Intrusion

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Au milieu de la nuit, dans une maison tranquille d'un quartier tout aussi tranquille, un grand bruit se fit entendre. Dans la chambre conjugale, la femme se réveilla en sursaut, suivie de près par son mari. Les premiers instants, ils ne dirent rien et attendirent, dans l'espoir de n'avoir affaire qu'à un produit de leur imagination. Un second grondement se fit entendre, plus puissant encore que le précédent. Cette fois, il était clair que cela provenait de chez eux. Du salon, plus précisément.

— On devrait peut-être appeler la police... proposa le mari.

— Non, il vaut mieux aller voir d'abord. Pas la peine de déranger la police si c'est rien de grave. Tu y vas ?

Un grand silence suivit.

— D'accord, d'accord, je me dévoue.

Elle repoussa les couvertures, se leva et tâtonna pour attraper la lampe de poche dans le tiroir de la table de chevet. Elle se glissa hors de la chambre, son cœur battant dans sa poitrine. Malgré son assurance quelques secondes auparavant, elle sentait l'appréhension monter en elle. Et si c'était un cambrioleur ? Et si elle était réellement en danger ? Debout au milieu du couloir dans lequel soufflait un vent frais - il était vraiment temps de faire réparer ce trou dans le mur, par lequel la brise et la pluie s'infiltrait en hiver - elle s'efforça de souffler, de rassembler ses forces et ses esprits. Après tout, n'avait-elle pas vécu bien pire que cela ? Quel genre de cambrioleur serait assez impitoyable pour l'effrayer, elle, qui avait toujours été sans peur. Depuis l'âge de douze ans, elle ne l'avait plus ressentie, cette terreur de l'inconnu qui s'infiltre dans des murs qui ne lui appartiennent pas. Elle serra la lampe dans sa main moite et reprit sa route, à pas feutrés, en direction de l'escalier. À chacun de ses pas, elle frissonnait, au contact de la moquette froide qui faisait remonter des tremblements de la plante de ses pieds jusque dans sa nuque.

Elle avait tout juste posé la main sur la rampe de l'escalier qu'un nouveau grondement retentit, et elle sentit le sol trembler sous ses pieds. Elle n'était plus certaine d'avoir envie de descendre jusqu'au salon. Quoi qui puisse y être, ce n'était pas un simple cambrioleur. Toutefois, résolue, et plus têtue que couarde, elle décida de continuer. Elle descendit, doucement, posant à chaque fois ses deux pieds sur chaque marche et épiant chacun des mouvements qu'elle pouvait discerner dans la faible ombre projetée par le voyant clignotant de la télévision en veille. Les craquements étaient réguliers, comme un cœur qui bat... non... comme une porte qu'on essaie d'enfoncer.

Elle avançait, petit à petit, ignorant la peur qui la tiraillait, qui lui criait de remonter au plus vite, de se cacher, et d'attendre que cette terrible expérience se termine. Mais, évidemment, elle ne l'écouta pas. Elle se savait plus forte que cela.

Elle descendit encore d'une marche, la lampe de poche braquée devant elle. Elle ne s'en rendit pas compte tout de suite, mais la température de la pièce avait commencé à monter graduellement, presque imperceptiblement, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus du tout froid dans sa courte chemise de nuit en coton. Elle ne s'en rendit pas compte, du moins, jusqu'à la déflagration.

Alors qu'elle n'était plus qu'à cinq marches du rez-de-chaussée, une immense flamme engloutit tout le salon. Le feu recouvrit tout, passa sur chaque pan de meuble, sur chaque rideau. Quand il se fut dissipé, une couche de suie noire recouvrait tout le mobilier, le sol, les murs, et même le plafond. Il y eut un battement, comme une pulsation, et un nouveau tourbillon de flammes, qui s'évanouit en laissant la pièce encore plus noire.

Ce n'était pas un feu naturel, rien qui puisse exister dans ce monde. La femme porta une main à sa bouche. Comment réagir face à un tel phénomène ? Fallait-il fuir ? Au contraire, fallait-il s'approcher pour déterminer une bonne fois pour toutes de quoi il s'agissait ? Il lui parut être un bon compromis de ne descendre à la marche suivante que d'un pied, prête à bondir à l'étage en cas de problème.

De là où elle se trouvait, courbée pour observer la scène entre les barreaux de la rampe, elle vit le carrelage, maintenant couvert d'une épaisse couche de suie, se craqueler, d'un bout à l'autre de la pièce. De la fissure émanait une chaleur vive, à tel point qu'elle faisait onduler l'air au-dessus d'elle. Les dalles de carrelage se fissuraient, et un nouveau grondement sourd se fit entendre, encore plus puissant que les autres.

À présent, si la femme avait voulu fuir, elle n'aurait pas pu. Ses pieds étaient fermement ancrés au bois des marches, refusant de bouger ne serait-ce que d'un centimètre. Elle continua d'observer cet étrange et terrifiant spectacle. Quelque part, au fond de son âme, elle se dit qu'elle tarderait pas à se réveiller en sueur et se demanderait comment son cerveau pouvait lui chuchoter des rêves aussi insensés. Cependant, la chaleur qui inondait maintenant ses jambes et son visage lui confirmait douloureusement qu'elle était bel et bien dans la réalité. Qu'elle était dans le monde qu'elle connaissait, dans lequel elle vivait et dont les repères étaient chamboulés. Que devait-elle faire ? Il n'existait pas de numéro d'urgence à appeler au cas où le carrelage du salon se désagrège en s'ouvrant sur un ruisseau de lave. Car, après quelques secondes de calme, la femme vit effectivement une bulle de lave émerger du trou dans la faïence, éclater et couler dans les joints noirs comme dans des rigoles. Puis une autre, et encore une autre, jusqu'à ce que ce bouillonnement fasse déborder la marmite et qu'un flot de magma jaillit, projetant du liquide incandescent sur tous les meubles environnants.

Enfin, comme un serpent nouveau-né crève son œuf après des heures d'effort, un bras long et noir, terminé par des mains dotées de griffes acérées, sortit de terre, suivi par un deuxième, puis par une tête monstrueuse entourée de deux longues cornes. Tirant sur ses bras pour s'extirper de sa prison, la chose soufflait, bavait, grognait. Elle était seulement éclairée par l'incandescence de la lave dans laquelle elle baignait, lui conférant un air plus terrifiant encore que si elle avait été en pleine lumière. Dans sa lutte pour se mettre sur ses pieds, la créature tourna la tête en direction de l'escalier. Ses trois grands yeux jaunes croisèrent ceux de la femme, et ils s'écarquillèrent, leurs pupilles rétractées au point de n'être plus que de fines lignes.

Ce fut cette brève confrontation de regards qui libéra enfin les jambes de la femme de leur immobilisme. Elle tourna les talons, et retourna dans sa chambre au pas de course. Elle claqua la porte derrière elle et alla s'asseoir sur le lit conjugal.

— Qu'est-ce que c'était ? demanda le mari en allumant la lampe de chevet.

Il lui lança un regard inquiet, l'observant de tous les côtés en l'attente d'une réponse, les mains se baladant de l'une de ses cornes à l'autre, comme il le faisait toujours lorsqu'il était nerveux.

La femme se tourna vers lui, et passa une main sur la peau rouge bordeaux de sa joue. Puis, elle se rallongea et rabattit la couverture au-dessus d'elle.

— Je compte sur toi pour dire à ton fils que, même si on est très content qu'il maîtrise les arcanes de passage entre les mondes, c'est mieux de revenir dans le jardin et pas dans le salon. Et pareillement, qu'on est très content qu'il arrive à se faire des amis autant sur Terre que dans tous les cercles de l'Enfer mais que l'heure de couvre-feu est absolue et non discutable. Bonne nuit.

— Oui, chérie. Bonne nuit, chérie...

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