Chapitre 105 : Une vision

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C’était le week-end, un samedi habituel au cours duquel la maisonnée se réveillait doucement. La matinée était radieuse, fraîche et ensoleillée comme le sont les magnifiques journées d’automne, ma saison préférée. Je ne faisais rien de particulier, hormis me préparer pour sortir me balader avec ma fille. Soudain, quelque chose me traversa. Pas une sensation physique, non. Une idée plutôt, suivie d’un sentiment.

C’est impossible de décrire exactement ce que je ressentis à ce moment-là. D’ailleurs, plus j’y repense, plus je me demande si je n’ai pas rêvé. C’était comme recevoir un flash, mais sans luminosité. L’instant fut aussi furtif qu’une inspiration, mais sans la petite ampoule allumée. Je reçus une certitude, mais sans preuve pour l’appuyer. Une sorte de message pour moi, à destination de mon cœur, et qui semblait provenir de mon âme, le tout sans accusé de réception. Ce n’était pas extérieur à moi, mais ça ne venait pas de ma tête non plus. Je n’étais pas à l’initiative d’une pensée car je ne pensais pas. J’étais au contraire un canal de réception, mais il était probable que j’en fusse aussi l’émetteur, transcendée. Cela venait de loin, comme d’un autre plan, même si cela me toucha de près, très intensément.

C’était comme une vision sans image, ou une déclaration sans paroles. Je n’entendis ni mots, ni voix, je ressentis seulement une impression. Je parlerais d’évidence.

On m’affirmait que tout allait bien se dérouler... On me promettait que tout cela n’était pas vain. On m’assurait que j’empruntais le bon chemin. On me garantissait que j’allais bientôt être récompensée pour tous mes efforts. On me certifiait que j’étais sur la voie du succès et de la réussite. On était avec moi et je devais poursuivre mon évolution, car tout allait bien se passer pour moi.

Je ne savais trop à quoi on faisait allusion, pas plus que je ne comprenais qui était ce on, mais il était sûr et certain qu’il s’agissait d’une entité bienveillante, issue d’un lieu que je ne percevais pas de mes cinq sens. Le monde de l’invisible ? Pourquoi pas ? Je retins surtout qu’on me voulait du bien et que ce message était là pour me rebooster. Cela me suffit.

Après cette révélation, je vécus des jours entiers dans une béatitude absolue. Je pleurais régulièrement de gratitude. Je me sentis plus légère qu’une bulle de savon, libérée de toutes peurs et de tous doutes, ainsi que des contingences matérielles qui nous aliènent tant. Perchée sur mon petit nuage, j’affichais un sourire extatique. À titre de comparaison, j’aurais gagné au loto que cela ne m’aurait pas plus enthousiasmée. L’euphorie s’empara de moi tout entière.

L’avenir me tendait les bras, j’en étais absolument convaincue. Rien ne pouvait me détourner de cette pensée, de cette vérité. Que devais-je faire ? Je n’en savais rien. Je n’imaginais pas comment le futur allait se manifester, mais je présageais qu’on allait me le dire. Je demandais à ce qu’on m’indique la suite des opérations. En attendant la réponse à mes questions, cet évènement m’apportait une force et une joie infinies.

La sensation perdura pendant des jours, puis, malheureusement, bien que je fisse tout pour la retenir, pour la mémoriser, pour l’imprimer dans mon corps et mon esprit, elle finit par s’estomper. Mais, même après sa disparation, je demeurais galvanisée. Pour toute personne extérieure, cet évènement n’avait aucune valeur. Pour moi, ce fut comme un reset. Mon énergie avait complètement switché.

Désormais, je savais.

Je savais de source sûre (à mes yeux, bien évidemment) que ma vie valait le coup puisque l’issue allait être belle. Je possédais toutes les cartes entre mes mains. À moi maintenant de faire ce qui était en mon pouvoir pour que cette promesse prenne vie.

Alors, je décidai de me mettre au travail. Ma première action fût d’acheter un ordinateur. J’avais un vieux Mac blanc avec lecteur CD qui datait d’avant la naissance de ma fille. Mais il ramait tant qu’il ne me servait plus qu’à écouter de la musique lors de mes rendez-vous. J’investis donc dans un Macbook air, avec l’intention, éventuellement, de me remettre à l’écriture, ailleurs que dans mes journaux intimes. Cependant, une fois ce bel outil acheté, je n’avais toujours aucune idée de ce que je pouvais y raconter. Malgré la suggestion de Nicolle Ancelet, sept ans auparavant, je n’étais toujours pas prête à me lancer dans la rédaction de mon autobiographie. Et bien que l’écriture représentât assurément mon don, mon talent, et probablement la seule activité valable pour me sortir du marasme actuel de ma vie, je n’avais, pour le moment, aucune inspiration.

Face à la page blanche, ne valait-il pas mieux replonger dans celles, bien remplies, des ouvrages de développement personnel qui peuplaient ma chambre ? La solution se trouvait peut-être dedans. J’avais dû louper une étape importante lors de mes excès de zèle passés, à l’époque où j’avais dévoré des lignes presque sans respirer. Je devais reprendre les bases et revenir à mes premières découvertes avec un regard neuf.

À force de lecture assidue, un concept manqué surgit enfin. Un concept que je n’avais pas vraiment exploré et encore moins exploité, parce que je l’avais considéré comme accessoire.

Fake it until you make it.

Fais semblant jusqu’à ce que cela arrive.

En d’autres termes, je devais faire comme-ci.

C’était à la fois facile et compliqué.

Il était très aisé de faire comme ma fille lorsqu’elle était petite et jouait à la princesse. Elle se prenait alors pour l’une d’entre elles. Elle l’avait si bien fait qu’un jour, lorsqu’on lui avait demandé son prénom, elle avait déclaré : Elsa. La vague Reine des neiges était passée par chez nous et elle s’était naturellement identifiée à son héroïne préférée, celle à laquelle elle aurait tant voulu ressembler. Il me semble que les enfants ont beaucoup à nous enseigner, probablement plus que nous, au demeurant. Je commençai donc à faire comme ma fille, à faire comme-ci.

Ce qui était difficile, c’est que mon inspiration persistait à me fuir. J’étais en panne sèche. Alors, pour booster ma créativité, je me mis au modélisme, ce qui n’avait vraiment aucun rapport avec mon talent de base. Cette idée d’activité avait surgi en moi sous le coup d’une folle envie. Comme je considérais mon instinct comme un excellent guide, je me lançai. J’avais en tête de réaliser la maison de mes rêves, exactement comme l’aurait fait un architecte avant la construction finale. À l’instar de la maquette du château Poudlard qui trônait aux studios Harry Potter que l’on venait de visiter avec ma fille, près de Londres, j’allais fabriquer une réplique miniature de ma future habitation. J’allais construire pièces par pièces ma nouvelle vie.

Dire que j’étais enthousiaste serait un euphémisme. J’étais dans un état second. Je kiffais tellement ma life en faisant cela que je réduisis considérablement les crises de boulimie. Durant les absences de ma fille, je passais des week-ends entiers à assembler du mobilier pour lilliputiens. Je m’y mettais dès le samedi matin, 9h, et je terminais quand je n’y voyais plus rien. Je m’adonnais à cela en buvant des litres de café déca, et en mettant sur mon vieil ordinateur tous les dessins animés de notre collection.

Je découvris à cette occasion que les films Disney regorgeaient de messages positifs, et qu’ils nous enseignaient comment croire en nos rêves, même les plus fous. Surtout les plus fous. Nous avions tous une destinée qui nous appelait. Il ne tenait qu’à nous de poursuivre notre chemin pour être exaucé. J’adorais me concentrer sur cet avenir prometteur. C’était tellement stimulant.

À ce rythme-là, mes longues séances de modélisme frôlaient presque le lavage de cerveau, car j’enchaînais tous les classiques les uns à la suite des autres, mais le résultat était bluffant : je me couchais plus heureuse que jamais, moralement requinquée, un sourire grand écran s’étirant de part et d’autre de mon visage.

Une fois le squelette de la grande maison de poupée terminé, cette dernière envahissait la moitié de ma table de cuisine. Je travaillais dessus le soir en surveillant le dîner. Je m’attaquai alors aux finitions et me régalais de voir notre habitation fictive prendre forme. Ma fille était dans le même état. On mangeait toutes les deux sur un coin de table, recroquevillées sur nos assiettes, et on commentait, semaine après semaine, l’avancée des travaux.

— Qu’est-ce que tu veux comme couleur pour les murs de ta chambre ma puce ? Est-ce que tu aimes ce papier peint liberty ? Et la cheminée, tu veux la blanche, plus moderne, ou la rouge en bois acajou ?

Dans son espace miniature, je lui installai le lit à baldaquin qu’elle avait toujours désiré et un dressing géant attenant à sa salle de bain privée. La maison montait sur deux étages. Ma suite parentale se trouvait au grenier. La sienne se situait dans la zone intermédiaire et enfin, au rez-de-chaussée, il y avait la cuisine aménagée, le salon au style industriel et bien sûr, une bibliothèque. Créer ma bibliothèque a été un enchantement. J’y mis un fauteuil en tissu, une cheminée, un chat, et des tas d’étagères chargées à ras-bords de livres. À force de passer des heures à imaginer et construire notre maison idéale, j’avais vraiment l’impression de vivre dedans. Je ne m’étais jamais autant amusée.

Je ne savais toujours pas comment j’allais rendre cette maison réelle mais tant que sa fabrication m’éclatait, je devais continuer ce projet qui me permettait, ni plus ni moins, de devenir l’architecte de ma vie.









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