Chapitre 41 : Contretemps

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Après un été studieux passé à écrire pour mon plaisir, sans être rémunérée, je savais qu’il était temps de trouver un moyen de gagner ma croûte. Au lendemain de mes 21 ans, comme j’étais arrivée au bout de mon contrat « jeune majeur », j’avais perdu ma principale source de revenus. Je continuais toujours les shootings, mais pas le baby-sitting, alors j’ai postulé dans des agences d’évènementiel, dont on m’avait certifié le travail barbant mais rémunérateur.

Après avoir été hôtesse de nuit dans un bar à putes, je suis donc devenue hôtesse de jour sur les salons et les congrès. J’avais un cerveau en parfait état de marche, mais mon physique restait pour moi ma meilleure carte de visite et le moyen le plus efficace de gagner rapidement de l’argent. Les missions consistaient à faire la plante verte au milieu de gens bien habillés, à sourire façon Kate Middleton lorsqu’on me demandait les toilettes ou que l’on me jetait un manteau à ranger au vestiaire. En dehors des talons qui nous bousillaient les pieds, le travail n’était pas trop exigeant et on pouvait profiter de certains à-côtés comme boire du champagne, pour mes collègues, ou manger des petits fours, pour moi, lesquels allaient invariablement finir leur course dans les W.C.

Je souffrais toujours de boulimie et cette dernière m’empêchait clairement d’avoir un vrai métier, de ceux qui affichent trente-cinq heures par semaines et obligent à se lever à heure fixe tous les matins. À cette époque-là, j’étais un oiseau de nuit qui écrivait, lisait ou dormait lorsque les autres travaillaient.

À cause de la fatigue qu’engendraient mes TOC, j’appréciaient ces courtes missions bien rémunérées, qui avaient l’avantage de se dérouler sur deux ou trois journées d’affilée, avant une pause me permettant de m’enfermer chez moi plusieurs jours consécutifs. Cette organisation en gruyère me garantissait une certaine tranquillité. Je pouvais ainsi rester dans la bulle sécurisante que je m’étais fabriquée, où j’enchainais les crises de boulimie, ma principale activité, en visionnant en boucle mes séries préférées. À l’abri des regards indiscrets, protégée des jugements qui m’agressaient, j’étais libre de me détruire lentement mais sûrement. Hormis de rares jeunes hommes qui avaient partagé mon quotidien quelque temps, personne ne connaissait mon secret. Parmi mes proches, seuls Manu et Simon, mon ami d’enfance, étaient au courant. Solène en avait entendu parler à l’occasion de mon hospitalisation à Saint Jacques mais avait toujours considéré cette addiction davantage comme une mauvaise habitude, à l’instar de la cigarette, que comme une réelle maladie. À ses yeux, je pouvais arrêter quand je voulais.

Les effets négatifs de la boulimie étaient pourtant si fort que lorsque je devais retourner en société, j’avais nécessairement besoin d’une journée complète pour me rétablir des dégâts causés par la boulimie. Les effets des crises étaient comparables à ceux des lendemains de cuite. Après deux ou trois jours de crises intenses, mon état ressemblait à s’y méprendre à celui qu’expérimentaient mes amis fêtards, le dimanche, après une soirée trop arrosée la veille : fatigue, migraine, nausées et gueule enfarinée. Quelle que soit l’addiction, passée la phase exaltante où on peut se lâcher, arrive toujours la note salée à payer, avec ses conséquences néfastes à gérer. Je m’accommodais de tous ces aspects négatifs. Ma santé ne m’importait guère. Manger et rester mince demeurait le plus important. Et comme tous ceux dans la vingtaine, dont la machine n’était pas encore trop usée, je me rétablissais rapidement. Cela me permettait d’oublier ces inconvénients très vite et d’y retourner encore plus vite sans jamais m’en inquiéter.

Quoi qu’il en soit, c’est dans le cadre de ces missions en tant qu’hôtesse d’accueil que je me suis retrouvée au stade de la Beaujoire, un soir de match de foot, à faire la potiche à l’étage des VIP. Après le travail, je suis rentrée chez moi, exténuée. Alors que je m’apprêtais à ouvrir la porte de mon appartement, j’ai constaté avec horreur que celle-ci était déjà ouverte. Sous le choc, j’ai appelé le garçon que je fréquentais depuis quelques semaines, Éric, lequel est arrivé dans la foulée.

Il est passé devant moi et à pousser la porte donnant sur l’entrée, où la lumière était encore allumée, puis a fait un rapide état des lieux. En apparence, les choses n’avaient pas bougé. Aucun meuble n’avait été mis sens dessus-dessous. On aurait même dit que personne n’avait pénétré dans le logement. Je l’ai suivi et ai vérifié à mon tour chacune des pièces qui avaient été visitées. Je savais à présent que des choses avaient disparu dans ma chambre et le salon-salle à manger. Il manquait mon ordinateur portable, mon magnétoscope et, ouvrant le placard de ma chambre, j’ai constaté qu’un tiers de ma penderie avait été vidée. Mais pas que. Le classeur contenant TOUS mes papiers, factures d’achat, contrat d’assurance, informations bancaires, s’était aussi volatilisé. Les crapules avaient désormais mes cartes bleues, ma carte d’identité, mon permis de conduire ET tous les documents nécessaires pour les exploiter.

Les flics sont arrivés quelques minutes plus tard, suite à notre appel. Peu étonnés, ils nous ont informés d’une recrudescence des cambriolages.

— Vous allez relever les empreintes ? ai-je demandé pleine d’espoir.

— Non, il y a trop de traces de doigts partout. On n’est pas dans une série télé, madame.

Prenant un air condescendant, il semblait content de m’informer que la maison était trop crade pour être exploitée, tout en regardant mon compagnon d’un œil accusateur. Dans un excès de zèle, il lui a même demandé d’où il arrivait. J’ai complètement halluciné. Éric était métis, ce qui semblait le classer d’office dans la catégorie des suspects. Je leur ai demandé de cesser tout de suite leurs suppositions immondes.

— On doit vous laisser, on est appelés pour une autre intervention. Le service dédié vous recontactera pour l’enquête.

C’est ça, on ne vous retient pas, bande de cons xénophobes, ai-je pensé, outrée.

Comme les malfrats détenaient encore mes clefs et savaient où j’habitais, Éric a préféré rester dormir chez moi, au cas où ils reviendraient. Cette nuit-là, tout beau gosse qu’il était, je n’ai pas envie de faire l’amour. Tandis qu’il ronflait tranquillement à mes côtés Je regardais le plafond, n’arrivant pas à dormir, troublée par les derniers évènements. Je me suis mise à faire le compte de tout ce que j’avais perdu en quelques heures, parce que j’avais accepté une mission pour travailler et gagner de l’argent. Tout cela était un non-sens. Ma vie était un non-sens. Plus j’essayais de sortir la tête de l’eau, plus on tentait de me faire couler.

Qui était donc ce « on » ? Qui était-il là-haut, à me donner sans arrêt des leçons ?

Qui es-tu ? Montre-toi, si tu en as le courage. Montre-moi à qui j’ai à faire depuis tout ce temps.

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