35. Cruel Karma

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Joy

— Tu ne vas quand même pas emmener ce tue l’amour ?

— Ben si, bougonné-je en jetant mon oreiller au visage de Théo, étalé sur mon lit. Je mets ça quand il fait froid ou quand je suis déprimée, comment je ferai sans ce grand pull tout dégueu ?

C’est vrai, quoi ! Et puis, si ça ne convient pas à Alken, c’est pareil après tout. Bon, il arrive à me trouver jolie au réveil ou en jogging, donc un pull informe ne devrait pas le déranger, si ?

— Mouais, t’auras deux bras pour te réconforter, c’est mieux que ce pull tout moche.

— Et s’il est la cause de ma déprime ? Hein ?

— Tu m’appelles et je viendrai lui casser sa jolie tête et te proposer mes bras.

Est-ce qu’emménager avec Alken me stresse un peu ? Oui. Est-ce que j’en ai envie ? Clairement. Pour autant, j’avoue que le contexte est un peu stressant. Par exemple, et si Elizabeth venait frapper sans prévenir ? Ou, je ne sais pas, si Kenzo veut inviter des amis ? Il va falloir que je revienne à la coloc ?

— Wow, t’es flippante quand tu flippes en silence, continue mon ami en attrapant ma main pour me faire asseoir à ses côtés. Raconte tout à Tonton Théo.

— C’est rien, c’est juste une sacrée étape, en fait.

— Étape qui va super bien se passer, Princesse. Vous êtes faits pour être ensemble, y a pas de raison que ça merdouille quelque part.

— Tu parles, soupiré-je. C’est pas vraiment ça qui me stresse, en fait. C’est tout le contexte. J’ai l’impression qu’on va passer notre temps sur le qui-vive pour ne pas se faire choper, même chez lui. Et puis, tu imagines que je vais emmener mes affaires, mais que je ne peux pas prendre tout ? Où est-ce que je vais accrocher la photo de toi et moi en train de danser ? Et ma photo de famille ? Et… Mince, je suis vraiment en train de flipper, hein ?

— Ouais, tu flippes. Rassure-toi, tout va bien se passer. Et tes photos, tu peux les mettre dans sa chambre. Personne d’autre n’ira là-bas, tu vois. Et quand il y aura du monde, tu sais que tu pourras toujours venir ici et me tenir compagnie. Ce n’est pas non plus le grand saut vers l’inconnu, Princesse. Tu emménages juste chez le Dieu du Sexe et de la Danse !

— Je doute que le DSD apprécie d’avoir une photo de toi de quasi un mètre de haut accrochée dans sa chambre, pouffé-je en me lovant contre lui. Et toi, tu vas faire ta vie à Bruxelles, bientôt tu vas m’annoncer que tu pars vivre là-bas, et Léon va trouver de nouveaux locataires, et moi je serais reléguée au placard de la chambre d’Alken quand il aura de la visite… Appelle-moi Harry Potter.

— Harry, tu es aussi mignonne qu’Hermione ! Jamais ton DSD ne te relèguera dans un placard, crois-moi sur parole ! Quant à ce qui est de vivre sur Bruxelles, je te rappelle que le mec avec qui je couche, il habite vraiment pas très loin du tien. Ce serait bête de m’éloigner, non ?

— Ouais… Bon, il faut que j’arrête de flipper, je sais. Et si tu déménages, c’est Kenzo que j’aiderai à se débarrasser de ton corps. Ou à te séquestrer si besoin, ris-je. Tu m’en veux pas de partir, hein ?

— Mais non, Princesse, ça me donnera une autre excuse pour aller chez les O’Brien. Peut-être que moi aussi, je devrais emménager à La Madeleine ! Tu crois qu’il reste de la place sur la terrasse ? Je pourrais me mettre dans une niche, non ? Comme ça, je t’aurais à l'œil et je surveillerais tes ébats avec notre Prof ! se moque-t-il gentiment.

— Tu mérites une chambre de roi, pas une niche, jeune pervers voyeur ! ris-je. En tous cas, ça ne va pas me manquer de devoir te crier dessus pour que tu daignes sortir de la salle de bain. Et puis, Alken est un homme qui fait le ménage, contrairement à toi ! Bon… Il n’a pas le choix, d’un autre côté… Oh je m’énerve ce matin. Je suis insupportable, hein ?

Je ris nerveusement et me lève pour finir de préparer mes sacs. Il y a quand même une différence entre aller squatter pour quelques jours et s’installer vraiment ensemble. Quoique, soyons honnêtes, l’installation reste partielle. Enfin, je ne sais pas si je vais réussir à vraiment me sentir chez moi, en fait, et oui, ça me stresse. Mais j’ai envie de tenter l’expérience et de pouvoir profiter au maximum du peu de temps où nous n’aurons pas à nous cacher. J’espère juste qu’il ne reçoit pas trop de visites.

J’ai tout bouclé et suis finalement installée dans le canapé avec mon colocataire, sirotant un bon café, quand mon téléphone se manifeste depuis ma chambre. Je dépose une bise appuyée sur la joue de Théo et file décrocher à Alken en riant. Théo lui a attribué une sonnerie particulière, et comment dire que la chanson des LMFAO Sexy and I know it est plutôt bruyante, bien qu’adaptée ?

— Bonjour, Beau Danseur, souris-je. Tu vas bien ?

— Coucou ma Chérie. J’ai un souci, en fait. C’est pour ça que je t’appelle, me répond-il, visiblement perturbé.

— Oh… Rien de grave ? Qu’est-ce qui se passe ?

— C’est Marie, elle vient de débarquer à la maison et il faut que je m’occupe d’elle, Joy. C’est… Compliqué.

— Ah… Heu… D’accord. Eh bien, tu me diras quand tu auras fini alors, je ne commence qu’à dix-huit heures au bar, donc ça me laisse de la marge.

— En fait, je crois qu’elle va devoir rester un peu ici, dit-il en parlant moins fort. Attends deux secondes, je m’éloigne d’elle, je ne veux pas qu’elle reparte dans une crise d’hystérie… Voilà, je me suis isolé. Son mec l’a frappée et l’a violentée. Elle est couverte de bleus et a besoin d’aide car elle ne peut plus retourner chez eux. Tu vois le tableau ? Je lui ai proposé de rester quelques jours, le temps qu’elle se retourne, mais ça veut dire que tu ne peux pas venir tout de suite, ma Chérie. Je… Je suis vraiment désolé…

— Pas de problème… Heureusement que je n’ai pas déjà emménagé, alors, je me serais vraiment retrouvée dans le placard, soupiré-je. Bref, je… Fais ce que tu as à faire alors, Alken...

— Attends, Joy, réagis pas comme ça ! Je ne sais pas de quel placard tu parles, mais si tu avais été là, on aurait juste admis les choses à Marie, tu sais. Ce n’est pas si grave. C’est juste que là, ce n’est pas forcément le moment de débarquer… Je crois qu’elle commence seulement à se calmer un peu. Je vais essayer de la convaincre d’aller porter plainte, mais ce n’est pas facile. Et nous concernant, si tu savais comme je suis frustré de ne pas pouvoir te recevoir. J’ai une armoire entière de vide pour toi en plus. Tout est prêt… Ne te fâche pas, s’il te plaît, mon Ange.

— Je ne suis pas fâchée, Alken, je… Je suis juste déçue, et sans doute frustrée aussi. Et puis, c’est simplement un petit rappel de la légitimité de notre relation. Rappel dont je n’avais pas besoin, soupiré-je. Bref, prends soin de Marie, on verra plus tard pour le reste.

— J’espère que tu ne changeras pas d’avis. J’ai vraiment envie que tu viennes vivre ici. J’en ai même besoin, tu sais. J’en rêve depuis tellement longtemps et moi aussi, je suis frustré. Je pense que ce sera juste l’affaire de quelques jours… Et ensuite, tu pourras venir. Enfin, si tu le souhaites toujours, bafouille-t-il un peu, visiblement contrarié, même si je ne sais pas si c’est par Marie qui a débarqué ou par mon emménagement qui est retardé.

— Ça marche… Tiens-moi au courant, alors. J’espère que ça va aller pour Marie. Je te laisse aller t’occuper d’elle et on se voit à l’ESD.

Même si tout ceci est légitime, que le voir s’occuper d’une amie dans le besoin est une bonne chose, une petite part sombre en moi ne peut s’empêcher de me rendre amère. Je dois avoir l’air d’une gamine pourrie gâtée vexée et j’ai honte, mais l’amertume dans ma voix est bien discernable et je ne peux pas la masquer.

— Je t’aime, Alken, continué-je tout de même, plus posément. A lundi…

— Moi aussi, je t’aime, ma Chérie. A lundi en vrai, mais à ce soir au téléphone, j’espère.

— Si tu es disponible, on verra, mais je fais la fermeture ce soir… Bonne journée, Alken.

Je raccroche et regagne le salon, où Théo est toujours installé.

— Tu vas devoir me supporter encore un moment, finalement. Alken a une visiteuse impromptue.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? Il déconne ou quoi, le Prof ?

— Non, c’est juste.. Un bon ami, ou un bon ex. Les deux, sans doute, marmonné-je en me laissant tomber à ses côtés. Marie a des problèmes avec son mec. Mais pas des petits, d’après ce que j’ai compris.

— Et il te plante là comme ça ? Viens ici, me dit-il en me tendant les bras, toi, tu as besoin d’un gros câlin. Et Marie, elle va pas s’installer chez lui définitivement quand même ?

— Non, enfin j’espère pas, marmonné-je en me calant contre lui. Mais elle a besoin d’un pied à terre et d’un peu de temps pour se retourner, je pense. On verra bien, mais ça fait suer, et le pire c’est que je n’arrive même pas à lui en vouloir, il fait ce qui est juste, même si ça nous pénalise.

— Je suis sûr qu’il est déçu aussi, tu sais. Et puis, ça me permet de profiter de toi plus longtemps, ce n’est pas plus mal. On se fait un petit Bridget en attendant l’heure du boulot ?

— Va pour un Bridget Jones, ris-je en récupérant la télécommande.

Ça m’apprendra à flipper, je crois. On dirait que le Karma a frappé, sans mauvais jeu de mot. Je suis vraiment désolée pour Marie, et j’espère que ça va aller pour elle et qu’elle va trouver les ressources nécessaires pour aller porter plainte, mais je ne doute pas qu’Alken saura l’y aider. Je dois juste prendre mon mal en patience. La situation ne va pas s’éterniser, il faut simplement que je sois patiente. Et tant pis si cela retarde un peu mon installation chez lui, c’est pour la bonne cause, non ? C’est nul pour Marie, nul pour Alken et moi, mais c’est comme ça. Il vaut mieux que cela ait lieu aujourd’hui plutôt que demain, où nous aurions dû dire à Marie que nous étions ensemble, selon mon danseur. Cela aurait pu avoir d’autres conséquences, plus compliquées à gérer pour nous que de devoir attendre pour nous installer ensemble. Il faut juste que j’arrive à relativiser et à passer outre la frustration. Je m’étais faite à l’idée de rentrer chez Alken ce soir et de me coucher à ses côtés après le boulot, et de me réveiller près de lui demain matin, au lieu de quoi nous n’allons même pas pouvoir nous voir du weekend. Mais tout roule, ce n’est pas grand-chose, juste un bâton en plus dans la roue.

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