Scène 2

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Arthur adorait l’appartement de Sophie. Son appartement à lui donnait sur l’arrière de l’immeuble. Bien qu’au même étage, il n’avait pas la hauteur de plafond du bel étage comme Sophie. Le parquet d’époque et les moulures du plafond donnait le cachet bcbg de la pièce. Sans être grand, le salon donnait une impression d’espace, grâce aux trois hautes portes-fenêtres du balcon, s’ouvrant sur le jardinet de la cour.

Sophie avait choisi de le meubler de façon simple, presque minimaliste, mais avec des meubles choisis avec soin, sur les conseils de l’épouse de son éditeur, Fanny, décoratrice d’intérieur.

Arthur adorait le grand sofa violet velouté au centre. Il contrastait avec les trois chaises du même tissu décliné en turquoise, égayés de coussins jaunes et blancs. Les murs peints en blanc affichaient quelques gravures et un miroir posé sur la cheminée en marbre. Le sol en chêne teinté ajoutait de la chaleur à la luminosité des fenêtres, encadrées par des tentures bleues nuit. Un grand lustre design éclairait la table basse et le meuble télé en verre et métal doré et une commode vintage.

— Bon ben alors, tu te secoues ? T’as vu l’heure ? On est déjà en retard. Ah non ! Tu ne le remets pas !!

Il se précipita pour ôter le téléphone des mains de Sophie et couper l’application de musique.

Elle le regarda enfin, feignant l’étonnement.

— Arthur ? Qu’est-ce que tu fais là ? Comment t’es entré ?

— Si tu écoutais un peu ce qu’il se passe autour de toi, tu le saurais. Allez, t’es prête ?

Sophie ne répondit pas.

— Putain, Sophie, secoue-toi. Ou pleure, ou crie, ou fais quelque chose, non mais oh !

Arthur explosa, découragé.

— Oh et puis m…, reste là si ça t’amuse. T’es pas marrante, tu sais. En fait nous, on en a juste marre de toi et de ta déprime à rallonge. Paraît que ça fait trois ans que ça dure ? C’est quoi, ton problème, à la fin ??

Sophie soupira… C’était bien ça la question : c’est quoi son problème ?

Elle n’avait même pas eu à se donner la peine de sombrer dans la drogue ou l’alcool. Elle n’avait eu qu’à sombrer tout court. Elle ne savait elle-même pas trop pourquoi, au juste. Pourquoi est-ce que, sa mère partie, se retrouvait-elle si désemparée, si vidée. Comme détruite. Comme punie. Elle avait peur, et puis froid, et puis faim, et puis pas, et puis sommeil. Mais elle ne faisait rien, juste rester immobile comme une statue de sel.

Elle aimait bien, cette image de la statue de sel. Elle se la servait régulièrement.

Quand elle était enfant… “Oh, la barbe”, fit la petite voix.

Sophie se saoulait elle-même de ses propres pensées. Surtout quand ça partait dans les souvenirs d’enfance. Lassée de tout ce bruit mental, elle réussit enfin à mettre sur off et se décida à sortir de ses pensées.

Elle vit Arthur trépigner à côté d’elle.

— C’est la Dragon qui t’a ouvert, avoue.

Elle imagina alors Lucrèce Dragon dans l’encadré de la porte, la regardant d’un air navré. Sophie savait qu’elle était son héroïne, la perle de son précieux immeuble dont elle gardait farouchement la tranquillité et la réputation. Pour une Madame Dragon fictive, Sophie se redressa un peu, regarda l’entrée et lui lança un pauvre sourire. Un sourire d’agonisante espagnole au cantabile du longo de la procession des pénitents, c’est ça ? Pourquoi est-ce qu’elle se plaisait autant dans le pathos espagnol ces derniers temps ?

Le fantôme de la Dragon haussa les épaules. L’ayant ramenée à la vie, il disparut. Pas la peine de rester pour le troisième acte, les éclats de voix d’Arthur parviendrait tout seuls et entiers jusque dans la loge.

— Bon, Sophie, tu viens maintenant, oui, ou non ? tenta une dernière fois Arthur.

— Oui, c’est bon, j’arrive. J’arrive, pas la peine de t’énerver ainsi.

Elle jeta un oeil à sa montre. Dix-neuf heures quarante presque. Ah oui, quand même…

— Oups, désolée, j’ai pas vu le temps passer.

— Ça, tu peux le dire. Heureusement qu’on avait réservé, ça aurait été blindé. Tout le monde t’attend là-bas. On dira que t’as eu un problème de fringue… Ce qui sera quasi la vérité, fit Arthur en regardant les vêtements de Sophie. C’est quoi, “ça” ?

Il lui montra le haut qu’elle avait enfilé à l’envers.

— Beh, c’est une blouse.

— C’est un vieux truc d’une mocheté sans nom ! Tes rideaux sont mieux ajustés. Vire-moi ça, et mets, euh, tiens, va chercher le top que tu avais sur la photo-là, et ta veste bleue. On fera pas de miracle ce soir. Je vais juste essayer de te rendre sortable. Le jeans, ça passe toujours. Mets des chaussures un peu classes, et en avant. Pu…, la meuf ! Et ramène ta trousse de maquillage.

Sophie s’exécuta. Puis elle revint s’asseoir dans un des fauteuils et se laissa faire. Arthur était marrant quand il avait une idée en tête.

— Je vais tenter l’opération de la dernière chance. Style maquillage nude, campagnarde zéro OGM. Mon dieu, ma pauvre, tu as une tête à faire peur.

Depuis qu’Arthur avait emménagé à côté, le courant était tout de suite passé entre lui et les quelques amies qui venaient encore voir Sophie. Au début, elles se demandaient de quelle planète il tombait mais son naturel avait vite balayé les réticences. Spontané et sans filtre, elles l’avaient adopté comme il était. Avec ses cheveux frisés impossible à coiffer, un chouilla trop longs, ses chemises à fleurs et son regard clair de poète hippie, il était d’une gentillesse à toute épreuve, toujours blagueur et serviable.

Ado, il avait combattu sa timidité en s’engageant pour un job d’été avec une troupe de théâtre. Il s’était amouraché de la maquilleuse. Pour autant, il tourna le dos à la vie de bohème et mena brillamment des études d’informaticien. Il prospérait dans le monde du digital marketing et s’éclatait en exploitant de la smart data. Ou un truc du genre.

— Tourne-toi comme ça. Je te maquille vite fait. On aurait les flics aux fesses si je te sortais comme ça. J’ai pas envie de me faire arrêter pour exhibition de zombie sur la voie publique.

— T’exagères quand même…

— Tais-toi et ferme les yeux, comme ça. Bouge pas, voiiilà ! T’es enfin re-jolie, presque comme un coeur. Puis, bon anniversaire, voisine !, fit-il en se penchant et se redressant rapidement, comme pour lui claquer une bise virtuelle. Allez, on est parti !

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