Chapitre 56 : Le coach

6 minutes de lecture

Malgré mes efforts et ma bonne volonté, je n’ai donc pas été l'épouse idéale. J’avais trop de démons en moi pour me transformer du tout au tout. J’avais d’autant plus de mal à conserver mes bonnes intentions que mon nouvel époux n’était pas un parangon de vertu non plus. Depuis notre union, son attitude m’apparaissait de plus en plus comme celle d’un propriétaire de bétail que d’un mari. Il avait tendance à mettre des vetos sur mon style vestimentaire ou sur mes sorties, comme si je lui appartenais. Il avait un avis sur mes fréquentations, ou grinçait des dents lorsque j’évoquais mes amitiés masculines. Quand je décrochais le téléphone, sa première phrase était souvent : « T’étais où ? » Plus il serrait la vis, plus j’avais envie de m’extirper de ce carcan qu’il était en train de tisser autour de moi. Je comprenais sa position et ses peurs mais un malaise grandissait en moi. Mon espace de liberté prenait du plomb dans l’aile au fil des mois et j’avais le sentiment de m’enliser dans un sable mouvant.

Pourtant, en dépit de sa nature autoritaire qui m’exaspérait, je tenais à lui et ne voulais pas le quitter. J’avais autant besoin de sa présence dans ma vie que lui de la mienne. J’avais besoin de son amour, de son attention, de sa tendresse. Autour de moi, il me semblait être le seul disposé à m’en offrir sans réserve. En effet, en apprenant ma liaison avec un détenu reconnu coupable d’avoir orchestré l’agression d’un homme, ma mère avait coupé les ponts avec moi. Je ne la voyais plus depuis des mois et ne l’avais même pas tenue au courant de mon mariage. À quoi bon ? Ce n’était qu’un mariage religieux après tout. Pour ma mère, comme pour beaucoup d’autres, ce type d’union ne valait rien. À ma grande surprise, malgré tous les griefs que je nourrissais encore contre elle, son silence et son rejet créèrent un vide immense que toute mes crises de boulimie ne parvenaient à combler. J’étais dans une ambivalence perpétuelle avec elle, entre la haine que je lui vouais toujours et l’amour inconditionnel que je recherchais inconsciemment. Et là encore, il n’y avait pas d’équilibre.

Malgré son attitude un peu trop possessive à mon goût, mon compagnon avait des qualités qui faisaient toute mon admiration et je m’accrochais à lui pour cela. S’il ne me comblait pas sexuellement (mais je rappelle qu’aucun de mes partenaires ne l’avait fait), il m’apportait beaucoup à d’autres niveaux. Il me complimentait et me valorisait. Grâce à lui, j’avais une meilleure estime de moi-même. Il s’intéressait à ma vie et m’écoutait lorsque je lui confiais mes angoisses ou mes problèmes, pour lesquels il m’aidait à chercher activement des solutions. Je me sentis enfin importante aux yeux de quelqu’un. Il m’encourageait lorsque cela n’allait pas. Et cela n’allait pas de plus en plus souvent depuis que l’argent ne coulait plus à flot dans mon escarcelle. Mes passages à vide étaient récurrents, même si j’essayais de les lui cacher. Après tout ce temps à passer sous silence mon métier « honteux », je ne voulais pas lui révéler les véritables raisons de mon changement d’humeur. De plus, je ne désirais pas l’accabler davantage après la confirmation de sa peine. Comme il était clairvoyant, il n’avait aucune difficulté à percevoir mes hauts et mes bas. Alors il me boostait. Et il avait beau être à des centaines de kilomètres de moi, cela fonctionnait.

Cet homme était pour moi une source constante d’inspiration. Je n’avais jamais rencontré une personne aussi solide que lui. Certes, physiquement, il dégageait évidemment beaucoup de puissance, avec son mètre quatre-vingt-trois et sa carrure développée et entretenue à la salle de sport. Cependant, ce qui m’impressionnait davantage, c’était son état d’esprit. Le mec était un roc, indestructible. Cela faisait sept ans maintenant qu’il était en cabane. Et pourtant, quand j’allais le voir, ou qu’il m’appelait, il me remontait le moral. Et pas que le mien. De là où il était, il portait à bout de bras sa famille, celle-là même qui avait explosé suite à son incarcération. Le principal objectif de ses coups de fil était de s’assurer que nous allions bien. Si tel n’était pas le cas, il usait de toute son énergie pour nous consoler ou nous faire rire à distance. L’humour était sa technique pour tout dédramatiser. Sa voix nous parvenait toujours enjouée à l’autre bout du téléphone. Malgré sa condition difficile, il conservait sa bonne humeur et son appétit de vivre et nous les communiquait avec beaucoup de générosité. Il ne baissait jamais les bras. Abandonner n’était pas une option. Son volontarisme était contagieux.

Si moi j’étais forte, lui c’était Hulk. J’appris énormément à ses côtés. Partager son quotidien était riche d’enseignements. Avant tous mes gourous du développement personnel, mon détenu fut mon premier maître à penser. La pensée positive coulait en lui. Il me démontrait constamment que nous avions tous la capacité de décider pour nous-même de notre état d’esprit. Développer un mental d’acier, faire preuve de courage et de ténacité, cela se décidait avant tout avec sa tête. C’était un choix et nous en avions tous les moyens.

Depuis son incarcération, on ne lui avait pas fait de cadeaux. Parce qu’il m’en avait parlé à quelques reprises, je savais qu’on l’avait battu, humilié, rabaissé et menacé, entre autres, afin de le détruire. Il avait été envoyé un nombre incalculable de fois au mitard, la prison dans la prison, le pire du pire. Une cellule avec une planche pour dormir et un W.C. On lui avait fait sauter des parloirs, on l’avait éloigné géographiquement des siens, et pourtant, pourtant, il avait tout encaissé sans presque broncher. Certes, ce n’était pas Guantanamo non plus, mais son optimisme m’impressionnait. Il conservait la tête haute et les idées claires. Il n’était pas question pour lui de retourner à la vraie vie sur les rotules, esquinté ou détruit. À chaque nouvelle épreuve, il s’était endurci et s’était relevé en gardant à l’esprit que sa libération était au bout du tunnel. L’appel l’avait déçu mais il était remonté sur son cheval aussitôt. Il prévoyait désormais de reprendre ses études, de travailler et de se tenir à carreaux pour que sa conditionnelle arrive le plus vite possible. Depuis son transfert à la maison centrale de l’île de Ré, il avait planifié à quoi ressembleraient ses prochaines années de détention comme un athlète de haut niveau. Il se préparait à sa sortie comme un marathonien s’entraîne pour une compétition, physiquement et mentalement. Il n’entrevoyait que la victoire, jamais l’échec.

J’appréciais énormément ce trait de caractère. Si j’étais sa bouffée d’oxygène dans un quotidien difficile, lui aussi me faisait un bien fou. J’avais beau être dehors, sans les entraves auxquelles il était soumis, je vivais dans ma propre cellule de détention. Mon passé, mes croyances, mon addiction, tout me donnait l’impression d’être aussi prisonnière que lui. Or, à sa façon de lutter pour ne pas se laisser engloutir, il me rappelait sans cesse que j’avais la possibilité d’y arriver moi aussi. Il me permit de nourrir l’espoir qu’un jour, je pourrais également me libérer de la prison intérieure dans laquelle j’étais enfermée.

En cela, je lui serai toujours infiniment reconnaissante. Il a été un de mes premiers modèles et un moteur puissant dans mon évolution. Il était devenu mon coach, exactement ce dont j’avais besoin à cette époque. Moi qui demandais tout le temps à mon frère de me guider, je suis sûre et certaine que cette rencontre était sa réponse. Cela faisait sens désormais. Des personnalités comme lui, cela ne courait pas les rues et j'avais beaucoup de chance de croiser son chemin. Nous nous apportions beaucoup mutuellement.

Malheureusement, en dépit de toutes ses nombreuses qualités, notre histoire d’amour dans ce contexte me semblait de plus en plus vouée à l’échec. Après quatre années passées à vivre cette vie hors-norme, une certaine usure commençait à se fait sentir et à avoir raison de moi. Notre histoire me donnait parfois l’impression de ne tenir qu’à un fil. Et cela fut finalement le cas, car, en une phrase, tout vola en éclats...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire Argent Massif ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0