?sLa stratégie du matin fut exposée à 9 heures 12 précises. Je le sais car je ne cessais pas de regarder, discrètement, la montre de mon voisin qui se retenait de bailler toutes les cinq minutes.

Le week-end de cohésion d’entreprise qu’ils disaient ! Les trois jours les plus longs de la galaxie, oui !

D’ailleurs qui dit week-end, dit deux jours, pas trois, merde !

Déjà quand nous avons reçu le mail, on aurait dû se douter qu’il y avait un loup (gros loup) :

« On vous offre un week-end à la campagne, déconnecté mais en connexion avec vos collègues de travail. On va jouer en équipe ! Prévoyez des baskets et n’oubliez pas de récupérer votre t-shirt d’entreprise… ».

1. Week-end à la campagne déconnecté = dans le trou du cul du monde, sans possibilité de demander des secours, de l’aide, ou carrément lieu préféré pour serial-killer !

2. Connexion avec vos collègues = tout le monde dans le même dortoir à vingt lits, avec odeur de transpiration, blagues idiotes du service compta et obligation de dire bonjour à ce « connard de Butard ».

3. Jouer en équipe = ballon-prisonnier au mieux (et ballon dans ma gueule) ou escalade en montagne (ou pire) tous en cordée (le premier qui craque se tape la honte et devient le mouton noir… youpi !).

4. Prévoyez baskets = tu vas en chier, mon pote !

5. T-shirt d’entreprise = les moutons, la tête sur le billot, merci !

Bref, à la lecture du mail, j’étais parti pour décliner un brin mais mon binôme a commencé à couiner de désespoir. Il est allergique à tout le programme, comprendre : campagne, collègues, sport, t-shirt (hors de son costard, il ne sait pas vivre).

Nous voilà donc dans l’obligation de répondre affirmativement (et de manière enjouée) à l’invitation.

Je me suis creusé la tête pour que cela sonne vrai :

« Cher X, mais quelle super idée ! Je m’en réjouis d’avance. Sans connexion ? Je peux quand même venir avec mon CD de « dance musique » ou pas ? Chips ou pas ? Merci. B. »

J’ai imaginé la tête du DRH et de sa dragonne de secrétaire à la lecture… Puis, ce qui devait arriver, arriva, j’ai reçu un mail de la brunette qui sourit quand elle se brûle :

« Le week-end est bouclé et clés en mains, merci de respecter les consignes suivantes : ni musique, ni téléphone portable, ni pigeon voyageur ; baskets, shorts, tenues décontractées obligatoires. Prévoir un maillot de bain et le nécessaire pour une ballade en forêt »…

Une balade, connasse ! Même pas fichue de s'exprimer correctement…

Bref, bref, quand j’ai répercuté le mail à mon collègue, il m’a dit, en souriant : « ben, là, tu vois, on va en chier, mec… le week-end d’intégration va tourner à la désintégration… une balade en forêt ? La dernière fois que j’ai mis les pieds à la campagne, j’ai dû être hospitalisé en urgence pour urticaire géante… ».

Deux jours plus tard, en allant récupérer mon t-shirt XXL d’entreprise (oui, ils avaient prévu deux tailles au-dessus pour « éviter tout frottement pendant les activités »), j’ai croisé la jolie blonde du 4e, celle qui me fait de grands sourires au restaurant d’entreprise quand je prends du Flamby… Elle m’a regardé et m’a dit :

« Ah, paraît-il que c’est votre tour au 8e de partir en week-end ? Courage, hein ! Parce que moi, l’année dernière, j’ai eu des ampoules aux pieds pendant des semaines ; en plus, Marie-Agnès est une peste, elle va vous pourrir le week-end avec ses papotages incessants ! ».

Ah ? Parce que la dragonne vient aussi ? Oh putain !

Le jour J, j’étais à l’heure, devant l’entreprise à 7h12 quand j’ai vu arriver mon binôme, en jogging, t-shirt d’entreprise, une valise cabine siglée à la suite, et son iPhone à la main. Il m’a salué et m’a glissé : « j’ai une planque au fond de la valise, et un chargeur… »

J’ai ri et lui ai dit « et si on est en zone blanche ? »

Lui : « Hein ? Ça existe encore ? »

Moi : « Ben, oui ».

Je crois qu’il a fait un malaise vagal interne !

La dragonne est arrivée, pardon Marie-Agnès, et elle a fait l’appel.

Vous le croyez, ça ?! L’appel !

Dans le car qui nous menait à la gare, direction, en TER, la gare du trou du cul du monde la plus proche, Demi-Big (comme on surnomme le chef) a lu un discours pour nous préciser quelques détails.

Si je n’avais pas, déjà, eu la boule au ventre, j’aurais été pris de vomissements (internes aussi)…

Programme :

Jour 1 (annoté par mes soins):

1. Initiation à la découverte de de nos collègues (comme si ça nous passionnait !)

2. Déjeuner en commun, préparé par nos soins à base de légumes et fruits bio, sans viande, ni œuf, ni jambon (ni petits oiseaux au lard?).

3. Micro-sieste (5 minutes, et hop tout le monde dans son short).

4. Balade en forêt (prévoir des petits cailloux ?).

5. Initiation au footing (beurk).

6. Jeux de société avec tirage au sort des binômes pour le week-end (Cluedo, qui a flingué la Dragonne avec son stylo Bic dans le placard à balais ?).

7. Dîner en commun (rebelote pour la préparation, les mains dans le cambouis !).

8. Débriefing et jeux de rôles (Tu fais le mauvais flic ou le bon ?).

9. Séance ciné « obligatoire » : premier film « Margin Call » (ça promet !)

10. 22h25 au lit (On peut faire pipi avant ?).

Les jours 2 et 3 étaient sur la même base, mis à part les activités et les films :

Jour 2 : Chasse au trésor en milieu hostile et « The Machinist » (super pour la motivation !)

Jour 3 : Course d’endurance individuelle avec classement (autant dire, les loups se bouffent entre eux) et « La Loi du Marché » (pour les perdants) / « Le Loup de Wall-Street » (pour le TOP 3)…

A 9h, au pied du TER, c’était déjà l’enfer… wagon surchauffé, placement obligatoire, lecture du magazine interne de l’entreprise, Dragonne en jupe courte et longue queue de cheval avec chouchou aux couleurs corporate, et Demi-Big en short et polo Fred Perry…

Je peux vomir, ou non ?

A suivre….