Au travers des griffures dans son bois, la vieille table de camping témoignait du passage de toute une foule de touristes. Comme deux jours auparavant dans le cimetière militaire, Emily s'amusa à déchiffrer les messages gravés sur le plateau de chêne avant de lever les yeux vers moi :

 " Papa ?

 - Oui, ma puce.

 - Est-ce que je peux moi aussi écrire quelque chose ?

 - Tu veux laisser une preuve de ta venue ici ?

 - Oui.

 - Que voudrais-tu marquer ?

 - Lily was here.

 - Lily ? s'amusa Beatrice, assise en face de nous.

 - Ben oui, Maman, je ne vais quand même pas révéler mon vrai prénom. répondit Emily en roulant des yeux.

 - Et oui, mon amour, quel super-héros dévoilerait son identité ? ajoutai-je en riant.

 - Tu peux m'aider, Papa, à tracer les lettres correctement ?

 - Fais attention avec le couteau de Papa, Emily. Ou plutôt Lily si c'est ton pseudonyme secret. "

Je regardai Beatrice et lui souris. Enfants, n'avions-nous pas agi de la même façon ? Un souvenir me revint en mémoire, chargé d'une honte que je n'avais jamais vraiment évacué.

Une fois, en rentrant de l'école, j'avais trouvé un trottoir qui venait d'être refait. Du bout d'un bâton, j'avais commencé à écrire mon prénom dans le ciment frais avant d'être chassé par un ouvrier. Je n'avais jamais osé avouer ma bêtise à mes grands-parents, même quand Mamie Estelle avait raconté à Papy Merrill avoir remarqué un Richi au coin de deux rues voisines.

Aujourd'hui, j'en gardais un souvenir mi-gêné, mi-amusé mais ces surfaces n'étaient-elles pas le réceptacle idéal d'un besoin timoré de reconnaissance ?