Chapitre 37 : Combler le vide

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Comme me l’avait enseignée Valentin, le sexe, à l’image de la nourriture, permettait illusoirement de combler mon vide intérieur. Même si quelque chose n’allait pas dans cette façon de procéder, je m’en accommodais. L’amour me faisait peur. J’avais appris au cours de mes quinze premières années de vie qu’aimer signifiait souffrir. Les gens nous rejetaient, nous abandonnaient, nous quittaient, mourraient. Les êtres humains ne me paraissaient ni fiables, ni rassurants. À l’inverse des sentiments qui déchiraient les cœurs fragiles, écarter les cuisses ne m’impliquait pas trop. Cela semblait le dérivatif idéal pour assouvir mes besoins affectifs.

On me comparait à un cœur d’artichaut, tombant régulièrement sous le charme d’un nouvel apollon, mais je me définissais plutôt comme un cœur de pierre. Je ne cherchais plus à nouer de relation longue durée. Dès que j’obtenais ce que je voulais, je me désintéressais de l’objet de ma convoitise.

J’ai enchaîné quelques histoires courtes. Chaque nouvelle aventure portait bien son nom. Séduire un homme s’apparentait à un jeu. Les mâles représentaient un défi passionnant à relever, un objectif motivant à atteindre ou une conquête supplémentaire à épingler à mon tableau de chasse. Je possédais un joli palmarès. Pour moi, les hommes sentaient davantage l’adrénaline que la testostérone.

Je n’envisageais plus le sexe comme une activité exclusive au sein d’une relation sentimentale, pas plus que je ne le considérais comme une réelle source de plaisir. Il traduisait plutôt un moyen d’échange que j’utilisais pour obtenir de l’attention, En quatre ans, j’étais passée d’adolescente romantique, qui attendait le bon pour perdre sa virginité, à une jeune fille peu farouche qui couchait systématiquement le premier soir, la plupart du temps avec des quasi inconnu. Des interdits étaient tombés. Il m’arrivait de tromper. Une fois, j’ai enchainé deux hommes dans la même journée. Lors d’un week-end en Mayenne, chez une copine de classe, originaire du Mans, j’ai emballé trois garçons différents en trois jours, parmi lesquels se trouvaient deux de ses amis. Au petit-déjeuner, elle les avait tous les deux conviés à nous rejoindre, inconsciente de ma performance de la veille, en boîte de nuit. Je me suis installée à table à côté du premier, souriante, lorsque j’ai vu arriver le second. Malaise.

Dans la radio où je travaillais en tant que bénévole, quand on me charriait à propos de ma sexualité libérée, je brandissais mon drapeau de féministe. Une part de moi, à l’image des personnages de la série « Sex and the city », assumait et revendiquait cette image encore controversée, me targuant de faire ce que je voulais, quand je voulais, avec qui je voulais. L’autre part, plus sensible, continuait à rêver au prince charmant, celui qui, d’un coup de baguette magique, me ramènerait à la raison et réparerait tout ce qui avait été brisé. Cet amour idéalisé, fantasmé, qu’on ne trouvait que dans les contes de fées, me paraissait être le seul moyen de me sauver.

J’oscillais entre ces deux extrêmes, comme si je refusais toute forme d’équilibre. Être écartelée ainsi s’avérait pourtant inconfortable. J’avais beau être Gémeaux, habituée à me mouvoir entre deux personnalités aux antipodes, ce dédoublement me donnait surtout le sentiment de vivre dans la confusion, de ne plus savoir qui j’étais, ni ce que je voulais réellement.

Je n’allais pas bien, mais je proclamais le contraire. Mon médecin me conseillait souvent de reprendre un suivi psychologique régulier, mais je m’en offusquais. Les thérapies n’avaient jusque-là pas fonctionné, pourquoi une nouvelle tentative donnerait-elle de meilleurs résultats ? Je ne croyais pas que les choses puissent s’arranger pour moi. À seulement vingt-et-un ans, mon discours intérieur reflétait les pensées d’une femme déjà désabusée. Je ne sais pas si je l’étais vraiment, mais à l’approche de la période estivale, je ne cultivais pas d’autre ambition que celle d’espérer un miracle.

Mon stage à la radio terminé, j’ai laissé l’amour et le sexe un temps de côté. Je venais de terminer les dernières épreuves de mes examens. Je savais déjà que j’allais obtenir mon diplôme, mais je pensais que ce dernier ne me servirait à rien. Tandis que certains camarades de classe se préparaient à intégrer de grandes écoles, en France ou à l’étranger, je ne désirais pas poursuivre des études, à mes yeux, inutiles. Durant mon BTS, j’avais un temps envisagé de rentrer en licence à la fac, mais à force d’entendre dire que les diplômes ne valaient plus rien sur le marché de l’emploi, j’y ai renoncé.

En ce mois de juin 2003, qui annonçait déjà un été caniculaire, je me retrouvais donc seule à cogiter à propos du néant de mon existence. Plutôt que d’étouffer sous les températures brûlantes, je restais à l’ombre, dans ma chambre. Là, dans la langueur des journées à rallonge et des nuits écourtées, je me suis mise à lire et à écrire. Et je me suis aperçue qu’au même titre que la nourriture ou le sexe, les mots comblaient le vide.

Je lisais et écrivais beaucoup depuis mon plus jeune âge. Enfant, je répétais à ma meilleure amie, Solène, qu’un jour, je publierai un livre. J’avais dessiné une petite BD et je possédais des journaux intimes munis d’un petit cadenas et remplis à moitié. Lors de mon hospitalisation à Saint Jacques, j’avais régulièrement noirci des pages de cahiers d’écolier à grands carreaux, ceux qui ne me servaient plus puisque je n’avais plus de devoirs d’école. J’y racontais ma vie, ses hauts et ses bas, mais j’inventais aussi des histoires d’amour inspirées par les films qui avaient bercé mon enfance : Nadia, le biopic de la gymnaste olympique roumaine Nadia Comaneci, elle aussi boulimique ; Dirty Dancing, qui sentait bon la rébellion adolescente d’une jeune fille de bonne famille voulant s’encanailler ; Le lagon bleu, qui avait révélé la sublime Brooke Shields en naufragée mi-nymphe, mi-naïade ; et enfin, Pretty Woman, sorti en 1990, l’année de mes huit ans, qui nous montrait la prostitution sous un jour tellement glamour. Viviane n’avait-elle pas trouvé son Prince Charmant un soir où elle faisait le trottoir ?

J’avais également grandi avec la série Docteur Quinn, Femme médecin, dans laquelle des femmes prostituées gagnaient leur rédemption en même temps que le respect d’autrui. Je m’étais enflammée devant Roméo + Juliette où l’amour rimait avec tragédie et devant Titanic qui nous apprenait qu’à tout moment, nous pouvions décider de changer de trajectoire. Ces destins originaux, inoubliables, aussi sulfureux que fascinants, m’avaient abreuvée de belles images romantiques, dans lesquelles je parvenais à m’identifier et grâce auxquelles je réussissais à me projeter dans le futur malgré un avenir incertain. Ils avaient tissé dans mon esprit un canevas d’idéaux avec lesquels je construisais ma vie intérieure, plus riche que celle que j’expérimentais en réalité. Grâce aux vertus curatives des romances dramatiques ou à l’eau de rose, je déambulais dans l’existence, les pieds sur terre mais la tête dans les étoiles.

À l’école primaire comme au collège, j’avais toujours obtenu d’excellentes notes en français, particulièrement en rédaction. Au lycée, je me lançais sans problème dans les dissertations, ne prenant jamais la peine de lire les études de textes avec questions. Voilà pourquoi, après le lycée, je m’étais tournée dans des études de communication. J’aimais parler, raconter, rédiger. Je savais qu’on pouvait en faire un métier mais, bien sûr, élevée entre le milieu agricole où j’avais poussé du côté de ma mère et celui, plus prolétaire et ouvrier, d’où provenait mon père, cela m’apparaissait à ce moment-là aussi envisageable que de devenir présidente. Il fallait redescendre sur terre.

Une fille de la classe moyenne ne devenait pas écrivain.


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