A la recherche du Père Noël

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- Jacques est bien là ! Mais je me demande si notre matériel de localisation fonctionne. Tout à l’heure, on aurait dit qu’il faisait des loopings, et maintenant, il avance tout droit, tourne à droite, à gauche, recule, retourne, revient en arrière et repart. On dirait qu’il est perdu dans un labyrinthe. Le pire, c’est qu’il n’y a pas de réseau téléphonique ! Ça c’est la poisse…

La camionnette de livraison venait de s’arrêter au sommet du col, sous un soleil de plomb. Enzo suait à grosses gouttes, actionnant nerveusement les touches de son portable. Sur ses genoux, la valise de transmission, toutes antennes dressées, captait le signal GPS de Jacques, mais pas le réseau qui aurait pu les relier au monde extérieur. - Aucun relai, sur des kilomètres à la ronde ! Mickey, on est où, tu nous repères sur la carte ? Mickey regardait la carte, très concentré sur sa lecture.

- … Houarou… Kougni… N’do… On est dans ces coins là, un peu au milieu. C’est pas croyable, on est à deux pas du Père Noël, et pas moyen de le faire savoir ! On est paumés. J’ai faim. Et soif. On pourrait sécher sur place au bord de la route, y nous retrouveraient pareil, mais tout secs. On serait les premières victimes d’El Nino… Ha ben ! Voilà des motards ! Hohé ! Ben voilà qu’yzont besoin de voir du monde eux aussi… Salut ! Beau temps pour une promenade en moto !

- C’est bien vrai. C’est magnifique, le temps. Sec et ensoleillé. Vous faites des livraisons ? Des buches glacées, choux à la crème ? Ha ! Ha ! C’est Noël ! On vous invite. Et chacun des motards d’ouvrir la glacière se trouvant à l’arrière des motos.

- Des bières, du saucisson, des pâtés ! C’est chic de votre part.

Après quelques bières, un climat de franche camaraderie s’établit.

- Z’avez des jolis blousons, et des zolis foulards colorés ! Vous êtes un club de motards ?

- Oui. On vient de l’Etranger. Et vous, vous faites quoi ? Ce n’est pas un endroit pour faire des livraisons ici...

- Ha… Nous Monsieur… On est des Lutins… Enzo donna un coup de pied à Mickey … des agents de maintenance catégorie A1… échelle de rémunération LUT1… C’est pour les mangues. Nous sommes envoyés par la société de notre patron, il a investi dans un système, il repère les zones de fructification et hop ! Il envoie une équipe et achète toute la production pour le marché chinois… On a des données pour les îles indonésiennes, les Philippines, la Thaïlande, Vanuatu, Papouasie, Notanou…

- Je vois… Vous êtes bien équipés ! Dit-il en regardant la valise, antennes déployées sur le siège passager. Je peux vous… demander votre téléphone ? J’ai un coup de fil à passer.

- Si vous voulez, mais ça capte pas !

- Pas grave, je vais essayer.

Le moustachu du «Harley Moustache Club » alla vers le parapet, à l’écart du groupe, sur la pointe la plus avancée du tournant. Pendant que ses hommes neutralisaient Enzo et Mickey, il contemplait le paysage, dominant la vallée. Là-bas, de l’autre côté, se trouvait celui qu’il recherchait. Il laissa tomber le portable au fond du précipice.

Au même instant, malgré le son un peu grésillant, un autre système d’écoute moins bricolé délivrait aux forces de police son lot d’informations et de pièces à conviction.

- Et où se trouvent-ils maintenant, le Père Noël et ces fameux Antarctes ?

- Bien planqués dans la chaîne ! Dans la vallée de Petcha. Une propriété avec piscine… A ce stade, aucune alerte. Justice et Police, en ce moment, ne pensent qu’à une seule chose, les Fêtes de fin d’année !

Au mot de Petcha, l’inspecteur Lechat enleva ses écouteurs. Le grand rassemblement des Cafards se terminait. Il en savait assez. – Nous allons les coffrer… Pensait l’inspecteur. Le restaurant était cerné par les forces de l’ordre. Le reste de la bande-son suffirait à les inculper. Depuis le temps qu’il attendait ça.

Le gang des cafards ressemblait à un club de notables. Mais il ne fallait pas s’y tromper, sous leurs dehors bourgeois, couverture de bon aloi, se cachaient de véritables Capi, des chefs de clan dont l’organisation, toute féodale, intégrait le crime en supplément payant. Chaque premier vendredi du mois avait lieu un déjeuner discret à l’étage de « L’Océan », restaurant certes un peu vieillot, mais qui vieillissait bien, dans l’opulence discrète que permettent des marges confortables.

Lechat, après des années de métier loin du Notanou, une fois revenu chez lui auprès de sa petite maman dans la vallée de Petcha, avait constaté que l’activité policière ronronnait, à bas bruit. Tout se passait ailleurs, loin des yeux. C’était la tradition. Mais il ne s’y habituait pas. Il s’ennuyait et souffrait dans sa conscience, à voir ainsi le jeu criminel se jouer, dans l’ombre. Les Cafards portaient bien leur nom. Aimant la nuit, ils étaient discrets, laissaient peu de traces. Et s’ils en laissaient, leurs longues antennes détectaient, à coup sûr, les vibrations d’une quelconque activité policière ou judiciaire, dès le premier grattement de stylo bille.

Or, en cette belle journée de fin d’année, l’inspecteur Lechat ne désespérait plus, car il avait décelé, en bon gros matou qu’il était, dormant d’un œil, l’affaire, le moment favorable, et, s’agissant d’une affaire internationale, un circuit décisionnel qui pour une fois ne ressemblait plus à une vieille chambre à air de cycle Peugeot, millésime 1954. Le jour J, c’était aujourd’hui. Enfin, les longues antennes des cafards avaient trouvé leurs limites.

Les membres éminents de l’assemblée étaient tous réunis dans la grande salle, à l’étage, ne se doutant de rien. Le doyen prenait la parole. Sous des cheveux blancs, son doux visage exprimait une bonté toute factice, qu’il était loin d’incarner en vérité. On lui devait le meurtre du directeur de l’Aurora, homme émotif et tourmenté, au caractère impulsif, dont l’exhibitionnisme rentré tout autant que les fautes répétées constituaient une menace.

- J’ai à vous entretenir d’un sujet d’une extrême gravité. L’un d’entre nous, Lemêtrier, a enfreint les Règles, nous mettant tous en péril. Vous le savez, toute action importante doit être examinée en assemblée. Il y va de notre propre sécurité. Tant que nous œuvrons dans l’anonymat, en dessous du seuil de détection pour ainsi dire, cela n’a pas d’importance. Mais travailler pour un pseudo-Etat - étranger qui plus est ! - alors que nos intérêts sont discrètement logés ici, au Notanou… C’était un peu comme tirer la moustache du chat. Il y avait urgence. J’ai pris sur moi de procéder à sa liquidation, selon le Rite.

Il y eut un flottement dans l’assistance. Les meurtres rituels ne devaient-ils pas être décidés, d’un commun accord, lors d’une réunion spéciale ? Le crédit du doyen, néanmoins, était considérable. Ce qu’il avait fait, il le pouvait, si l’urgence et la sécurité du groupe l’exigeaient. Et puis, beaucoup se doutaient qu’Enguerrand Lemêtrier, parfois, faisait cavalier seul, sur quelques affaires choisies. Ce dernier ne leur était pas sympathique. La plupart furent secrètement satisfaits et soulagés de ce que la décision personnelle du Doyen les ait délivrés d’un choix pénible. Certains, pourtant, ne semblaient pas sincèrement réjouis de la situation. Soit qu’eux aussi aient des choses à se reprocher, ou bien encore, que cette décision personnelle ait lésé leurs droits à examiner une affaire importante – la mort – qui un jour, peut-être, pourrait les concerner, qui sait. Mentalement, le Doyen nota les noms. - Misère ! Encore des véreux et des scrupuleux ! Le Doyen, depuis longtemps, partageait avec Lemêtrier les affaires les plus lucratives, ce dernier prenant les risques, et lui la moitié des profits contre sa protection. Il lui faudrait le remplacer.

- Tout n’a-t-il pas été réglé avec sa liquidation ?

- Hélas, non. Après deux échecs à enlever le Père Noël, la première fois à l’hôtel – il est sorti de sa chambre par la fenêtre ! – la seconde fois au bar du Lue Kou – il est tombé en coma éthylique ! Et l’application du Rite des Traîtres – La mort ! – il a bien fallu terminer le contrat avec les Antarctes. Mais nos hommes ont enlevé une doublure ! - les Antarctes, excédés par ces trois échecs successifs, ont décidé de procéder par eux-mêmes, en prenant le risque d’une intervention directe.

L’inspecteur Lechat s’était levé, puis laissant les écouteurs était sorti du camion.

Du haut de la colline, il pouvait voir les tireurs d’élite sur les toits et les cordons de police sur les routes d’accès. Comme il avait bien fait, après l’échec des deux premiers enlèvements, de provoquer la remise en piste du Père Noël et de l’équipe des Lutins ! – Gros rendement pour trois balles ! Se disait-il. Le roublard inspecteur Lechat avait eu connaissance d’un incident au Lue Kou en présence de Cafards notoires, impliquant un certain Jacques Pelot - entrepreneur du spectacle très en vue depuis un Noël à l’Elysée - peu de temps avant le meurtre rituel de Lemêtrier. Il avait eu l’intuition d’un lien entre ces deux affaires. Mais lequel ? Pourquoi les Cafards s’intéressaient-ils au Père Noël ? Pourquoi Lemêtrier, le Cafard, directeur d’un hôtel venant de faire appel à ce Monsieur Pelot, avait-il été tué selon le rite des Traîtres ? Les trois balles dans la poche du Père Noël, c’était lui, Lechat.

– Extraordinaire, cet engagement des gens lorsqu’ils se sentent impliqués ! Et puis, je n’allais tout de même pas manquer les Fêtes chez Maman… Quelque chose pourtant l’inquiétait. Ce n’était pas le fait de savoir les Antarctes à proximité du pic Kilebo qui le tracassait, ni la détention de Jacques Pelot.

- Mais qui donc peut bien avoir une piscine, dans la vallée de Petcha ? A part la piscine que ma petite maman a fait construire pour moi, sur le terre-plein devant la terrasse, je ne vois vraiment pas…

Un doute affreux saisit brusquement l’inspecteur. Il se tourna vers son confrère des services spéciaux. - Lieutenant, vous savez, pour les Antarctes ? Il n’y a pas une minute à perdre. Dès que tout est fini avec les Cafards, il nous faut, absolument, aller délivrer le Père Noël, à Petcha.

Je crois qu’il court un grave danger.

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