Chapitre 2 : Le discours de Demi-Big
Il fallait bien s’y attendre !
Quand nous eûmes fini de lire le bulletin de l’entreprise, dans lequel le Big Boss exposait les chiffrés clés de l’année précédente, et sa montre à plus de 15 000 euros, négligemment posée sur le bureau en acier chromé, Demi-Big prit le micro…
Enfin, façon de parler, car nous étions dans le TER et qu’il n’était pas équipé pour…
La Dragonne avait prévu un mégaphone, de moyen calibre, mais suffisamment puissant pour que tout le wagon puisse profiter de sa voix de crécelle et de son discours d’introduction.
« Nous voici à l’orée du bois ! » Gueula-t-il sans que personne ne comprenne vraiment le sens de sa phrase d’appel.
Butard, pourtant le plus assidu, tourna sa tête vers le fond du wagon, où je me trouvais avec mon binôme et les plus dissipés du 8e, et la secoua, indécis.
« Nous sommes une équipe. La Direction a souhaité vous convier dans un lieu convivial, loin des murs étriqués de notre société afin de profiter des avantages d’une détente méritée et d’un mouvement de cohésion, solidaire bénéfique à notre entreprise. » Continua-t-il.
Mon binôme lâcha un « p ’tain, ça veut rien dire ! » ce à quoi la petite nana du service « délais et sécurisation des archives » - ce qui ne voulait rien dire non plus ! - répondit : « Mais chut, on entend rien ! Si tu ne comprends pas, tu demandes à ton binôme ! ».
Cela commençait bien, tiens ! On avait officiellement un espion dans nos rangs.
Ah ! Oui, parce que nous nous étions bien débrouillés ! A peine placés dans le wagon, et profitant que Dragonne se faisait dragouiller par le contrôleur, nous avions changé de sièges. Butard avait détesté se retrouver à mi- wagon, en bon élève, et la petite nana s’était faufilée jusqu’à nous… surtout pour les beaux yeux de mon binôme.
Demi-Big continua sur sa lancée… on avait encore deux heures de transport, autant ne pas gâcher cette escapade en groupe :
« Bien entendu, vous étiez libres de ne pas venir, mais s’eût été dommage pour nous de ne pas être ensemble, tous ensemble ».
Butard, très en forme, et largement plus rebelle que je ne le pensais, glissa « dommageable pour vos carrières, surtout, les mecs ! ».
Cela commençait bien, tiens ! On avait officiellement un espion dans nos rangs.
Son binôme, surnommé « deux paires » en raison de son manque de goût en matière de chaussettes (deux paires, une blanche, une noire, en alternance cinq jours par semaine), y alla de son trait d’humour « Tous ensemble, tous ensemble hep, hep ! » digne d’un gradin de stade.
Tout le fond du wagon pouffa et la Dragonne souffla un air de panique sur le milieu de la troupe. Elle pensa, à tort, comme d’habitude, que Butard avait dû faire un jeu de mots (pourri) et elle lui lança son regard de tueuse d’entreprise, style « toi, à la prochaine notation, je vais te dénoncer ».
Demi-Big expliqua, alors, enfin !, le but de la manœuvre :
« Nous, enfin, Big Boss, mais, bon, nous avons pensé que l’entreprise se devait être exemplaire au niveau de l’esprit d’équipe. Lors du dernier meeting à Boston, nous avons été surclassés par notre concurrence directe, ces cons de chez DuboisPèreFilsetEsprit, à cause d’une « mauvaise organisation collective » lors du grand quizz.
Tout le monde a fonctionné individuellement, proposant des réponses, soit intéressantes et souvent justes, mais de manière désordonnée… Du coup, je vous l’assure, c’était inaudible et les Dubois ont gagné grâce à la voix de stentor du grand blond qui répondait après décision collégiale.
Chez nous, c’était à celui qui gueulait le plus fort, et pas forcément le plus juste !
Big Boss a été heurté dans sa sensibilité de dirigeant et a souhaité que chacun de ses services puisse s’approprier de nouveau, la volonté de feu son père : union pour le travail, à l’unisson dans les bureaux ».
Mon binôme souffla encore « mais ça veut rien dire » sous le regard énamouré de la petite nana qui venait de remonter sa jupe (tte) aux couleurs de la société.
Quand le TER arriva en gare, on nous indiqua qu’un car allait nous conduire à notre point de chute « le Domaine des Bois sacrés »… à trois heures de route…
« Quand j’ai dit trou du cul du monde, j’avais raison, ou pas ? » dis-je à la volée aux exilés du fond (du wagon).
A suivre….
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