Chapitre 40 : CLAP de fin

4 minutes de lecture



Concomitamment à l’écriture de mon récit, hasard ou coïncidence, j’ai appris l’existence d’un concours organisé chaque année par la Ville. Destiné aux jeunes Nantais entre 18 et 25 ans, il permettait de recevoir une bourse pour finaliser un projet, selon différentes catégories. La date de clôture approchant, j’ai donc déposé un dossier CLAP auprès de la mairie, pour bénéficier d’un fond initiative jeunes (FIJ).

À cette occasion, j’ai fait la connaissance d’un homme d’âge mûr, ancien sportif célèbre des années quatre-vingt, reconverti en col blanc au service de la ville. Il travaillait à la direction de la jeunesse et des sports et s’est pris de passion pour mon histoire familiale, racontée dans mon récit.

Le problème de cet homme était qu’il avait deux fois mon âge et ne semblait pas intéressé uniquement par le drame que j’avais vécu. Je le trouvais très familier envers moi et, surtout, beaucoup trop élogieux. Il avait lu sans ma permission « Le miroir de l’ange », le récit que j’allais défendre devant le jury du Clap et dont un exemplaire relié s’était retrouvé comme par magie sur son bureau.

Mon instinct commença à tirer la sonnette d’alarme. Il me présentait comme la « jolie jeune fille si résiliente » et cela me dérangeait. De manière générale, je préférais, et de loin, être avec les garçons de mon âge qu’avec les hommes plus mûrs. Je n’aimais pas l’emprise que ces derniers pouvaient essayer de développer sur moi. Aimant être aux commandes de ma vie, je n’appréciais pas ceux qui essayaient de me guider, parce qu’il me faisait me sentir manipulée et soumise. Or, j’étais clairement une forte tête. Il n’était pas encore né celui qui allait me mettre à ses ordres. Tous mes amants, depuis le début de ma vie sentimentale, avaient le même profil : plus jeunes, de mon âge, ou à peine avec deux ou trois années de plus. Les autres me mettaient systématiquement mal à l’aise.

J’imagine que ce ressenti venait de l’époque où je dus dormir avec mon oncle nu. Il est sûr et certain que s’il ne m’avait pas violée, il m’avait effrayée. N’ayant plus de souvenirs, il me restait la mémoire du corps et les sensations qui y étaient associées. Lorsque j’avais six ans, au cours de ces cinq semaines durant lesquelles je passais mes nuits à ses côtés, je suppose avoir eu peur qu’il agisse en dépit du bon sens. Je craignais peut-être qu’il m’agresse, d’une manière ou une autre, et devais me sentir à sa merci. Quoi qu’il en soit, toutes les personnes présentant par la suite les mêmes caractéristiques que lui me dérangeaient.

Comme mon mentor se tenait très correctement, en dépit de mon malaise, j’ai poursuivi mon projet et me suis présentée devant la commission qui examinait les dossiers et attribuait les fonds. Grâce à son soutien, j’ai reçu une enveloppe de cinq cents euros et mon récit a été imprimé en dix exemplaires, en version papier, afin de commencer à le distribuer aux maisons d’édition que j’avais prévues de démarcher. Mon mentor m’a proposé de rencontrer plusieurs écrivains publiés qu’il connaissait et a tenté de me faire intégrer cet univers si fermé.

Passé la période où ses flatteries me faisaient du bien, je n’étais plus du réceptive à ses suggestions. Dès les premiers échanges autour de mon œuvre, au milieu de personnes qui attendaient que je conte mes malheurs, je me suis retrouvée comme un poisson hors de l’eau. On me demandait de parler de mon bouquin, d’en sortir la substantifique moelle. Je n’y arrivais pas. Je bredouillais :

— Alors... Heu... Ça parle de l’accident de mon frère et de son meilleur ami... de leur mort, oui, voilà, ils sont morts... »

Je me dégoutais. Allais-je vraiment essayer de vendre leurs morts ? Pouah, la gerbe ! Même pas en rêve ! J’étais écœurée. Il était hors de question pour moi de tirer profit de ce malheur et d’en recevoir quelconque louange. Mon mentor, lui, était pourtant très enthousiaste et voyait tout le potentiel que le récit de ma vie de merde pouvait me rapporter. Il m’a mise en relation avec une association de défense des usagers et des victimes de la route. Il m’imaginait déjà en ambassadrice de la sécurité routière, faisant le tour des écoles en rappelant les dangers que représentaient l’alcool et la vitesse au volant.

Je souriais à ses propositions tout en me sentant prise au piège. Je n’avais aucune envie d’être le porte-parole de qui que ce soit. Je ne voulais pas que ma douleur et la pauvre dépouille encore fumante de mon frangin soient exposées sans vergogne aux charognards qui n’attendaient que mon signal pour s’en délecter. N’étant pas cliente des émissions voyeuristes, je désirais encore moins en devenir l’une des protagonistes.

C’était trop tôt, trop frais.

J’ai disparu des radars, en particulier de celui de mon mentor, qui semblait toujours persuadé d’avoir trouvé en ma personne la poule aux œufs d’or. « Jolie ET intelligente », disait-il, comme si cela suffisait à m’exposer comme une bête de foire. Refroidie, j’ai renoncé à démarcher qui que ce soit, abandonnant tout en stand by, le bouquin ainsi que les propositions de partenariats que j’avais reçues.

Au même moment, un fâcheux contretemps semblait me dire que je devais tout arrêter.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 23 versions.

Vous aimez lire Argent Massif ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0