Chapitre 52 : Découvertes

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Comme ma toute première patronne, Axelle trouvait que je bossais bien et ce, malgré mes passages à vide. Je bossais apparemment tellement bien que ma collègue Mona commença à s’en plaindre, au prétexte que depuis mon arrivée au bar, je lui avais ravi une trop grande partie de sa clientèle d’habitués. Je découvris alors que la sororité avait ses limites. Un jour, en démarrant mon service, ma patronne m’annonça la démission de Mona. La veille, cette dernière avait posé un ultimatum à Axelle, exigeant que je dégage pour ne plus lui faire de l’ombre. Bien que plus ancienne et expérimentée que moi, Mona n’obtint pas gain de cause. Axelle ne céda pas au chantage et m’offrit sa place. Ce n’était pas tellement un cadeau car ma collègue travaillait beaucoup plus que moi, assurant les après-midis et les soirées, soit onze d’affilée, jour après jour, cinq fois par semaine. Je n’avais jamais voulu travailler autant. La fainéante qui sommeillait en moi s’insurgea intérieurement : « Bosser plus ? Même pas en rêve ! »

Mais je n’avais pas vraiment le choix. J’adorais Axelle et lui faire plaisir me tenait à cœur. Lorsqu’elle me préféra à Mona, sa confiance m’honora. La part de moi qui se sentait redevable ne voulait pas la décevoir ou la laisser dans la merde. Alors, à contrecœur, j’acceptai de récupérer les horaires de la démissionnaire et de la remplacer au pied levé. Je négociai de ne pas assurer toutes les soirées, ce qui fut accepté. C’est en effet la fille d’Axelle qui allait prendre le relais. À deux, nous allions nous répartir le planning de la déserteuse.

J’étais désormais présente tous les après-midis de semaine, de quinze à vingt heures, plus quelques soirées. Dans la foulée, je cessai définitivement de faire des missions dévènementiel qui, bien que très bien rémunérées pour un job d’appoint, restaient toujours moins lucratives que mon boulot de prostituée-qui-ne-portait-pas-son-nom. Une nouvelle page se tournait en abandonnant les dernières bribes d’une vie normale.

Je découvris une nouvelle facette du bar, encore plus déprimante, si cela était possible. L’ambiance des après-midis était très différente de celle des soirées. Lorsqu’on ouvrait l’établissement, l’agitation de la rue contrastait avec le calme à l’intérieur des lieux. L’odeur de cigarette froide nous accueillait, tenace et repoussante, accompagnée de celle de la sueur qui semblait imprégner les tissus des rideaux, des fauteuils et des canapés. Les cadavres des bouteilles entassées dans le sac poubelle s’amoncelaient dans l’entrée, prêts à partir à la benne, aussitôt remplacés par de nouvelles boissons, encore sous scellées, qu’Axelle déchargeait directement de son coffre. Le réfrigérateur était rempli de Champomy, cette saleté à bulles dont je frôlais l’overdose et qui avait l’inconvénient de me donner des maux de ventre à force d’en siroter des litres.

Les premiers clients se pointaient dès l’ouverture, frais et pimpants, nous laissant à peine le temps de nous changer ou de nettoyer les traces des festivités de la veille. Dans les recoins de la pièce gisaient encore quelques reliquats douteux. En m’adonnant à un ménage succinct, je retrouvais de temps à autres, derrière les meubles ou sous les tapis, des capotes usagées réemballées, des mégots de cigarettes ou des mouchoirs sales à jeter d’urgence. Il m’arrivait aussi de mettre la main sur des sous-vêtements, de l’argent oublié, ou des portefeuilles tombés de la poche des clients. Des effets personnels que certains ne prenaient même pas le temps ou la peine de venir récupérer. Je supposai les raisons multiples : soit ils ne se rappelaient plus où ils avaient mis les pieds la veille, soit ils avaient trop honte pour se pointer et réclamer ce qui leur appartenaient, soit ils avaient déjà quitté la ville, seulement de passage dans notre belle région.

Je fis connaissance avec une nouvelle clientèle, qui avait ses bons et ses mauvais côtés. Une des principales caractéristiques des michetons de l’après-midi était leur propreté. En tout cas, ils paraissaient souvent plus propres que les travailleurs que nous accueillions le soir, qui, à défaut de sortir tout juste de leur douche, débarquaient directement de leur boulot, serviette en cuir et auréoles jaunes sous les bras. À l’époque où j’exerçais uniquement après vingt heures, il arrivait même que les clients soient franchement dégueulasses. Autant les odeurs de sueurs rances de fin de journée ne me perturbaient pas outre mesure, autant j’avais quand même beaucoup de mal à ne pas avoir envie de dégobiller quand il s’agissait de leur service trois pièces mal lavé. Dieu merci, nous possédions des toilettes avec un lavabo et j’avais pris l’habitude de les y expédier dans le cas où ils demandaient une flûte.

— Et décalotte bien, hein, de toute façon, je m’en rendrai compte !

Les clients de l’après-midi n’appartenaient donc pas à cette catégorie. Ils arrivaient pomponnés, rasés de près et sentaient bon l’after-shave ou l’eau de Cologne. En plus de bien se présenter, c’étaient des clients fidèles. Vivant la plupart du temps à proximité, ils revenaient régulièrement, au moins une fois par semaine, voire davantage. Souvent retraités, ils appréciaient d’occuper leurs interminables après-midis de solitude à me tenir la grappe en m’offrant des coupes, jusqu’à l’épuisement total de ma patience et de mon capital sympathie. Je m’ennuyais tellement à les écouter déblatérer de tout et de rien qu’il m’arrivait de bailler aux corneilles et d’avoir du mal à garder les yeux ouverts. Mon coude manquait alors de justesse de riper sur le rebord du comptoir.

Heureusement, en sus de ces vieux esseulés et intarissables, il y avait les hommes mariés, mes clients préférés. C’était principalement grâce à eux que je faisais mes bouteilles, et que mon chiffre d’affaires se maintint au beau fixe. Également souvent retraités, ils ne pouvaient tromper leur femme qu’en journée, lorsque cette dernière allait chez le coiffeur ou faisait ses courses au supermarché du coin. Ils avaient alors un chronomètre dans le cul. Comme ces clients spécifiques restaient moins longtemps sur place, nous écourtions les discussions en bas pour aller droit à l’essentiel, c’est-à-dire, directement à l’étage.

Là, à la lumière du jour qui nous parvenait des grandes fenêtres de cette vieille bâtisse qui servait d’écrin au bar, je me faisais retourner rapidement contre le dossier d’un canapé, sur l’accoudoir d’un fauteuil ou debout contre un mur. L’avantage indéniable de ces hommes pressés résidait dans le fait que les quarante-cinq minutes réglementaires de la bouteille était déjà de trop pour eux. De plus, comme ils arrivaient en manque et super excités, ils jouissaient vite. Les rendez-vous s’en trouvaient forcément raccourcis. Je n’allais pas m’en plaindre. Qu’il était agréable de pouvoir expédier les salons tout en empochant la même somme !

Maintenant que mon nouvel emploi du temps requérait davantage ma présence au bar, je redoutais les périodes où j’avais mes règles. C’était un peu comme être au chômage technique pendant cinq jours. Je devais gentiment repousser les caresses sur ma poitrine trop sensible, ou décliner certaines propositions d’extras à l’étage, comme le cunni. Mon rôle se résumait alors à combler ces messieurs, soit par une fellation, soit par une masturbation. Même si j’assouvissais leurs pulsions primaires, les clients en concevaient souvent de la frustration. Et je découvris qu’ils n’étaient pas les seuls à ressentir cela. Je me sentais frustrée également. Une révélation loin d’être anodine... Car je me rendis compte, presque par accident, que je pouvais prendre mon pied avec un homme.

Je fus la première étonnée de réaliser que les clients n’exigeaient pas toujours de rapports au salon. Les raisons, diverses et variées, allaient de la simple défaillance technique à la culpabilité vis-à-vis de leur épouse. Contrairement à ce que l’on peut penser, « se vider les couilles » n’était donc pas systématiquement leur priorité. À la place, ils désiraient plutôt me lécher, me doigter ou s’occuper de mes seins. Avec pour objectif, secret ou dévoilé, de me faire jouir. Bien que sceptique quant à la démarche au début, je les autorisais à agir comme bon leur semblait et, à ma grande surprise, leurs techniques se révélèrent efficaces. Ainsi, sur mon lieu de travail, j’étais de plus en plus encline à ce que l’on s’occupe de moi. En cela, j’expérimentais quelque chose d’inédit par rapport à mes relations intimes puisque, dans le cadre privé, je n’avais jamais d’orgasme. Ici, les rôles étaient inversés. Les hommes réclamaient de me satisfaire. Ils y consacraient du temps, de l’énergie et de la volonté.

Plus les mois passaient et plus je me prenais à ce jeu et m’habituais à recevoir davantage d’attentions que je n’en donnais. Avec une facilité déconcertante, progressivement, je m’abandonnais sous les mains et les bouches d’inconnus. Être payée pour jouir m’apparaissait comme une véritable aubaine. Je mesurais ma chance et n’allais certainement pas m’en priver. Je ne prenais pas mon pied à chaque fois, mais certains hommes, en particulier ceux d’âge mûr, avaient la particularité de savoir très bien se débrouiller.

De nouvelles connexions physiques, émotionnelles et intellectuelles s’infiltraient en moi à propos de ma sexualité.

Client = plaisir.

Amoureux = frustration.

Ces découvertes firent germer de nouvelles idées dans mon esprit. Il n’est pas difficile d’imaginer où cela allait me mener...

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