Chapitre 110 : Le prototype de l’homme idéal

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Nous étions le 24 décembre 2021. Stéphanie avait tenu à me recevoir en cette journée ensoleillée, précédant la joyeuse soirée du réveillon. Je devais passer ce dernier seule, ma fille étant chez son papa. J’étais séparée de Tanguy depuis quelques jours mais, contrairement à ce qu’elle craignait, je ne le vivais pas du tout comme un échec de plus et ne souffrais nullement de ma solitude. Bien au contraire. J’étais pleine de gratitude pour cette rupture et surtout pour l’histoire qui l’avait précédée, et même pour l’homme, le gamin, qui en avait été le principal acteur.

Grâce à lui, j’avais le sentiment d’avoir enfin ouvert les yeux sur qui j’étais réellement. Certes, j’étais prostituée depuis environ treize ans, et toujours boulimique, qui plus est, mais finalement, tout cela n’était que des étiquettes. Ce n’était pas moi. J’étais une âme, incarnée dans un corps physique et j’expérimentais actuellement une existence humaine parmi d’autres, et dans celle-ci, je m’essayais aux divers rôles que je m’étais attribuée au fil des années. Mais moi, mon essence véritable, la personne que j’étais vraiment au fond de cette enveloppe corporelle, était tout autre. Comme tous les autres êtres de mon espèce, j’étais unique.

Illimitée en capacités et en ressources.

Divine malgré ma condition humaine.

Immortelle en dépit de mon temps donné.

Invincible, indestructible, inarrêtable.

Alors si je voulais mieux que ce que j’avais choisi jusque-là, c’était tout à fait à ma portée. En fréquentant Tanguy, j’avais compris que je méritais largement mieux qu’un homme qui me voulait pour le lit ou la cuisine. J’avais vu à quel point j’avais à donner et combien je pouvais améliorer le quotidien de quelqu’un, pour peu que l’on m’offrît la même chose en retour. J’avais attiré Tanguy à moi car il correspondait à mes anciennes croyances, celles que je cultivais sur moi-même depuis des années, que l’on m’avait inculquées depuis ma naissance. Mais ces croyances délétères me limitaient. Et surtout, enfin, je n’y adhérais plus. J’avais l’impression que la nouvelle version de moi-même était enfin installée, que la reprogrammation en cours avait fonctionné. Je ressentais mon champ d’attraction s’ouvrir, s’élargir, se dilater, et ce, pour accueillir cette personne qui serait à la hauteur de tout ce que je pouvais lui apporter. J’étais une femme de valeur, généreuse et attentionnée, bienveillante et intelligente, alors, je devais cesser de réduire mes possibilités à un homme qui considérait qu’une vidéo de sa branlette allait me faire plaisir. Je mis Stéphanie au courant de mes dernières révélations :

— Vous savez, après ces trois mois passés au contact de Tanguy, j’ai vu quelle belle personne j’étais vraiment. J’ai senti le décalage entre mes capacités cognitives et les siennes, entre mon train de vie et le sien, entre mes envies pleines de noblesse et les siennes, qui gisaient au ras des pâquerettes. Je ne peux décemment pas envisager valoir un homme qui attaque le samedi matin au Ricard, à onze heures, en visitant une vieille tante. On n’est pas dans le Nord, bordel !

Stéphanie éclata de rire, comme souvent lorsque nous échangions à bâtons rompus.

— Oui, sans aucun doute. Alors, maintenant que vous avez pris conscience de la très belle personne que vous êtes, quelles sont vos attentes en matière d’homme pour la suite ?

— Aucune !

En vérité, je savais que je ne pourrais pas exploiter mon plein potentiel tant que j’aurais un homme dans les pattes. Pas actuellement. Tant que je ne serais pas sortie de la prostitution et de la boulimie, aliénée par ces deux « handicaps », une part de moi, même infime, croira toujours que je ne valais rien d’autre qu’un Tanguy. Mais c’était faux. J’étais géniale. Et je le disais en toute humilité. Je l’étais parce que j’avais fait énormément d’efforts pour trouver ma voie, parce que j’avais passé des dimanches entiers à travailler sur moi, des week-end complets à m’introspecter pour m’améliorer. Je l’étais car je m’étais donnée la peine et les moyens de me reconstruire après mes nombreux échecs, mes innombrables douleurs.

— Combien font ça aujourd’hui, Stéphanie ? l’alpaguais-je vivement. Combien ont le courage d’aller fouiller la merde pour aller mieux ? Combien font le nécessaire pour se sortir les doigts du cul pour aller décrocher leur rêve ? Combien, Stéphanie ?

— Pas des masses, je vous l’accorde.

— Eh bien moi, je l’ai fait. J’ai attrapé le taureau par les cornes, j’ai saisi les problèmes à bras le corps et j’y suis allée, avec détermination et endurance. Et je continuerai à le faire tant que je n’aurais pas complètement atteint ma vie de rêve. Je le ferai jusqu’à mon dernier souffle, s’il le faut. Voilà pourquoi je sais que je vaux plus qu’un Tanguy.

Je continuais ma diatribe tel un Martin Luther King sur sa chair, face à une Stéphanie qui opinait du chef, déjà acquise à ma cause. Ce mec n’avait aucune ambition, renchéris-je encore. Il me fallait un homme avec de la carrure, du charisme, et une paire de couilles, évidemment. J’en avais marre des carpettes, des mecs qui s’écroulaient à la première brise, des girouettes qui tournaient en rond au gré du vent, ne sachant pas ce qu’ils allaient faire de leur vie. Je souhaitais rencontrer un homme qui n’ait pas peur de braver un tsunami, qui sache ce qu’il voulait vraiment et qui était prêt à bosser dur pour l’obtenir. Et si c’était moi qu’il désirait, eh bien, il allait avoir besoin de se retrousser les manches. J’avais envie de lui crier : bonne chance, mon gars !

Stéphanie et moi rîmes de concert. Elle aimait ma pugnacité, qui devait lui rappeler la sienne. Nous étions des combattives et pour nous suivre, il fallait en avoir sous le capot. On disait que les femmes fortes faisaient peur aux messieurs. Mais c’était sûrement le cas pour les hommes faibles, les fragiles, comme mon père l’avait été. Or, pour des femmes de notre trempe, il fallait du lourd. Et les Tanguy poids plume, je ne les accepterai plus. Maintenant que j’y voyais plus clair, je savais que celui-ci, ce branleur, dans tous les sens du terme, avait été le dernier de cette lignée de mâles que j’avais connue. Des hommes que j’avais choisis en conscience mais attirés malgré moi, victime de mon ancienne façon de penser. Mais ces dernières ne reflétaient que mon ancienne version. Une version obsolète d’une femme qui n’existait déjà plus. Cette femme sans avenir était morte et enterrée. J’attendais désormais un homme avec un énorme potentiel, de nombreuses qualités physiques, intellectuelles, morales, émotionnelles, un homme capable de se battre pour moi, de remuer Ciel et Terre pour mes beaux yeux. Sinon, qu’il passe son tour, je n’en avais que faire.

Stéphanie rebondit sur ma dernière déclaration :

— Je pense que ce serait vraiment bien que vous consigniez tout cela sur papier. Que vous notiez très exactement tout ce que vous espérez d’un homme. Nous sommes la veille de Noël, c’est le moment idéal pour écrire vos vœux.

Elle était comme ça, Stéphanie, pertinemment poétique, toujours pleine de bon sens, de beaux mots et de jolies images.

Je passai le réveillon seule, mais j’en étais ravie. Je savais ma fille heureuse chez son père, entourée de ses frère et sœur. Je me préparai une soupe maison, suivie d’un dessert au chocolat. Et filai dans ma chambre me blottir dans mon lit, devant un bon film positif. Pas de crise de boulimie ce soir-là. J’étais pleine de reconnaissance.

Le lendemain matin, dès sept heures, je me levais sur le pied de guerre. Je brandis mon ordinateur, sur lequel j’avais installé Word. J’ouvris un nouveau document, que j’intitulai : « ma relation amoureuse idéale ». Et je me lâchai. Ceux qui ont lu, partiellement, ou en entier, la saga que j’ai publiée sur ADA, savent à quoi elle ressemble, puisque Gwendoline et Erwann ont pris vie sous leurs yeux. J’ai écrit toute la journée du 25 décembre. J’ai écrit tous les jours qui ont suivi. J’ai écrit du matin au soir, du lever du soleil à la tombée de la nuit.

Je n’ai pas fait de crises pendant tout ce temps. Je les avais considérablement réduites pendant le trimestre passé auprès de Tanguy, parvenant à les limiter à deux ou trois par mois. Mais là, j’étais seule et j’avais du temps devant moi pour manger. Cela aurait pu être les conditions idéales pour reprendre mes habitudes d’autrefois. Mais je ne le fis pas. Je n’en avais ni le besoin, ni l’envie et encore celle de consacrer du temps à ça. Je repensai au podcast : remplacer une passion par une autre, pour s’en détacher. Et voilà, on y était. Écrire me comblait. Écrire me nourrissait. Je ne voyais pas les heures défiler. J’étais pleinement immergée dans mon histoire, dont je savourais chaque ligne inventée. Le reste ne m’intéressait plus.

Tout était fictif, mais tout me faisait du bien. Au diable les Stéphane et les Tanguy, je voulais un Erwann, mon prototype de l’homme parfait. En quelques jours, ce dernier était entré dans mon cœur, tel un être réellement vivant. J’avais l’impression de l’avoir à mes côtés. Je me sentais amoureuse, comblée. Je m’endormais en souriant comme si je venais de recevoir un message de bonne nuit de mon bien-aimé. La présence de ce personnage était si forte dans mon quotidien que je ne me sentais plus célibataire. J’avais un amoureux imaginaire et j’étais plus heureuse que jamais. Pourquoi ? Parce que je savais qu’il était en route vers moi.

Fake it until you LIVE it.

Il arrivait, mon chevalier servant. Je le sentais, je le savais, je l’attendais. Mais je ne l’espérais pas, car l’espoir aurait suggéré un doute. Je n’avais pas de doute. Je n’avais que des certitudes. J’étais dans une gratitude infinie. Il n’y avait pas d’urgence. Je n’étais pas aux abois sans lui. J’étais tellement bien avec moi-même. Je profitais simplement de cette dernière période de célibat, pour peaufiner ma vie future.

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