Partie XI

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Anna-Élisa chercha un moment à l’étage, dans la chambre utilisée par Violys, mais ne trouva rien de probant. Harassée, elle redescendit pour retrouver Falkwyr, et décider de quoi faire avec lui. En bas des marches, elle toussota, et s’approcha de l’unique chandelle allumée pour inspecter la paume de sa main. À son grand soulagement, il n’y avait pas de sang, seulement une griffure au poignet dont elle ne s’était pas rendu compte. Si elle n’était pas guérie, elle allait de mieux en mieux.

Sur la table faiblement éclairée, un bout de papier blanchâtre attira son attention. Il s’agissait du mot que Violys avait laissé à sa mère. Elle y disait devoir quitter plus tôt le manoir Delorm, car elle avait eu des nouvelles du village. Plusieurs mariages devaient avoir lieu presque en même temps, et dans des délais très courts. Elle devait donc se hâter de sélectionner les fleurs, et dessiner les arches et les bouquets. Pourtant, quelque chose clochait, mais Anna-Élisa ne parvenait pas à savoir quoi, jusqu’à ce qu’un éclair ne lui traverse l’esprit. Elle connaissait cette écriture. En réalité, elle trouvait même qu’elle ressemblait beaucoup à la sienne.

La maîtresse de maison fut prise d’un doute, et elle n’aimait pas ça. Un frisson parcourut son échine, et elle se sentit aussitôt observée. Elle fixa longuement les coins de la pièce, plongés dans de noires ténèbres, mais rien ne s’y cachait. Après avoir relu le message, elle devait en avoir le cœur net. Presque en courant, elle traversa le manoir pour arriver dans sa salle de travail, dont les étagères étaient couvertes de plans et de matériel de dessin. Elle s’approcha de son bureau, sous lequel elle s’était cachée quelques nuits plus tôt, et y déposa le dernier plan sur lequel elle avait œuvré avant sa convalescence. Le plan du manoir était finement étudié, minutieusement dessiné, si bien qu’on le reconnaissait immédiatement. La dame reconnut aussi très vite son écriture, qu’elle compara au billet, et manqua de tomber à la renverse. Elle le savait, désormais. Elle avait écrit ce message.

Les poings agrippés sur le rebord du bureau, elle fut saisie de tremblements, incapable de bouger. Comment était-ce seulement possible ? Elle s’efforçait de mettre de l’ordre dans ses pensées tout en parcourant le plan des yeux, mais un mot écrit à l’encre noire balaya tout dans son esprit. Les souvenirs se bousculaient les uns contre les autres. Au centre du jardin, dans un cercle parfait, était inscrit puit.

Il n’y avait pas de buis. Il n’y avait jamais eu de buis.

— J’ai peur de ne pas bien comprendre la nature du problème, ma dame. Il n’y a aucune plante noircie, juste le vieux puits.

Algarias la regardait, perplexe. Elle n’aimait pas ses insinuations, pas plus que son nouveau parfum. Témoin de son propre souvenir, occulté jusque là dans les tréfonds de sa mémoire, elle se vit tendre les mains vers le majordome. Elle se vit écrire des messages sur des bouts de papier. L’un parlait de la mère d’Algarias, l’autre des fleurs de Violys.

— Comment est-il arrivé là ? Vous avez fait tomber votre livre du rebord de la fenêtre ?

La jeune fille fixait l’ouvrage, puis son visage, et s’approcha d’elle. Il y avait un éclat dans son regard. C’était elle qui l’avait jeté. C’était elle qui s’était cachée dans l’ombre pour l’épier. Sans pouvoir réagir, seulement emportée par le flot des événements, Anna-Élisa sentit la froideur du métal dans sa main, et, quand Violys fut à portée, elle lui planta les ciseaux dans l’épaule.

Une mélodie résonnait, lugubre. Elle s’avisa qu’il s’agissait de sa propre voix. Elle reconnaissait le rythme, qu’elle chantonnait en lisant à voix haute. Les paroles, toutefois, étaient bien différentes. Elles étaient dans une langue qui lui était inconnue, sèches et gutturales. Une seule d’entre elles était plus ou moins transparente. Libérer.

— Avez-vous vu mon livre de mélodies, Falkwyr ?

L’intéressé soupira, et écarta les bras. La dame avait froid, et il faisait sombre. Elle aurait dû rentrer sur le champ et interroger son époux plus tard, mais elle désirait une réponse plus que tout.

— Je ne voulais pas vous inquiéter outre mesure, Anna. J’ai appris que l’ouvrage avait sans doute été enchanté, peut-être par la sorcière qui le possédait, et qu’il pouvait être la source de votre mal.

Il baissa les yeux.

— Qu’avez-vous fait ?

— J’ai vous subtilisé le livre, et je l’ai jeté dans le puits.

La rage s’empara de la femme, qui se vit foncer vers l’homme au pourpre pourpoint. Avec une force qu’elle ne s’imaginait pas, elle le fit basculer, et Falkwyr tomba brutalement dans le puits au centre du jardin.

Anna-Élisa cria, choquée, terrifiée par les souvenirs qui venaient de refaire surface. Qu’avait-elle fait ? Pourquoi ? Elle avait fait du mal à ces gens qu’elle aimait, mais ne comprenait pas ce qui l’y avait amenée. Était-elle folle à lier ? Était-ce la créature de ses cauchemars qui l’y avait forcée ? Cette dernière réflexion renforça son hypothèse de la folie. Seul quelqu’un de profondément perturbé pourrait penser de cette façon.

Elle réalisa qu’elle avait totalement occulté un souvenir qui datait pourtant de moins d’une heure. Falkwyr, son merveilleux époux ! Il était en train d’agoniser dans le puits au milieu du jardin. Elle y voyait plus clair, désormais, et l’hallucination s’était dissipée. Il n’y avait pas de buis.

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