49. Casting de la tourmente

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Joy

Je saute au cou de Théo sans aucune gêne, malgré la présence autour de nous de bon nombre d’élèves et de professeurs. Bas les pattes, avant d’être le jury ou un ancien élève, c’est mon meilleur ami. Il me serre d’ailleurs contre lui et me smacke, comme souvent, devant l’assemblée.

— Je ne t’embête pas longtemps, Monsieur le Jury, mais j’avais besoin de marquer mon territoire, ris-je en l’attirant un peu plus loin. Tu vas bien ?

— Bonjour Princesse ! Je vais très bien. Je suis trop excité à l’idée de participer à mon premier jury ! Je sens que je vais m’éclater ! Et toi, en forme ?

— Moui. Je suis toujours aussi dégoûtée qu’Elise ait refusé que les Deuxièmes années participent à ce concours. J’aurais vraiment aimé le faire, marmonné-je alors que Kenzo débarque et fait une bise sage à Théo.

— Il faut bien laisser sa chance aux petits nouveaux, comme toi tu l’as eue l’année dernière, Joy. Et puis, si tu avais été candidate, je n’aurais pas pu faire partie du jury, je n’aurais pas été impartial !

— M’en fous. Laisser sa chance aux petits nouveaux sur un tel concours, c’est nul. Et l’an dernier, je n’ai pas été avantagée par rapport aux deuxièmes années. Franchement, quelle idée ! On a quand même plus de chances d’enfin le remporter avec l’ESD avec un deuxième année, non ?

— J’ai vu Charline danser, intervient Kenzo, et Guillaume aussi. Ils assurent, tu sais.

— Je m’en fous, marmonné-je encore. Bon sang, je deviens aigrie avec cette connerie. Elise abuse.

— T’inquiète, c’est toi la plus belle, me dit Théo avant de rejoindre Alken et Elise pour aller s’asseoir au milieu de l’audience afin de choisir l’heureux ou l’heureuse élue.

— On se met dans un coin tranquille ? demandé-je à Kenzo en attrapant déjà sa main pour l’entraîner plus haut dans la salle, j’ai envie de pouvoir critiquer tranquillement.

Nous nous installons quelques places au-dessus des membres du jury, et sur le côté. J’ai une vue imprenable sur le profil de mon homme, qui semble en grande conversation avec Elise.

Après son annonce, il y a quinze jours, nous sommes allés à plusieurs la voir dans son bureau pour défendre notre cause et tenter de la faire changer d’avis. En vain, cette femme est têtue comme pas possible. Nous avons eu beau argumenter encore et encore, aucune discussion n’a réellement été possible, même quand Jasmine et moi lui avons avoué qu’on a repoussé notre participation au concours d’entrée de l’ESD justement pour avoir une chance de concourir à cet événement. Allez savoir pourquoi elle n’a pas voulu qu’on participe, au final, elle n’a pas argumenté plus que cela. Bref, j’aurais vraiment aimé participer à celui-ci, avec Alken. Je suis sûre que nous aurions pu faire une chorégraphie très réussie, et nous n’avons aucun problème à transmettre nos émotions lorsque nous sommes ensemble sur scène.

Je ne peux que constater le talent de la promotion en concurrence aujourd’hui. Les premiers à passer ont un bon niveau, hommes comme femmes, et les chorégraphies plutôt pas mal. Certains ne seront jamais chorégraphes, c’est certain, mais leurs compétences pour la danse ne sont pas discutables. Kenzo et moi faisons un peu nos vipères, et ça me détend suffisamment pour appréhender un peu moins la performance de la petite prodige de première année. Je l’ai vue répéter avec Guillaume avant hier, et l’image d’elle chutant dans les escaliers m’a traversé l’esprit. Une vilaine fille flippée, voilà ce que je suis.

J’ouvre grand les yeux lorsqu’ils font tous les deux leur apparition sur scène. Charline est encore plus détestable à mes yeux à cet instant. Elle a osé une tenue provocante, sexy, qui doit faire bander tous les mecs du théâtre. Je me demande comment Guillaume va réussir à danser avec elle sans avoir une trique d’enfer, ce qui est plutôt déconseillé vu qu’il porte un pantalon blanc carrément moulant. Franchement, qui irait danser en porte-jarretelles ? On est à la limite de l'indécence, surtout que sa petite chemise blanche est ouverte sur son soutien-gorge. Bordel de dieu, elle risque de rendre une chorégraphie sensuelle totalement vulgaire avec une telle tenue.

Je ne peux m’empêcher de jeter un œil vers le jury pour observer la réaction d’Alken. Il est en grande discussion avec Elise et semble un peu en colère. Je n’arrive pas à entendre la conversation, mais la Directrice se contente de faire un signe de dénégation de la tête avant de donner le top départ pour les deux danseurs sur scène. Alken lève les yeux au ciel, et j’espère que c’est parce qu’il est exaspéré de la tenue portée par Charline.

Bon sang, elle est douée, cette garce. C’est profondément agaçant. Elle a tout ce qu’il faut pour être sélectionnée. La technique, parce qu’il serait difficile de ne pas voir les heures de travail derrière chacun de ses pas. La sensualité, parce qu’elle n’est finalement pas vulgaire malgré cette tenue, tout en retenue mais suggestive. La grâce, même lorsque Guillaume se foire sur un porté, elle rebondit immédiatement et improvise un pas, s’occupant même de le rassurer en l’incluant dans ses mouvements. J’en viens à me dire que je suis nulle rien qu’à la regarder danser. Deux minutes de chorégraphie qu’elle fait quasiment à la perfection, maîtrisant chaque pas, chaque pointe, chaque saut, chaque porté. Deux minutes durant lesquelles j’ai envie de l’étriper ou de me barrer d’ici. Il est clair qu’elle sera la grande gagnante, et tout ce à quoi je pense alors que la salle applaudit, c’est qu’elle a parié avec ses copines qu’elle coucherait avec Alken, et que ce foutu concours va lui donner l’occasion rêvée de tenter sa chance. Je crois que mes soirées ne seront pas sereines, je vais être une boule de nerfs attendant impatiemment le retour de son homme à la maison. Un petite jalouse pathétique qui ne pourra pas s’empêcher de douter quotidiennement. Sérieusement, il suffit de la regarder quelques secondes pour savoir qu’elle a le pouvoir de faire flancher même un homo. Je suis sûre que Théo a adoré sa prestation, et je me demande même si j’aurais eu ma chance, si le concours avait été ouvert à notre promo.

— Eh bien, murmuré-je en jetant un œil à Kenzo, silencieux à mes côtés. Verdict ?

— Il est bien mignon, Guillaume, me répond-il avant de continuer, mais elle, c’est une vraie pépite ! Elle a un talent fou.

— Ouais, soupiré-je. Ton père va kiffer danser avec elle…

— Oui, Joy, danser, seulement danser car c’est toi qu’il aime, tu le sais bien, hein ? me murmure-t-il pour ne pas être entendu des autres.

Je ne réponds pas et regarde les derniers à passer en sachant bien qu’il sera difficile de surpasser la prodige. Ils vont former un beau duo et je ne doute pas qu’Alken saura la sublimer avec une jolie chorégraphie dont il a le secret.

Lorsque le jury se retire pour aller délibérer au calme, comme dans les films, les premières années quittent les coulisses pour rejoindre la scène. Ils discutent entre eux et je ne peux m’empêcher de regarder Charline, maintenant habillée plus chaudement. Elle papote avec d’autres filles de sa promo et dégage un charme et une aisance naturelle qui attirent le regard.

— J’ai pas envie qu’il danse avec elle, murmuré-je à Kenzo. Je te jure, j’en ai déjà mal au ventre… Tu sais qu’elle a parié avec ses copines qu’elle coucherait avec ton père ?

— Elle a vraiment dit ça ? C’est une vraie salope, en fait ! Je crois que tout est trop calculé chez elle. Pas sûr que mon père kiffe vraiment de danser avec elle, tu sais, même si ça ne sera pas non plus déplaisant.

— Elle a vraiment dit ça, oui. Et ton père est doué, il saura la décoincer un peu. Et puis, tu as vu comment elle a géré le moment où Guillaume a merdé ? Y a moyen de faire un truc sympa.

— Ce sera bien si on remporte le concours, non ? Tu ne serais pas contente pour mon père ?

— Oui, oui, bien sûr que je serais contente pour lui. Mais ce concours… J’aurais tellement aimé le faire… Bref, pardon, je radote, souris-je en voyant les trois membres du jury, Elise en tête, rejoindre la scène.

Elle prend le micro et Kenzo attrape ma main pour nous faire descendre de quelques rangées alors qu’elle fait grésiller les enceintes.

— Quel beau concours nous avons eu ! Magnifiques prestations qui nous ont époustouflés ! Alors pour commencer, je vous demande d’applaudir l’ensemble des participants ! Bravo à eux pour leurs belles performances !

Tout le monde applaudit avec entrain, mais je constate que certains deuxièmes années sont plutôt dans le même mood que moi, surtout déçus d’avoir été mis à l’écart par notre directrice.

— Alors, je dois vous avouer que le jury n’était pas unanime et que nous avons dû discuter afin de trouver le danseur ou la danseuse qui allait nous permettre d’avoir le plus de chances de remporter cette compétition qui manque encore à notre palmarès.

Je constate qu’Alken essaie de garder une attitude neutre mais, moi qui le connais bien, je pense que c’est juste une apparence et qu’il est fâché. Je me demande ce que cela veut dire pour le choix du gagnant.

— Mais bien entendu, continue Elise, imperturbable, nous avons trouvé celle qui va pouvoir se présenter devant la famille royale belge avec notre professeur, ce cher Alken, que je vous demande d’applaudir à son tour !

Il se lève, un peu gêné, fait un petit salut de la tête avant de se rasseoir. Elle a dit “elle”, il me semble. Je commence déjà à enrager.

— Et donc, pour accompagner notre professeur, j’ai l’honneur et la grande joie de vous annoncer que la gagnante de cette petite compétition, c’est la délicieuse Charline Chambly ! Venez ici Mademoiselle Chambly ! Sous vos applaudissements, s’il vous plaît !

Je me renfrogne sur mon siège alors que la prodige avance, tout sourire, vers la directrice, toute fière. Ouais, peut-être que tu vas finalement l’avoir, ton titre, bravo. Les applaudissements fusent et moi j’ai envie de hurler au scandale. Bon, techniquement, c’est la meilleure de sa promo et donc pas vraiment un scandale, mais bon sang, ça fait vraiment chier.

Je suis la première à sortir du théâtre, suivie de près par Kenzo. Tout le monde fait de même par vagues, et nous attendons Théo avec qui nous devons aller au restaurant. Evidemment, Alken nous rejoindra par ses propres moyens, puisqu’il faut éviter d’être vus ensemble, pour changer. Lui va pouvoir danser tous les soirs en tête à tête avec Charline, et nous, nous devons rester discrets et nous cacher dans son appartement. Où est la justice ?

— Charline, vraiment ? ne puis-je m’empêcher d’attaquer mon ami d’enfance lorsqu’il nous rejoint enfin.

— C’était elle la meilleure, Princesse. Tu ne peux pas le nier !

— Je m’en fous, c’est surtout une chaudasse qui veut se taper mon homme, marmonné-je.

— Je ne pouvais pas voter contre elle alors qu’elle danse déjà comme une pro, me réprimande mon ancien colocataire. Tout ça parce que tu es jalouse !

Je le fusille du regard, appréciant moyennement d’être aussi facilement mise à nue.

— N’en rajoute pas non plus, une pro, faut pas pousser. Et bien sûr que je suis jalouse. Tu l’as vue ? Le seul truc qui pêche, chez elle, c’est l’interprétation. Et qu’est-ce qu’on fait pour bosser l’interprétation, hein ?

— Ouais, c’est ce qu’à dit Alken aussi. Mais tu vois le mal partout, Joy. Là, ils vont danser à deux et remporter le concours ! Tu verras qu’on ne s’est pas trompé !

— C’est ça… Elle a fait un pari avec ses copines, bordel, tu penses qu’elle va juste vouloir danser ? Parce que moi je n’y crois pas une seule seconde. Je l’ai déjà vue plusieurs fois lui faire du charme, même en public ! Quand il va falloir qu’il lui fasse ressentir les choses, comment ça va se passer ? Oh bordel, je vous jure que si c’est chaud comme entre lui et moi quand on danse, je la tue de mes dix petits doigts et rien ne m’arrêtera…

— Faut que tu te calmes, Joy, rit Kenzo en massant mes épaules. Je te signale qu’il va rentrer à la maison le soir et te retrouver toi, au passage. Respire un coup.

— Ouais, respire Joy, marmonné-je. Te fais pas des films. C’est trop la merde, vous vous rendez pas compte comment je le vis mal, moi ? Bref, allons manger, et parlons d’autre chose…

Je passe devant et prends de l’avance sur mes deux compères, croisant au passage, forcément, Alken en grande discussion avec Elise et Charline. Il va vraiment falloir que je me calme, parce que je ne vais pas tenir les prochaines semaines. L’idée qu’Alken puisse tomber sous le charme de Charline me fait bien trop peur. Qui a dit que j’avais confiance en moi ? Parce que là, à côté de la prodige, je me sens clairement en manque d’assurance. Surtout que je sais ce que ça fait que de passer ses fins de journée à répéter avec Alken. Ce que ça fait que de sentir tout son corps vibrer et s’échauffer au contact du sien. Ce concours va être une torture pour moi.

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