Chapitre 123 : Mathias

7 minutes de lecture

Pour notre première rencontre, Mathias ne lésina pas sur les moyens.

Il arriva à l’heure, un bouquet de fleurs à la main. Lorsque je le découvris en ouvrant la porte, je le trouvai très séduisant. Il avait revêtu un jean près du corps, un polo et des boots lacées. Ce style décontracté mettait son corps d’athlète en valeur. Son visage rayonnant arborait un large sourire et des yeux bruns pétillants. Sa peau mate s’harmonisait avec sa chevelure foncée, presque entièrement dépourvus de cheveux blancs. Qu’il s’agisse de sa carrure dessinée ou de son visage d’apparence juvénile, il portait très bien sa quarantaine passée.

Comme convenu, il était venu me chercher à mon domicile. Pour le reste, je ne savais rien de notre soirée, encore tenue secrète. Ambitieux, Mathias m’avait demandé de booker mon week-end entier pour me faire une surprise.

— J’espère que vous n’escomptez pas me garder pour la nuit, avais-je précisé, en amont.

— Assurément pas. Je vous raccompagnerai chez vous le soir et repasserai le lendemain pour la suite...

L’organisation lui étant dévolue, je me laissai conduire, confiante, presque les yeux fermés. La fin de journée était superbe, chaude et encore ensoleillée. Nous marchâmes le long des quais de la Loire, très animés aux beaux jours. La discussion tourna principalement autour de mon activité, que Mathias vivait déjà très mal. Il avait paru blessé la veille, lorsque je lui avais annoncé, à vingt heures, avoir fini « ma journée de travail ». Exceptionnellement, j’avais fait deux clients ce jour-là. Le premier m’avait d’ailleurs perturbée, mais pas d’une agréable manière. Au cours du rapport, le jeune homme m’avait paru étrange, comme étonné du déroulé de l’acte sexuel. Je l’avais interrogé :

— Il y a un problème ?

— Non, non.

— Ben, si, dîtes-moi, je vois bien qu’il y a un souci, vous n’avez pas l’air très à l’aise...

— Non, non, je vous assure, ce que vous faîtes est très bien. C’est juste... que je suis puceau.

Je l’avais dévisagé avec de grands yeux, surprise. Il affichait plus d’une vingtaine d’années au compteur et n’était pas si repoussant, même s’il était loin d’être une gravure de mode. J’étais encore à califourchon sur lui et je ne savais pas si je devais continuer.

— Pourquoi ne pas me l’avoir dit ?

— J’avais peur que vous refusiez de me recevoir...

Effectivement, j’aurais pu réagir ainsi. À quarante ans passés, je n’avais plus du tout envie d’être ce genre de femmes que j’avais été à l’adolescence, celles qui dépucellent les hommes comme si elles amassaient des trophées. Étant donné qu’il était déjà en moi, il s’avérait impossible de faire machine arrière. J’avais donc terminé ma mission, à contrecœur.

Quoi qu’il en soit, ce vendredi soir, lors de ma discussion avec Mathias, j’avais compris que ce dernier n’accepterait jamais mon métier. Je lui avais donc proposé de tout annuler. Après tout, il était encore temps et ce n’était pas la peine de perdre le nôtre. Mais il avait insisté pour maintenir notre rencard, en dépit de cette difficulté.

À présent que nous déambulions entre les passants affairés, ce sujet sensible revenait sur le tapis et j’en étais légèrement agacée :

— J’entends tout à fait que mon job vous fasse fuir, mais je ne peux aller plus vite que la musique et tout abandonner du jour au lendemain. J’ai une gamine à nourrir. Mais ne vous inquiétez pas, si vous ne désirez pas aller plus loin, je le comprendrais sans problème. Vous êtes libre. Je sais qu’aucun homme digne de ce nom ne pourra accepter ma situation.

— Pourquoi vous êtes-vous inscrite sur un site de rencontres, alors ?

Je soupirai. Accoudée à la balustrade, je gardai les yeux rivés sur la Loire, agitée de soubresauts laissés par le passage d’un bateau de tourisme. Puis, je repris :

— J’espérais un miracle, j’imagine. Un homme qui puisse faire abstraction de ça et me voir telle que je suis réellement. Comme tous les êtres humains, j’ai de la valeur. Je ne me résume pas seulement à mon activité, je suis bien plus que ça.

Je ne savais pas si mon discours serait compris de mon prétendant mais, arrivée à ce stade, cela ne relevait plus de mon fait. Et puisqu’il pointait du doigt mes incohérences, je n’hésitai pas à en faire autant avec les siennes.

— Et vous, pourquoi avoir maintenu ce rendez-vous alors que vous saviez ce que je faisais ?

— Je ne sais pas... Je vous l’ai dit, vous m’avez troublé. Je voulais vraiment vous rencontrer et apprendre à vous connaître. Je me suis dit qu’en me voyant, vous alliez peut-être avoir envie de changer de carrière.

J’éclatais de rire face à tant d’aplomb. Au moins, celui-là, s’il était impressionné, il ne se démontait pas. À l’oreille de toute autre femme, de tels propos auraient pu paraître pleins d’arrogance. Pas aux miennes. J’admirais son côté combattif, prêt à relever n’importe quel défi.

Il me fit un sourire en coin et regarda son portable :

— C’est bientôt l’heure. On doit y aller.

Je le suivis sans mot dire. Comme je ne savais toujours pas où on allait, il s’apprêta à passer son bras derrière mon dos pour me diriger à travers la foule bigarrée. Après un temps d’arrêt, il me demanda d’abord l’autorisation. Je la lui donnai.

À 21h, je me retrouvai assise à ses côtés dans le « théâtre 100 noms », sur le quai des Antilles, un endroit prisé de la vie nocturne nantaise. L’ambiance tamisée de la salle nous permit de nous rapprocher légèrement. Une première barrière tomba quand je lui suggérai d’abandonner le vouvoiement. Une deuxième lorsque je lui saisis la main. Tandis qu’il entrelaçait ses doigts aux miens, je perçus toute la puissance qui en émanait. C’était un excellent point. Comme je l’ai déjà indiqué, j’attendais un homme fort pour m’accompagner dans mes projets et j’avais la certitude d’avoir trouvé le bon.

Au sortir de la pièce de théâtre, il me proposa de dîner. Je déclinai. Complètement sous son charme, j’avais l’estomac encore noué et aucun appétit. Il en allait de même pour lui. Nous passâmes donc le reste de la soirée à déambuler dans les rues de la ville, de plus en plus désertées au fur et à mesure que la nuit tombait. Il me raccompagna chez moi vers deux heures du matin, avant de me quitter chastement, sans échanger un baiser. J’appréciais cette retenue et espérais qu’elle durerait le plus longtemps possible.

Le lendemain matin, vers dix heures, il revint me chercher pour m’emmener dans un autre endroit secret, pour le déjeuner. Après une demi-heure de voiture, je me retrouvai dans le vignoble nantais, à la terrasse d’un restaurant en plein air, possédant une vue magnifique sur la Sèvre. Avant de prendre place à notre table réservée, il alla nous chercher deux rafraîchissements. Je m’installai dans un fauteuil, au bord de l’eau, admirant le cadre exceptionnel qui m’entourait. Mathias revint, les bras chargés d’un plateau. Son attitude chevaleresque me séduisait. Je ne sais pas si ses origines anglaises y étaient pour quelque chose, mais c’était un vrai gentleman, comme je n’en avais jamais connu. C’était la première fois de toute ma vie qu’un homme me gâtait autant.

Une fois le repas gastronomique terminé, il me proposa une balade champêtre. Nous nous dirigeâmes main dans la main vers la rivière. Elle serpentait calmement dans ce décor bucolique. De grosses pierres légèrement espacées la traversaient de part en part. Lorsqu’il me suggéra d’aller sur l’autre rive, je déclinai, de peur de finir à la baille. Je portais un short en jean et des sandales plates, glissantes. Une tenue estivale appropriée aux lieux mais pas la plus adaptée pour sauter sur les rochers. Il grimpa sur l’un d’entre eux et me tendit la main, en me promettant de ne pas me lâcher. Après un bref instant d’hésitation, je l’attrapai et me laissai guider sur ce pont improvisé. Tout se déroulait bien. Chaque fois que je me sentais en insécurité, Mathias renforçait sa poigne, sans jamais m’écraser les doigts. Sa force était impressionnante, je la sentis à travers son bras musclé.

Arrivée au bout, je pivotai en arrière pour admirer le chemin parcouru. Grâce à mon chevalier servant, tout s’était fait sans encombre. Je le remerciai de m’avoir protégée et il me sourit, heureux de m’avoir prouvé qu’il avait été là, comme il me l’avait promis.

Dans ce paysage poétique, tout paraissait à sa place. Le romantisme vibrait dans chaque nénuphar qui ondulait sur les flots, dans chaque espèce animale qui voguait autour de nous, mais également dans l’eau miroitante, dans la libellule vrombissante, ainsi que dans les arbres enchanteurs qui nous surplombaient. Il aurait été difficile de choisir un lieu plus inspirant pour un premier baiser. Mais Mathias se retint, le visage en face du mien. Je compris ses intentions. Il désirait me démontrer qu’il ne s’intéressait pas qu’à ça.

Il avait lu mon histoire et savait que mon corps, trop longtemps utilisé à mauvais escient, n’était pas au menu. J’avais été claire avec lui, lors de nos nombreuses discussions. Conscient de mon passé, il craignait à tout instant de se montrer trop cavalier. Alors il gardait ses distances, respectueusement, en veillant à ne pas être trop pressant ou entreprenant. Mon côté sauvage le remerciait intérieurement. Je voulais attendre le plus longtemps possible pour un quelconque rapprochement, afin d’agir différemment. Une nouvelle histoire prenait vie, j’avais envie de faire les choses bien. Et pour moi, cela passait par le fait de prendre son temps et de se découvrir d’une autre manière que physiquement.

En se montrant patient, Mathias marquait encore des points.

Lorsqu’il me ramena à mon domicile, j’avais déjà hâte de le revoir le mardi suivant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Argent Massif ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0