19. Kenzo n'est pas Dempsey

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Joy

— Lâche ce téléphone, Théo, ça ne sert à rien…

Je soupire et lui prends des mains avant de me lover contre lui. Je crois qu’il nous fait une petite déprime, mon colocataire, et je déteste le voir dans cet état. Ça me donne vraiment des envies de meurtre, et la personne visée n’est autre que Kenzo, un ami proche et… Le fils de mon homme. Je suis vraiment dans une situation de merde, pour le coup, tiraillée entre les deux.

— Tu veux regarder quoi alors ? continué-je en récupérant nos assiettes sur la table basse.

— Ce que tu veux, je m’en fous.

Je l’adore, vraiment, mais j’ai envie de le secouer un peu, et pas avec douceur.

— Théo, il faut vraiment que tu te reprennes, là, tu me fais peur… Ça m’inquiète de te voir comme ça. Si Kenzo n’est pas capable de se décider, c’est qu’il ne te mérite pas. Et toi, tu mérites quelqu’un qui se consacre entièrement à toi. Je suis sûre que ce mec t’attend quelque part, et ce n’est pas en restant enfermé ici à broyer du noir que tu vas le rencontrer.

— Tu ferais mieux d’aller rejoindre ton comptable, Joy, il va finir par faire la gueule que tu passes autant de temps avec moi.

— T’inquiète pas pour ça, il comprend.

Et ça l’arrange un peu, je crois. Enfin, on est samedi soir, de toute façon, et Alken est à Paris. J’ai eu un peu plus de nouvelles de lui aujourd’hui qu’hier, peut-être qu’il est moins fâché. Toujours est-il que je n’en démordrai pas, je n’avais pas à me mêler de ça. Enfin, je m’en suis mêlée, évidemment. J’ai même menti pour les couvrir. Ok, j’ai un peu abusé, mais la position n’était vraiment pas facile pour moi. Je m’excuserai pour les mensonges, mais pas pour avoir gardé cette information.

— Mon meilleur ami et coloc me manque, Théo. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Je suis perdue, là, j’ai envie de t’aider mais je ne sais plus quoi faire, soupiré-je .

— Tu ne peux rien faire, Princesse. Laisse tomber. C’est juste que je croyais avoir trouvé l’homme de ma vie et finalement, ce n’était qu’un plan cul. Je vais m’en remettre. Tu es là, c’est déjà beaucoup. On se regarde Bridget Jones, si tu veux, ça me redonnera le moral.

— Oh oui, Patrick Dempsey, minaudé-je en m’éventant. Tu m’étonnes que ça donne le moral. J’ai bien fait de ne pas mettre de culotte ! En voilà un qui ne dormirait pas dans la baignoire que nous n’avons pas !

— Ah oui, on pourrait vraiment se faire un plan à trois avec lui, ma Chérie. S’il débarque à la maison, tu me préviens, hein ? sourit enfin mon colocataire en s’installant à mes côtés sur le canapé.

— Promis ! Et je partage, pas de problème, ris-je en cherchant le film sur la plateforme de visionnage. Est-ce que je passe pour une perverse si je dis que je rêve de le voir s’activer entre mes jambes avec cette jolie bouche ?

— Oui, et moi, tu me prends pour un pervers si je te dis que je rêve de cette jolie bouche sur mon sexe ? Merde, Joy, tu me fais bander là, continue-t-il en me montrant son petit short sexy.

— Oups, pouffé-je en démarrant le film.

— Théo ! Joy ! Y a du monde pour vous !

Mon colocataire et moi nous regardons en entendant Léon crier depuis l’entrée, avant de pouffer tous les deux.

— Si c’est Patrick, j’espère qu’il a sa combinaison de pilote, je vais être prête en quelques secondes, murmuré-je en serrant les cuisses théâtralement.

— Arrête, Joy, si c’est Patrick, je vais jouir rien qu’en voyant son petit cul arriver dans notre appartement ! me répond Théo en riant avant de brutalement se figer en regardant vers l’escalier derrière moi.

Je me tourne et ne peux retenir un soupir en voyant Kenzo monter les dernières marches.

— Ça, c’est pas Patrick et ça ne me fait pas mouiller, murmuré-je à Théo. Kenzo ? Qu’est-ce que tu fais là ?

— Bonjour. J’espère que je ne vous interromps pas alors que vous faisiez des bêtises, nous demande-t-il en jetant un œil d’abord à ma petite nuisette et ensuite à mon colocataire dont le sous-vêtement ne cache pas grand-chose de son état d’excitation.

— Oh non, on fantasmait juste à deux sur un plan à trois avec Patrick Dempsey, continué-je alors que Théo me fait signe de me taire. Soirée normale entre colocs.

— Ah oui, je vois, je comprends que ça vous mette dans cet état-là, sourit Kenzo. Joy, tu peux nous laisser un peu, j’aimerais discuter avec Théo. Et je pense que je serais plus à l’aise si tu n’étais pas là, me demande-t-il un peu gêné.

— Tu peux parler devant elle, Kenzo, réplique mon coloc, visiblement pas prêt à affronter la situation tout seul. Elle sait tout de notre relation, on n’a rien à lui cacher. Tu es d’accord, Princesse ?

Théo se tourne dans ma direction et me lance un regard suppliant qui finit de me convaincre que ma place est ici, en soutien..

— Bien sûr. Et je suis une tombe, tu le sais, Kenzo, dis-je en lui lançant un regard appuyé.

Ça me vaut une bouderie d’Alken d’ailleurs, d’être une tombe, et il le sait.

— Ouais, mais je vous préviens, je ne suis pas là pour remplacer Patrick dans un plan à trois, bougonne-t-il en tirant une chaise pour s’asseoir devant nous.

Je vois qu’il hésite à parler, il se triture les mains et je pense que Théo est dans le même état de stress car je sens sa main se serrer contre ma cuisse. Tout son corps est tendu contre le mien et j’ai l’impression d’être dans un de ces moments où le temps s’arrête avant que ne commence un cataclysme dévastateur. Pour briser la tension de manière moins dramatique, je me décide à briser ce silence qui s’est installé.

— Je prends note. Alors, qu’est-ce qui t’amène ? Tu veux boire quelque chose ?

— Non, merci, je n’ai pas soif. Je suis venu parce que… Théo me manque, balance-t-il sans prévenir en regardant mon colocataire qui retrouve immédiatement le sourire.

— Je te manque ? C’est vrai ? Toi aussi, tu me manques beaucoup, mon Kiki.

— Oui, tous les bons moments passés ensemble me manquent, et pas que le sexe, hein. Tu es mon ami, Théo, et je voudrais qu’on puisse reprendre quelque chose tous les deux.

— Et Emilie, dans tout ça ? ne puis-je m’empêcher d’intervenir.

Il me regarde et j’ai l’impression que ses yeux me transpercent et qu’il n’apprécie pas vraiment mon intrusion dans leur échange. Mais bon, Théo a voulu que je reste, je ne vais pas jouer la plante verte. Le fond du problème, c’est le triangle, pas seulement les sentiments..

— Emilie ne voit pas d’inconvénient à ce que je ne sois pas exclusif avec elle. Je crois qu’elle pourrait même être tentée par un plan à trois, ce que vous avez l’air de trouver excitant, dit-il lentement sans quitter son ex petit-ami du regard. Théo, s’il te plaît, pense à tout ce qu’on a déjà vécu ensemble. Tu ne veux pas réessayer quelque chose ?

— Je t’ai déjà dit que je n’étais pas partageur, soupire Théo en se laissant retomber sur le canapé.

— C’est parce que je suis trop honnête avec toi ? Tu n’as qu’à t’imaginer que je ne jouis que dans tes bras, et ça ira, non ? Pourquoi nous priver du plaisir d’être à deux, Théo ? Ce qu’on vit quand on est ensemble, c’est fort. Ne pense pas au reste et ça ira, non ?

— Non, ça n’ira pas, Kenzo, poursuit mon meilleur ami. Apparemment c’est pas assez fort pour que tu envisages l’exclusivité, et moi je ne veux pas te partager avec elle.

— Et puis, il faut que tu sois honnête avec lui, Kenzo. Une relation où il y a du mensonge, ça ne peut pas fonctionner, rajouté-je pour aider un peu Théo dont je sens la détermination fondre au fur et à mesure de la conversation.

— Ah oui, c’est toi qui parles d’être honnête ? Parce que tu n’as rien caché à tout le monde depuis des mois peut-être ? s’emporte le fils d’Alken. Tu dis tout à tes amis, toi ? Retourne coucher avec mon père et laisse-moi gérer les choses avec mon mec, s’il te plaît.

J’ouvre grand les yeux, choquée qu’il lance ça comme ça dans une conversation qui n’a rien à voir avec ce dont on parlait. Je n’arrive pas à croire qu’il me balance de la sorte et risque mon amitié avec Théo qui, clairement, a besoin de moi en ce moment.

— Ça n’a aucun rapport ! Tu demandes à un mec fou de toi de te partager, et tu insistes alors qu’il t’a déjà dit non, merde ! C’est tellement égoïste ! m’agacé-je sans oser regarder mon coloc.

— Et toi, tu me reproches de ne pas être honnête alors que je le suis depuis le début avec Théo. Tu ferais mieux de te regarder dans une glace avant de te permettre de me critiquer. Théo, je vais vous laisser, mais pense à ma proposition. Je ne suis pas prêt à être exclusif, mais je ressens beaucoup de choses pour toi. Si un jour ça te dit, je suis là pour toi, mon Chou.

Sans un autre regard vers nous, Kenzo se lève et sort de la pièce en courant presque. Je l’entends dévaler les escaliers et n’ose pas me tourner vers mon colocataire qui est resté sans voix durant ce bref échange dont la violence me laisse un peu déboussolée.

— C’est… Pas ce que tu crois, et plus compliqué que ça, soupiré-je en me levant pour aller me chercher à boire dans le coin cuisine.

— Qu’est-ce qu’il y a à croire ? Tu couches vraiment avec Alken ? me demande un Théo visiblement retourné par tout ce qu’il se passe ce soir.

— Oui… C’est lui, le comptable…

— Quoi ? Alken est le comptable ? Mais alors, Kenzo a raison… Cela fait des mois que tu me mens ? Mais Joy, pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Je pensais que tu étais mon amie et qu’on se disait tout… se lamente-t-il en prenant sa tête entre ses mains.

— C’est compliqué, Théo. C’est notre prof, c’est… Merde, je… Tu te rends compte de ce qui va se passer si ça se sait à l’école ? On n’a rien dit à personne, et ça me tue de te mentir depuis tout ce temps, mais une bourde ça arrive à tout le monde et je ne voulais pas risquer ma carrière et celle d’Alken, tu comprends ?

— Non, je ne comprends pas, Joy. Tu aurais pu me faire confiance quand même. Tu crois quoi ? Que j’allais tout balancer à tout le monde ? Tu as une bien mauvaise image de moi, je trouve. Mais c’est bon, j’ai compris. Dans ce monde, on est seul et c’est tout. Alors maintenant, c’est chacun chez soi, d’accord ? Et ne viens pas faire celle qui s’inquiète pour moi. On n’a plus rien à se dire.

Blessé, il se lève et file dans sa chambre, me laissant seule sur le canapé. C’est mon tour d’être totalement sonnée par la conversation. Théo est parti au quart de tour et, le pire, c’est que je comprends sa réaction et que je ne peux même pas lui en vouloir. Il a raison, j’aurais dû lui en parler et je ne sais même pas pourquoi je ne l’ai pas fait. La peur d’être jugée par mon meilleur ami ? Le petit côté excitant de cacher ce genre de choses ? Toujours est-il que ce soir, je crois que j’ai plus ou moins perdu deux amis qui me sont chers. L’un parce qu’il vient de comprendre que je lui mentais depuis des mois, l’autre parce que je ne suis pas sûre d’avoir envie de lui parler à nouveau après sa sortie digne d’un épisode des Feux de l’amour. Foutu Karma.

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