La mort à ma porte.
Hier soir, j'ai pleuré toute la nuit.
Non pas parce que j'ai peur, ce n'est pas non plus parce que mon corps me fait souffrir ou que chaque instant qui passe, je sens l'ombre de mon âme s'évaporer petit à petit.
C'est lui la raison de mes larmes. Son corps chaud contre le mien, son souffle régulier s'échouant sur ma nuque. Il est la seule chose dans mes derniers moments, qui me rappelle ce qu'était la vie. Ce qu'elle signifiait, ce qu'elle valait, bien que je n'ai jamais cru en elle.
Elle m'a tout enlevé dès le debut. Mon premier souffle, mon premier cri, mon premier contact avec la peau douce et chaleureuse de la femme qui m'a mise au monde. Les plus beaux et mémorables moments furent supprimés de mon existance ainsi que de celle de ma mère, se faisant remplacer par la nouvelle qui a détruit ma vie et la sienne.
La maladie.
Cette pathologie génétique qui a réduit ma vie à néant. Elle flotte autour de mon entité qu'importe où je vais, qu'importe ce que je fais. Cette maladie qui rigole de moi à chaque fois que je joue, que je cours, que je vis, obstruant mes voix respiratoires, m'étouffant et me rappelant que je n'ai pas le droit de vivre.
Je fais partie des deux-cent enfants touchés par année. Ceux qui ont le droit de goûter au bonheur de vivre pour un très court instant.
- Yuna ma chérie, tu as une maladie qui t'empêchera de vivre cent ans comme San Goku.
J'étais petite à l'époque mais j'avais compris.
- La maladie de l'autre monde.
Ma mère m'a dit que c'était comme ça que je l'avais renommée. Depuis toute petite je développais une passion forte pour l'animé d'Akira Toriyama, qui avait bercé l'enfance de plus d'un. Mon personnage préféré ne fut autre que le grand San Goku, qui a fait briller mes yeux pendant de longues années, pour son courage et son envie de se battre. Il est devenu un réel model, et c'est à ce moment-là, que j'ai décidé de remplacer le nom long et afreux de cette maladie qui hante notre quotidien.
L'autre monde, qu'on appelle aussi le monde céleste, est un endroit où les personnes fortes continuent de vivre. Celui que San Goku a plusieurs fois rejoint sans la moindre tristesse, car de là-haut, il continue de surveiller le monde des vivants et les gens qu'il aime.
- Maman ne pleure pas, San Goku reviendra à chaque fois pour être à mes côtés ! Lui et moi, on vous protégera parce qu'on est des battants !
NAÏVE.
J'ai grandi dans la difficulté sans que les yeux mi apeurés mi désespérés de ma mère ne me quittent. J'avais peur que l'ombre effrayante ne m'attrape et m'emporte loin d'elle.
J'étais malheurereuse lorsque je regardais mes amis courir, chuter, se relever, jouer au foot, jouer au chat perché, tout ce que je ne devais absolument pas faire. Mon enfance s'est résumée à ça, j'en étais jalouse petite. Mais est-ce que j'avais le droit d'en vouloir à des enfants dont le ciel leur avait offert la santé et la chance de vivre ?
Non.
Puis vint l'adolescence. Les années d'études n'auraient servi à rien ! Travailler les maths, les siences ou même la biologie, c'était inutile. Pourtant j'étais douée, j'avais de bonnes notes et au lycée, et on n'avait fait que de me répéter qu'un avenir brillant m'attendait.
La grosse blague.
Mon avenir est tracé depuis ma naissance.
J'ai passé des nuits entières à penser et à me torturer l'esprit. Pourquoi moi ? Pourtant on sait tous qu'on finira par mourir un jour, mais faire le décompte de sa propre mort c'est différent. Il n'y a jamais eu de date exacte, de moment précis, mais l'espérance que cette sorcière ne me laisse était suffisante pour installer un décompte sur mon téléphone et d'apprécier voir les secondes s'écouler. Observer le temps filer sans pouvoir rien faire.
J'étais une adolescente rebelle qui se la jouait et qui montrait que la mort n'avait rien d'effrayant. La tête haute, j'en parlais ouvertement à mes meilleurs amis qui ont fini par me lâcher car c'était trop dur à supporter pour eux. Je leur en ai voulu au début. C'était...... eux ou moi qui allait mourir ? J'avais juste besoin du soutien de quelqu'un ! N'importe qui.
La fin du lycée est arrivée et mes anciens amis s'étaient tous éloignés. J'aurais pu espérer une belle et longue amitié avec eux, des voyages et des fêtes jusqu'à pas d'heure, mais mon temps à moi était compté.
Pas le leur.
Les grandes vacances étaient vennues, et je m'étais violemment disputée avec ma mère car je ne souhaitais pas continuer mes études. J'allais sur mes dix-huit ans dans seulement trois mois, et sous l'insistance de ma mère j'avais dû m'inscrire en fac de lettre, malgrés le fait que je pensais inutile d'avoir une licence qui dans ma situation ne me servirait jamais.
Je lui devais bien ça.
Mon compte à rebours m'annonçait encore six ans. J'esperais pouvoir les vivres. J'étais intéressée de savoir quels prochains jeux Akira Toriyama allait sortir et si il s'était enfin décidé à nous donner une suite à sa merveilleuse histoire. Mais je voulais surtout savoir si, par le plus grand miracle, un traitement pourrait me soigner. Car pour le moment, aucun médicament ne permettait de soigner cette maladie.
Plus le temps passait, plus je me mettais à prier avant de dormir. J'avais encore l'espoir et une mince envie de me reveiller le lendemain matin. Mes incurables maux rendaient mon corps faible, une perte de poids importante, une fatigue extrême et éprouvante, des douleurs abdominales, et pourtant, je voulais toujours me réveiller. Peut être que j'attendais qu'un miracle se produise. Comme quoi, l'espoir fait vivre. Et j'espérais.
Il y avait, au bout du couloir de notre maison, un grand miroir, qui ne cessait de me regarder et que j'évitais sans arrêt. Lui aussi me donnait l'impression de jouer avec moi, un allier de cette maladie qui me forçait à prendre conscience de mon état. Ce miroir avait mes yeux et son reflet avait la mort. Deux idiots qui s'affrontaient, essayant de se convaicre que l'un était plus fort que l'autre.
L'échec.
J'échouais face à lui, sa force était incommensurable. Ce reflet faisait partie de moi et avait gagné la partie depuis mon diagnostique. Au début, je pensais que j'étais capable d'empêcher la mort de m'emporter. J'étais maître de mon corps, et il m'était impossible de penser qu'on puisse me retirer cette capacité. Sauf que la mort peut te prendre à n'importe quel moment. Ça je l'avais réalisé trop tard. Bien trop tard. Deux semaines avant mon entrée à l'université j'avais reçu un appel de l'hôpital.
La mort n'en avait fait qu'à sa tête et l'avait emportée avant moi.
J'étais seule, effondrée et malade. Ma mère avait sacrifié sa vie pour moi, elle était toujours restée à mes côtés et ensemble nous formions le meilleur duo de tous les temps.
La veille, je l'avais forcée à rejoindre ses amis d'enfance pour le weekend, elle qui n'avait plus pris de temps pour elle depuis ma naissance, je pensais que ce serait une bonne idée pour qu'elle s'amuse et profite de son séjour. Je me souviens encore de son sourire et de ses yeux excités de revoir ses anciennes camarades. Je l'avais embrassée et elle m'avait serrée fort dans ses bras avant de quitter le pas de la porte le cœur inquiet.
Ce fut la dernière fois que je pris ma mère contre moi.
La voiture qui roulait à contre sens ne l'avait pas épargnée. Le conducteur en revanche, ce tueur, s'en est sorti indemne, mais il m'a enlevé la seule personne que j'aimais.
Ce fut la nouvelle la plus atroce que j'eus a supporter. J'aurais tout donné pour être à sa place. C'était à moi de partir, pas à elle. Elle avait déjà tant souffert...
Mais c'était trop tard.
La mort contrôlait tout et emportait n'importe qui sur son passage.
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