37. Le malaise

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Joy

Mais qu’est-ce que je fiche ici, sérieusement ? A quel moment est-ce que je me suis dit que c’était une bonne idée de débarquer un mardi soir pluvieux alors que je pourrais être tranquillement chez moi à siroter un smoothie aux fruits rouges avec Théo ? Quand est-ce que deux fils se sont touchés là-haut pour que je conclue que venir rendre à Kenzo son bouquin d’histoire de la danse était le prétexte idéal pour voir Alken quelques minutes ?

La vérité, c’est que je suis tout simplement hyper frustrée. On est mardi, je suis en repos, et nous aurions dû passer notre soirée tranquillement derrière cette porte à laquelle je peine à frapper. Et puis, je flippe. Je flippe parce que mon copain héberge son ex chez lui. Normal, non ? Alors, honteusement, je me dis que surprendre tout le monde ici me permettra de me rassurer. Peut-être. D’un autre côté, je suis quasi sûre qu’Alken ne ferait rien devant son fils, ce serait stupide. Ferait-il seulement quelque chose, tout court ? J’ose espérer qu’il est du genre fidèle, parce que, moi, je ne suis pas du genre à pardonner l’infidélité.

Je souffle un coup et tente de me sortir toutes ces idées stupides de la tête pour faire demi-tour avant de faire une connerie, mais après à nouveau quelques pas, mon cerveau vrille encore et je lève la main pour frapper plusieurs coups à la porte. Personne ne répond, et pendant un moment, j’en suis soulagée, mais j’ai un élan de panique en entendant la clé tourner dans la serrure avant que la porte ne s’ouvre sur la bouille de Kenzo, qui semble surpris de me voir là.

— Salut. Tu tombes bien, c’est toi que je venais voir, dis-je, mal à l’aise, en lui tendant son livre. J’ai dû le prendre par erreur ce matin, désolée.

— C’est vraiment moi que tu voulais voir ? demande-t-il, surpris, en prenant le livre. Parce que si tu veux voir mon père, il est dans sa chambre. Entre donc et viens te sécher un peu, tu es trempée, là !

— Non, non, je veux pas déranger, souris-je. Je ne savais pas si tu voulais faire tes devoirs dès ce soir, je me suis dit qu’il valait mieux te le ramener, au cas où. J’y vais, t’inquiète.

— Allez, fais pas ta difficile. Toi et moi, on sait bien pourquoi tu es là. Entre donc, je vais essayer de divertir Marie pour que tu sois un peu moins frustrée ce soir, s’amuse-t-il à me répondre en prenant ma main pour m’inviter à le suivre.

— Je ne suis pas frustrée, marmonné-je en le suivant.

J’enlève mes chaussures trempées dans l’entrée et mon manteau alors qu’il se moque ouvertement de moi. Ses yeux parlent, et j’ai envie de l’envoyer bouler, mais je me retiens gentiment puisqu’il m’invite à entrer. Quelque chose me dit que j’aurais mieux fait de repartir avant ça, mais maintenant que je suis là, plus moyen de faire demi-tour.

D’un autre côté, découvrir que Marie fait comme chez elle est plutôt intéressant. D’autant plus que, oui je sais que je suis jalouse et possessive, mais elle porte un tee-shirt d’Alken comme si c’était le sien. Sauf que c’est celui que je lui avais piqué pendant ses vacances au camping. Si j’avais su, je l’aurais planqué pour le garder. Elle est tranquillement installée dans le canapé que je devrais squatter, moi, et je sais que je ne devrais pas, je sais que c’est égoïste et stupide, mais jalousie et rancoeur me broient l’estomac. Ses cuisses sont nues et je me calme tout de même en constatant que son enfoiré de mec ne l’a pas ratée.

— Bonsoir, Marie, dis-je poliment en m’installant au bar de la cuisine.

— Oh, bonsoir Joy, que fais-tu ici ? Tu es venue voir Kenzo ? répond-elle comme si ce n’était pas surprenant qu’elle soit là, à ma place, avec mon tee-shirt.

— Heu… Oui, je lui ramène un livre, dis-je sans oser la regarder, mal à l’aise de mentir.

Kenzo sourit face à moi et je lève les yeux au ciel, me gardant bien de lever mon majeur dans sa direction. Dire qu’Alken est à quelques mètres de moi et que je ne peux même pas aller le saluer sans que cela paraisse étrange, que je peux rêver pour me lover contre lui ne serait-ce que quelques secondes ou l’embrasser. Ça me frustre encore plus d’être ici, au final. L’idée était vraiment pourrie, il va falloir que j’apprenne à réfléchir un peu plus avant d’agir n’importe comment.

— Il pleut si fort que ça, dehors ? Tu as l’air vraiment trempée, Joy. N’attrape pas un coup de froid, quand même, me plaint Marie en relevant ses jambes nues sur le canapé.

— Il pleut des cordes, mais ça va, je fais chien mouillé, comme ça, mais mes vêtements sont à peu près secs, dis-je alors que je me retiens de tourner la tête en direction de la porte qui vient de s’ouvrir.

— Oh, bonjour Joy ! Je ne savais pas que tu allais passer ce soir, me dit Alken en me saluant de loin. Tu vas bien ? Tu as les cheveux trempés, tu ne veux pas qu’on te ramène une serviette pour te sécher un peu ?

— Ce n’était pas prévu, dis-je en pointant du doigt le livre sur le plan de la cuisine, comme si j’avais besoin de me justifier à tout prix. Je veux bien une serviette, oui.

— Kenzo, tu veux bien aller en chercher une ? demande Alken, mais c’est Marie qui se lève.

— Attends, je vais y aller, ça me dégourdira un peu les jambes. Sinon, je vais prendre racine dans ce canapé.

Elle étire ses jambes et ses bras, profitant que l’attention de tous soit sur elle, et nous fait profiter de la vue sur sa culotte rouge en dentelle. Kenzo se marre en la voyant faire alors qu’Alken fait comme s’il n’avait rien vu et s’installe au bar, près de moi.

— Désolée pour le dérangement, je ne reste pas longtemps, dis-je en la voyant se diriger vers la salle de bain comme si elle était chez elle.

Oui, je fais preuve de mauvaise foi, je sais. Mais bon sang, ça me frustre à un point pas possible.

— Tu sais bien que tu ne déranges jamais, Joy, me souffle Alken en déposant un rapide bisou sur mes lèvres au moment où Marie disparaît dans la salle de bain.

Je soupire de contentement et lui souris. Je dois être à deux doigts de lui sauter dessus et de le supplier de me faire un câlin alors que je sais que Marie va revenir rapidement. Bon sang, cette situation me gonfle à un point pas possible.

— Merci, Marie, dis-je en récupérant la serviette qu’elle me ramène pour essorer mes longs cheveux.

— Oh, c’est normal, je ne voudrais pas que tu tombes malade.

La garce s’accoude au bar entre Alken et moi, comme si c’était normal. J’ai presque envie de lui mettre une fessée sur son postérieur qu’elle trémousse entre nous. Alken me fait un clin d'œil alors que l’attention de la secrétaire est portée sur moi. J’ai envie de lui répondre, mais je ne peux rien faire sous peine de dévoiler notre secret. Je me tourne vers Kenzo pour voir s’il va tenir sa parole et essayer de distraire Marie, mais il se contente de hausser les épaules pour indiquer son impuissance dans cette situation.

— Wow, Marie, c'est impressionnant, ces marques sur ta peau. Je me planquerais sous mes fringues, à ta place. Tu es tombée dans les escaliers ou quoi ?

— Non, non, disons que ma vie personnelle est un peu compliquée en ce moment, mais Alken est un ange avec moi, minaude-t-elle en posant sa main sur le bras de l'intéressé, et les O'Brien m'offrent un peu d'hospitalité pour faire face à la situation.

— Oui, je ne doute pas de leur bonté et de leur hospitalité… Bien… Je ne vais pas m’attarder et vous déranger plus longtemps, je vais y aller.

Je me lève sans plus attendre et dépose la serviette devant Marie avant de filer dans l’entrée pour remettre chaussures et manteau. Cette idée doit être la pire que j’aie eue de ma vie, définitivement. Je vais crever de jalousie et mouronner toute seule comme une dinde chez moi maintenant. Brillant, Joy, vraiment brillant.

— Kenzo, Alken, on se voit demain en cours… Marie, à bientôt. Bon repos…

— Tu pars déjà ? s’inquiète mon amoureux. Tu veux que je te dépose chez toi pour éviter que tu sois trempée ? Ou tu es peut-être venue en voiture ?

— Je suis venue en voiture, c’est bon, merci, je devrais pouvoir m’en sortir. Et il ne faut pas laisser Marie sans compagnie ici. Bonne soirée à tous les trois, dis-je plus froidement que je ne le devrais en sortant.

Je referme la porte et me dépêche d’appuyer sur le bouton de l’ascenseur. Foutu caractère, fichue jalousie. Je déteste être comme ça mais je ne contrôle plus rien, là. J’ai juste envie de hurler, ou de pleurer, ou de faire les deux, tant la jalousie me vrille les tripes.

Je m’engouffre dans l’ascenseur et soupire de soulagement, comme si l’air était beaucoup moins lourd maintenant que je ne suis plus chez les O’Brien. Je ne sais pas ce qui est le pire, en fait. Ma jalousie mal placée et, de ce fait, ma méchanceté avec Marie ? Ou le fait que j’interprète tous ses gestes comme étant des invitations à se faire tringler par mon homme ? J’ai l’impression d’être un monstre en réfléchissant à tout ça, et je sursaute en voyant Alken s’engouffrer dans l’ascenseur.

— Mais, qu’est-ce que tu fiches là ? bafouillé-je bêtement alors qu’il appuie frénétiquement sur le bouton pour fermer les portes, les yeux sur l’entrée de chez lui.

— Tu as oublié ton sac à main, me répond-il, le sourire aux lèvres alors que la porte se referme sur nous. Je ne pouvais pas te laisser partir sans.

Alken me plaque contre la paroi et m’embrasse presque brutalement. Une toute petite partie de moi a envie de l’embrasser alors que l’autre est passée en mode énervé, mais la première prend le pas instantanément en sentant son corps contre le mien et ses lèvres qui prennent possession des miennes. Je glisse mes bras autour de lui et lâche prise, me laissant aller à cette étreinte qui me donne l’impression de retrouver mon souffle alors que je finis clairement haletante.

— Bon sang, ce que tu me manques, murmuré-je dans un gémissement alors que je sens sa bouche glisser dans mon cou.

— C’est réciproque. Si tu savais ce que Marie me tape sur les nerfs à vouloir prendre ta place… Dès que je peux, je m’en débarrasse et tu viens parce que là, ce n’est pas possible de continuer comme ça.

— J’ai hâte, et je t’assure que je ne vais pas tenir longtemps à la savoir ici. Je… Je suis désolée, mais c’est au-dessus de mes forces, même si c’est très égoïste.

— Je suis d’accord, ma Chérie. Mais sache que tu es la seule dans mon cœur. C’est encore l’histoire de quelques jours, je pense.

— On verra bien, soupiré-je en déposant bon nombre de petits baisers sur sa bouche. Juste pour info, je crève de jalousie, si tu ne t’en étais pas rendu compte. Tu devrais filer...

— Oui, je file, mais n’oublie pas que je t’aime et que c’est avec toi que je veux vivre, ma Chérie. A demain en cours !

J’ai envie de lui chanter la chanson de Dalida et Delon, Paroles, paroles, alors qu’il quitte l’ascenseur après un dernier baiser. Que valent des paroles face à une nana qui se promène en petite tenue chez toi et te fait du gringue ? Une nana avec qui tu as déjà couché à plusieurs reprises alors que tu ne peux pas voir ta propre copine. Je devrais lui faire confiance, non ? Pourquoi est-ce que toute cette situation me met dans un tel état ? Il m’aime, il me le dit, me le prouve, je le vis et le vois. Il faut vraiment que je me calme un peu avec tout ça, sinon je vais vraiment partir en vrille.

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