Chapitre 112 : Vivre ou mourir, partie II

6 minutes de lecture

Été 2022. Les grandes vacances se profilèrent. Ma fille et moi allions bientôt passer une partie de celles-ci en Bretagne, notre lieu de villégiature de prédilection. Nous avions prévu d’y rester la moitié du mois d’août, en camping cinq étoiles. Mais avant cela, pendant qu’elle allait être chez son père, à profiter de ses frère et sœur, j’avais l’intention d’occuper mon temps libre à bon escient. Cela signifiait me tenir éloigner au maximum de ma cuisine. Je programmai donc plusieurs séances photos. C’était la bonne saison pour s’adonner à cette activité dans la nature, surtout pour moi qui aimait la randonnée et le nude landscape (1)

J’avais repris mon activité de modèle quelques temps avant ma rupture d’avec Tanguy. Cela avait d’ailleurs été une des nombreuses sources de désaccords entre nous. À l’époque, jaloux et possessif, à tendance maladive, il ne voulait pas me laisser seule en compagnie de photographes masculins. S’il y a bien une chose que je ne pouvais pas accepter de la part d’un homme, c’était qu’il exerce un quelconque contrôle sur ma vie. Depuis notre séparation, j’avais bien évidemment poursuivi les séances. Cela m’amusait beaucoup et je rencontrais des personnes passionnées par la photographie, toutes plus adorables les unes que les autres.

Ainsi, durant le mois de juillet, je réalisai plusieurs shootings, dont deux en Bretagne. Après avoir passé un week-end merveilleux à crapahuter au cœur de lieux magiques, avec des gens gentils et talentueux, je revins de nuit à mon domicile. Sur le coup, je me sentis tellement portée par l’amour que j’avais reçu que je n’eus aucune envie de manger. Cela faisait presque trois semaines que je n’avais pas fait de crises et, rassénérée par ces beaux moments d’échanges et de partages, j’escomptais bien tenir encore plus longtemps.

Mais le lendemain matin de mon retour, patatras. Rebelote. Nous étions le deux août et il me restait encore six jours avant de revoir ma fille. J’avais hâte qu’elle revienne. Son absence commençait vraiment à me peser. Ceci expliqua sûrement pourquoi je mangeai quatre jours durant, presque sans discontinuer. Puis, je m’obligeai à arrêter pour l’accueillir dans de bonnes conditions.

En posant nos valises en Bretagne, je décidai d’entamer un nouveau sevrage, plus facile à mettre en place en période de vacances, propice à la quiétude. Si je parvenais à éviter les crises durant vingt-et-un jours, je dépasserais ce fameux cap des trois semaines que l’on disait si important pour abandonner une habitude délétère. J’avais encore une douleur à la gorge, résidu de mes dernières agapes, mais en dehors de cela, je me sentais en forme, moralement et physiquement. Les retrouvailles avec ma fille me procurèrent un grand bien-être. Je souhaitais vraiment profiter de cette pause estivale et de sa présence constante, pour repartir du bon pied.

Tôt le matin, lorsque ma fille dormait encore, j’écrivais. Après avoir publié les derniers chapitres du tome un de ma saga, je me lançai à l’assaut du tome deux. Portée par ma passion, j’étais plus motivée que jamais. Me lever aux aurores me réjouissait. Je profitais du silence environnant pour plonger dans la suite de ma romance fictive. Entre la présence affectueuse de ma fille et la rédaction des aventures de mes deux héros, je baignais dans une allégresse constante.

Les jours s’écoulèrent et je gardais le cap dans mon assiette. Je m’alimentais sainement. Très peu au début, pour « nettoyer » mon corps de toutes les « saloperies » que j’avais ingurgitées, puis, progressivement, les quantités devinrent normales. Je me nourrissais principalement de fruits et légumes. Quelques extras furent tolérés, tel qu’un sandwich le midi lors d’une balade sur le GR34 ou une galette complète un soir, dans une crêperie, mais rien de trop fréquent. Je savais que je devais accepter ces petits « interdits », même si c’était difficile pour moi. Me priver davantage, en me limitant à une diète trop stricte, aurait probablement créé beaucoup de frustration. Le risque aurait été que je craque avant la fin de notre séjour, en me vengeant sur la bouffe. Je m’autorisai donc quelques plaisirs sucrés ou salés, mais rien de trop riche, comme des chichis ou une pizza. Surtout pas une pizza. Je n’en avais d’ailleurs plus jamais mangé après ce qui m’était arrivé.

Les vingt jours en camping se déroulèrent pour le mieux. L’heure de la fin des congés sonna. Sur le départ, en repliant bagage, je commençai à faire une liste mentale de tout ce que je n’avais pas consommé comme aliments « sales » depuis maintenant vingt-deux jours. Vingt-deux jours. C’était énorme. Est-ce que ça valait bien le coup de penser à toute cette foodporn (2) qui me manquait, alors que j’avais réussi à dépasser le seuil des trois semaines ?

J’étais partagée. À ce moment-là, l’image la plus parlante aurait été celle des deux personnages miniatures que l’on voyait dans les dessins animés. Sur mon épaule gauche, le petit diable, tout de rouge vêtu, qui m’incitait à la débauche de calories, de gras et de sucré. Sur mon épaule droite, le petit ange qui louait tous mes efforts et les résultats déjà acquis.

Continuer mon ascension vers la guérison ou replonger dans le cercle vicieux ?

Quitter mon addiction définitivement ou y rester accrocher, désespérément ?

Vivre... ou mourir ?

L’heure du choix.

Je demandai avec sincérité le soutien de l’Univers : Seigneur, permets-moi de continuer cette ascension efficace. Guide-moi de la meilleure façon sur le chemin de la santé, physique, émotionnelle et mentale. Je m’en remets entièrement à toi.

Lors de notre trajet de retour, ma mère m’envoya un message. Ce dernier ne contenait rien d’extravagant, mais je sentis que c’était la réponse que j’attendais : « Ma fifille, j’ai de la ratatouille fraîche si tu veux. Sans beurre, ni huile, comme tu l’aimes. Et de la salade verte et des tomates du jardin. J’ai aussi des haricots vapeur que je viens tout juste d’équeuter. Tout est prêt, tu en veux ? »

Elle était sur mon chemin et proposait de m’attendre sur une aire de co-voiturage, sur laquelle nous avions l’habitude de nous retrouver quand je devais récupérer ma fille. Je venais de déposer cette dernière chez son père pour la fin des vacances scolaires. Le réfrigérateur qui me tendait les bras à la maison était vide. J’allais être obligée de le remplir. J’avais encore devant moi quelques jours seule face à lui. De longues journées oisives à occuper.

J’étais à un embranchement sur l’autoroute de ma vie, face à deux voies.

Continuer sur ma lancée ou profiter de l’absence de ma fille pour bâfrer.

Me nourrir à satiété et passer à autre chose, ou manger plus que de raison, par habitude.

Vivre ou... mourir ?

Sans réfléchir, j’acceptais l’offre de ma mère, ce qui coupa court à toutes mes tergiversations. Ses saines préparations tombaient à point nommé. Je devais saisir cette main tendue, celle que l’univers plaçait sur ma route. Je me mis à parler à voix haute dans la voiture, pour rassurer la partie de moi qui avait vraiment envie de bouffer :

— Au pire, si une crise s’avérait inévitable, je pourrais toujours changer mon fusil d’épaule. Mais pour le moment, je n’en ai pas besoin. J’en ai envie, mais pas besoin.

Je devais calmer mon anxiété au sujet de ce sevrage « forcé », celui que j’imposais à cette partie de moi qui n’en voulait toujours pas. J’avais le sentiment de négocier avec une petite voix intérieure. Cette dernière était en état d’alerte depuis quelques heures, complètement paniquée. Je l’apaisai :

— Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer. On va gérer.

— Tu pourrais refaire une crise, juste une fois, insista la petite voix. Ce n’est pas encore le bon moment, il est trop tôt. Et puis, regarde l’heure, il est encore temps de passer à la boulangerie. Pense à toutes ces bonnes viennoiseries, aux croiss...

Mais je n’écoutais plus, hypnotisée par la route qui défilait sous mes yeux et la musique de Queen qui résonnait beaucoup trop fortement dans l’autoradio. Pour une fois, je ne cédais pas. Il fallait que j’essaie de réagir différemment si je voulais déprogrammer mes anciens schèmes et sortir du cercle vicieux.

Autrefois, j’avais laissé passer des tas d’occasions de m’en sortir. À présent, il fallait saisir ma chance et avancer. Par le biais de la proposition de ma mère, je sentais le soutien de la vie dans ma tentative de reconstruction. C’était une synchronicité. Le signe était puissant, clair, limpide. Je ne pouvais pas douter de sa provenance. Ce n’était pas un hasard si l’aide venait d’elle, de celle qui avait été à l’origine de mes dysfonctionnements. Elle avait été le problème et pouvait en être la solution. L’alpha et l’oméga.

La boucle était bouclée.

(1) nude landscape : terme couramment utilisé en photographie pour des images représentant des personnes nues posant dans la nature, lorsque le corps humain est mis au service de la beauté de celle-ci.

(2) Foodporn : contraction de "nourriture" et "porno". Terme utilisé pour désigner de la nourriture "sale" c'est-à-dire des aliments, souvent nombreux et mélangés ensemble, qui regorgent de gras et de sucré.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire Argent Massif ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0