau ? marmonné-je.

— Vous avez quand même été inséparables pendant longtemps. Ça n'aurait pas été déconnant que vous tentiez à nouveau quelque chose, tu sais ?

— Je suis trop rancunier pour ça. Et puis, ma mère me tuerait si elle apprenait que j’ai remis le couvert avec Justine, ris-je, parce qu’elle est encore pire que moi à partir du moment où on touche à son fils.

— Oui, et on sait bien tous les deux que si ça avait été la jolie Ministre, le résultat aurait été différent ! Tu as besoin d’autre chose ?

Nouvel aller-retour de mes yeux en direction du ciel. Forcément, Ysée revient dans la conversation. Et je fais signe à Flo de déguerpir de mon bureau, ce qui le fait rire, évidemment. Lui qui me bassine depuis notre retour à propos d’elle, me disant que je suis con, que j’aurais dû agir différemment, bla bla bla…

Merde, je ne suis pas du tout efficace aujourd’hui, et je ne suis absolument pas aidé. J’ai à peine eu le temps de mettre le nez sur le plan du manoir dont nous avons accepté d’assurer la sécurité pendant une semaine que mon ordinateur se met à sonner bruyamment. Je grimace au son strident de cette musique que j’ai toujours détesté mais qui m’apporte généralement sourire et réconfort, et décroche, tombant sur le joli visage de mon amie, installée dans son grand bureau.

— Salut, Lieutenant Sexy ! Toujours au Palais ?

— Eh bien oui, Lieutenant Canon. J’ai encore une semaine à faire, tu as déjà oublié ? Tu vas bien, Mat ?

— Tout roule. Ma mère s’est trouvé un mec, Justine est à la limite du harcèlement, j’ai pas baisé depuis que je suis rentré, j’ai une tonne de paperasse à rattraper, c’est le pied, énuméré-je, le sourire aux lèvres. Et toi, la forme ? Zrinkak va bien ? Et les filles ?

— Wow ! Ralentis, tu veux bien ? On parlera de moi après car tout va bien, ici ! Tu vas avoir un beau-père ? Et c’est quoi, cette histoire de harcèlement ? Elle aurait pu être la solution à ton troisième problème, non ?

— Ouais, bon, un beau-père, faut pas pousser, hein ! C’est son mec, son partenaire de danse, je ne compte pas l’appeler Papa non plus. Et pour Justine, elle a débarqué au bureau ce matin pour essayer de m’embobiner. Et depuis quand tu veux que je retourne avec elle ? Je croyais que tu la détestais et que tu m’interdisais formellement de refaire la connerie de sortir avec cette “dinde instable”, comme tu l’appelles ? ris-je.

— Ben, pour une nuit, tu aurais pu résoudre un de tes soucis ! Mais tu as eu raison de ne pas le faire. Ça aurait tout compliqué. Tu as vu les informations sur la situation ici ?

— Non, grimacé-je. Je n’ai le temps de rien. Un souci ?

— Oh non, au contraire ! Avec l’offensive que nos troupes ont menée il y a deux jours, on a non seulement repoussé les rebelles jusqu’à la frontière, mais on en a profité pour arrêter deux de leurs leaders. Et ça va nous permettre de lancer les procès contre les mafieux qui les aident. Ça sent bon, tout ça, Mat, conclut-elle, toute excitée.

— Hallelujah ! J’espère que tout ça va se tasser et que ta folledingue de belle-mère va se calmer. Comment ça va avec Tutur ?

— Il m’a demandé de lui donner un coup de main dans son ONG et ça me tente bien. Cela nous permettrait de nous retrouver un peu et de nous voir beaucoup plus, pas mal, non ?

— Hum… Tu vas avoir ton homme comme supérieur ? ricané-je. Nom de dieu, tu crois que votre couple va y survivre ?

— Notre couple peut survivre à tout, vu qu’il a résisté à la Gitane ! Et si tu crois que j’accepterais qu’il soit mon supérieur, tu te mets le doigt dans l'œil ! On sera partenaires !

— Si tu le dis, me moqué-je. Ju… Je peux te poser une question sans que tu t’enflammes direct ?

— Ça veut dire que je peux m’enflammer si je prends le temps de le faire ?

— Non plus, soupiré-je. Te fais pas de films, en fait, c’est tout. Je… Je voulais savoir comment allait Ysée, en fait. Disons que… Enfin, je veux m’assurer qu’elle s’est remise de son tête-à-tête avec l'ambassadeur.

— Tu n’es plus en contact avec elle ? Comment ça se fait ? Tu n’es pas au courant, alors, pour son père…

Je me redresse sur mon fauteuil, immédiatement inquiet. J’ai bien compris que le père d’Ysée était malade, mais je ne pensais pas…

— Qu’est-ce qui se passe avec son père ?

— Il a eu un accident. Tu sais qu’il… qu’il perd un peu la tête ? Eh bien, il a ingéré du désherbant, le pauvre. Il a failli y passer, et là, ils le gardent en observation. Je crois bien qu’il a la maladie d’Alzheimer…

— Ouais, c’est ce que j’ai cru comprendre en le voyant, soupiré-je. Donc, j’imagine que tu n’as pas vu Ysée depuis ? Ou Marina l’a obligée à venir bosser et jouer l’escort pour d’autres pervers ?

— Marina n’a jamais forcé personne à faire quoi que ce soit, même pendant qu’elle était dans la rébellion. Et comme Ysée a dit qu’elle ne le ferait plus, elle la laisse tranquille. Sinon, j’ai croisé ta Ministre au Palais. C’est elle qui m’a prévenue, mais je ne sais pas si j’étais sensée te le dire…

— Hum… Maintenant, c’est dit. Bon… Je vais retourner bosser, Ju, c’est pas en tapant la causette que je vais faire gonfler mon compte en banque. On s’appelle en visio ce weekend avec les filles ?

— On fait ça, mon Chou. Et ne travaille pas trop, ça va nuire à ton teint ! se moque-t-elle.

— T’as meilleure mine, toi, en parlant de teint. Allez, bisous, espèce d’emmerdeuse !

Je lui envoie un baiser et raccroche en me disant que je ne vais définitivement pas parvenir à bosser, aujourd’hui. Ysée, déjà bien trop présente dans mon esprit, se retrouve au top de la liste de mes pensées, et ce plan pourri ne parvient pas à la reléguer plus loin. Merde… Il va vraiment falloir que je fasse quelque chose et vite.

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