Chapitre 111 : Vivre ou mourir, partie I

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Un mois et demi après avoir commencé à écrire ma romance idéale, le Covid me cloua au lit. Je n’écrivis pas une ligne pendant plusieurs semaines. Pendant ma convalescence, en bouquinant des revues féminines, je tombai sur une page dans le magazine Femme actuelle, qui annonçait l’arrivée prochaine d’un concours. Je n’achetais jamais cet hebdomadaire d’ordinaire, alors tomber sur cette annonce m'apparut comme un signe. Il s’agissait de faire élire le meilleur roman amateur par un jury de lectrices. L’œuvre en question, romance, récit d’aventures ou parcours initiatique, devait mettre en scène les préceptes du développement personnel. J’éprouvai une réelle excitation à participer à cet évènement littéraire.

Cependant, une fois remise de ma quarantaine, lorsque je relus mon récit, je le trouvais pourri, plat et insipide. Il manquait de protagonistes pour rendre l’histoire crédible. À part l’attraction irrésistible entre mes deux héros, il ne se passait rien. Il me restait un mois avant la clôture du concours et le début des votes. Je me posai donc les questions suivantes : qu’est-ce que j’aimerais trouver dans un bouquin ? Qu’est-ce que je n’ai jamais lu ou vécu jusque-là, dans une love story, et qui m’a toujours manqué ? La fin devait être positive, évidemment.

Je m’attelai donc à la tâche, plus enthousiaste que jamais. Je changeai quelques éléments du décor, peaufinai le style, allégeai les paragraphes trop spirituels, rajoutai pas mal de dialogues que j’espérais punchy. De suite, le texte devint plus vivant. Il me plut davantage, même s’il était loin d’être à la hauteur de mes attentes. Je ne disposais plus d’assez de temps. Je le fis parvenir au site quelques heures avant minuit, heure de fin du dépôt des dossiers. Quelques semaines plus tard, je reçus une réponse négative.

Ce n’était pas grave, mon récit, moi, je l’aimais. Parallèlement à la refonte de ce dernier, j’avais commencé à en publier gratuitement les premiers chapitres sur un site d’auteurs, trouvé par hasard au fil de mes pérégrinations sur internet. Le site était alors connu sous le nom de Scribay. Nous étions en mars 2022. Je mettais en ligne le début de ma première romance, depuis quelques semaines déjà, sous un pseudo, discrètement.

Étrangement, au moment où le concours de Femme actuelle fermait ses portes, Scribay se transforma en Ateliers des Auteurs. L’anecdote me fit sourire. Lorsque j’avais commencé à poster mes écrits sur le site, j’étais une « scribouilleuse », évidemment amatrice. À l’heure où je validais ma première tentative à un concours littéraire, je changeai de statut en publiant désormais sur un site d’auteurs. C’était une drôle de façon pour l’Univers de me valider. Malgré mon échec au concours, je poursuivis mes publications avec un enthousiaste toujours renouvelé, jour après jour, ravie que quelques lecteurs bienveillants donnent leur avis sur mon travail. C’était la première fois que je m’exposai en partageant des choses aussi intimes. Certes, je le faisais sous couvert d’anonymat, mais j’avais qualifié mon œuvre d’autofiction, ce qui était un énorme pas pour moi.

J’avais envie de dire, de raconter. J’avais envie que la vérité éclate, même si elle était encore masquée. Et puis écrire me faisait tellement de bien. Or, à ce moment-là, j’en avais bien besoin puisque ma santé commençait sérieusement à se détériorer.

Le Covid m’avait fatiguée en février. Deux mois plus tard, la grippe me laissa sur le carreau. Certes, tout cela était ennuyeux, mais je savais que j’allais m’en remettre. En revanche, autre chose m’inquiéta. Depuis quelques semaines, des douleurs à la gorge se manifestèrent et devinrent de plus en plus fréquentes.

Cela faisait pourtant de nombreux mois que j’avais considérablement diminué les crises de boulimie. Je pensais naïvement que cela impacterait ma santé dans le bon sens. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. Chaque fois que je me faisais vomir, et même si c’était rare, ma trachée me brûlait. Pire, j’avais l’impression que quelque chose était resté coincé à l’intérieur, comme si une arête de poisson avait été plantée dans ma chair. Par moment, j’avais même le sentiment que ma gorge était en train de se rétrécir, voire de se boucher. J’avais de plus en plus de mal à déglutir. Je mâchais, mâchais, mais quand les aliments devaient descendre, ils semblaient le faire à reculons. Ce genre de phénomènes se répétaient. Cela m’inquiéta tant que je pris rendez-vous chez trois spécialistes à l’hôpital, recommandés par mon médecin traitant.

Entre temps, avant même que la première entrevue médicale n’ait eut lieu, je vis presque ma dernière heure arriver. J’avais avalé une pizza en mode affamée, prenant à peine le temps de la mâcher. Puis, j’avais enchaîné sur des viennoiseries, de la glace et des céréales au chocolat. Je n’avais pas bu assez. Pleine à craquer, lorsque le moment vint de tout faire remonter, une bouchée compacte de pizza, pleine de fromage aggloméré, se coinça dans ma trachée. L’horreur.

J’étais penchée au-dessus de la cuvette et je ne pouvais plus respirer. Le morceau bloquait la voie, au risque de m’étouffer. Je me redressai d’un bond et courrai vers la cuisine à la recherche d’une bouteille d’eau. J’étais en apnée, complètement paniquée. Je tournai autour de la table en battant des bras, à la recherche d’une solution. Instantanément, je repensai à un épisode de Sex and the city, celui où l’actrice fait une fausse route, seule, chez elle. Sans le faire exprès, elle tape violement sur un meuble avec ses bras, ce qui décoince la nourriture. Je fis de même sur la table de ma cuisine. Le truc bougea. Je bus une bouteille d’eau tiède. Le liquide fit redescendre le reste de la pizza. J’étais débout, en état de choc, paralysée. Tout mon corps tremblait, secoué d’angoisse.

Si ça, ce n’était pas une mort de merde, alors là, je ne m’y connaissais pas. Je ne refis pas de nouvelles crises pendant des jours. Pour autant, j’en ressentais encore le besoin. Malgré la peur viscérale de crever, je ne pouvais toujours pas tirer un trait sur des années d’addiction. Je savais pourtant que j’arrivais à la fin, que cela n’était plus possible, pour des tas de raisons, physiologiques, psychologiques, émotionnelles. Je fis un constat basique : à vingt ans, pour deux semaines de crises non-stop, j’avais besoin d’un jour pour m’en remettre. À bientôt quarante, une crise nécessitait deux semaines de repos pour faire disparaître les « symptômes du lendemain ».

Mais je n’avais toujours pas le courage de mettre un point final à tout cela.

Je fis tous les examens que l’on me prescrivit. Aucun ne révéla d’anomalies, Dieu merci. Quand je demandais d’où provenait la douleur dans ma gorge, on accusait les vomissements, tout simplement.

— Vous n’avez qu’à arrêter, me conseilla abruptement l’un des docteurs.

Si c’était aussi simple à faire... Pourtant, il le fallait. Il le fallait vraiment. Et je le voulais, je le voulais vraiment. C’était au cœur de ma thérapie. Avec l’aide et le soutien de Stéphanie, je faisais énormément de séances traitant de ce problème. J’en ressortais toujours très ébranlée, mais soulagée, avec le sentiment d’avancer dans la bonne direction. Stéphanie était extraordinaire dans cette démarche. Elle me donnait des explications concrètes, avec des mots simples, tout en plaçant l’addiction dans un contexte plus complexe, la psyché et ses méandres. Elle savait nommer mes émotions lors de ces « craquages ». Elle les analysait à postériori, les disséquant à la loupe pour les solutionner.

Stéphanie m’encourageait à écrire, à partager mes expériences, à me servir de ma plume pour évacuer le trop-plein. Le principal était d’extérioriser, de ne pas garder ça pour moi. Elle me proposait aussi des alternatives. Par exemple, je pouvais l’appeler si besoin, ne serait-ce que pour lui laisser un message si elle n’était pas disponible. J’y eus rarement recours mais, lorsque j’osais, cela me faisait du bien. Faire appel à quelqu’un était nouveau et déstabilisant pour moi, tant j’avais pris l’habitude de me débrouiller seule. J’appréciais de la savoir si impliquée dans mon processus de guérison. Elle représentait un filet de sécurité, rassurante et aidante. Comme Marianne autrefois, elle me prenait par la main, pour me soulager de ce mal que je trainais depuis presque 25 ans. Elle était optimiste pour deux. Je me sentais épaulée pour affronter cela. J’avais l’impression qu’elle comprenait vraiment ce que je vivais, ce qui ne m’étais jamais arrivée avec d’autres thérapeutes jusqu’à présent.

Pour autant, malgré la réduction considérable de la fréquence des compulsions, malgré l’affaiblissement de l’emprise qu’elles avaient sur moi, je ne parvenais toujours pas à y mettre un terme. Cela me désespérait.

Il suffisait d’arrêter, qu’ils disaient. Oui... s’il suffisait... comme dirait Céline Dion.

Mais je n’y arrivais pas.

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