Notre maison se situe tout au bout de Key lime Street et pour rentrer de l'école, je passe devant la pâtisserie qui prétend préparer le meilleur key lime pie de toute la Floride. Je sais que c'est faux car c'est Mamie Estelle qui cuisine les plus réussies.

Ça n'empêche que bien souvent, nous nous arrêtons devant la boutique avec Papy Merrill et que nous nous remplissons des parfums qui s'échappent du magasin. La pâte encore chaude quand elle sort tout juste du four, les garnitures sucrées, la farine qui flotte dans l'air en un petit nuage blanc, le bois chauffé par le soleil ou l'odeur de la dernière averse. Mon grand-père appelle ça le pétrichor.

L'échoppe est peinte de la couleur des tartes au citron, d'un jaune meringué pour les bardeaux de bois, d'un vert à la fois tendre et aquatique pour les bancs installées sous les fenêtres. Il y aussi un vélo sculpté aux lignes épurées et je me demande jusqu'où il pourrait me porter. Papy dit que je peux aller aussi loin que je veux. Il dit des choses mystérieuses des fois, mon Papy.

Parfois, nous prenons là le goûter. Notre milkshake secret, rit Papy. Ou un chocolat chaud quand les températures baissent, ce qui est bien rare dans les Keys. Le plus souvent, une poignée de bonbons que nous partageons avant d'arriver à la maison.

Papy Merrill a toujours vécu ici, à part la période où il est parti pour son service militaire. Mamie Estelle a grandi jusqu'à son adolescence à New York avant de tomber amoureuse de mon grand-père. Papa a vécu dans le New Jersey jusqu'à ses quatorze ans et il est venu ici quand sa maman n'a plus voulu de lui. Je n'ai jamais rencontré ni ma grand-mère ni mes oncles et ma tante, et je ne suis pas sûre d'en avoir envie. Même si j'aimerais comprendre pourquoi ils ne veulent pas de Papa dans leurs vies. C'est pas grave parce que moi, je l'aime plus que tout. Maman l'aime aussi très fort. Maman a beaucoup voyagé avant ma naissance, elle est reporter. Elle me répète souvent à quel point le monde est vaste. Après nos vacances en van dans les montagnes, je m'en rends compte, mais je me demande ce qu'il y a plus loin. Papa, lui, insiste sur l'importance d'avoir des racines.

Rum Cay est mon univers et notre maison en est le centre.

Vous venez ?