Chapitre 62 : Modus operandi, partie II (Bénédiction)

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Après avoir encaissé la somme convenue, j’indiquai à Fabrice un endroit où poser ses affaires, et l’invitai à se déshabiller. Puis j’ajoutai :

— Je reviens de suite. Désirez-vous boire quelque chose ?

Comme il faisait chaud, il accepta un verre d’eau fraîche et, dans la foulée, commença à faire voler ses fringues avec un ravissement palpable. Du coin de l’œil, avant de quitter la pièce, je l’observais, amusée. Dans combien de lieux obtenait-on si facilement qu’une personne se dévêtisse intégralement sans la moindre hésitation ? Même chez le médecin, les patients gardaient leur slip. Mais, ici, commandé par ses pulsions primaires, le client obtempéra sans rechigner. Lorsque je revins dans la chambre, je m’aperçus que dans son empressement, il avait jeté ses fringues au sol plutôt que sur la chaise. Il se retrouva debout face à moi, nu comme un ver, le sexe au repos pendant lamentablement entre ses cuisses. Dans cette posture, il avait l’air légèrement mal à l’aise et complètement ridicule. J’avais le sentiment que je pouvais en faire ce que je voulais, qu’il allait devenir ma chose et que c’était exactement ce qu’il attendait.

Je lui servis le rafraîchissement et l’on discuta quelques minutes de plus. Souvent, l’été, je leur apportais un verre d’eau ou de jus de fruit si j’en avais. L’hiver, un café. Je considérais ce genre d’attentions comme le petit plus qui ferait la différence. Je ne connaissais pas le milieu de l’escorting ou des masseuses érotiques, ni n’avais réalisé d’études de marché avant de me lancer. Mais il m’apparaissait évident que ce moment de convivialité me démarquerait de mes concurrentes. En un sens, j’avais raison. Je découvris plus tard qu’on appelait cela du « social time » et que les michetons en raffolaient. À ce moment-là, je le faisais avant tout pour fidéliser ma clientèle, en pensant naïvement que les hommes allaient revenir grâce à mon service de qualité. J’avais oublié qu’à l’instar de JYT, la gent masculine était par nature assez infidèle et peu encline à garder la même personne indéfiniment.

D’ailleurs, mon premier client ne fit pas mentir cet a priori. Il était désormais allongé sur le ventre, le dos luisant d’huile parfumée. Je m’activais à lui détendre les muscles noués, lorsqu’il me parla un peu de sa situation familiale. Quand je lui demandai s’il était célibataire, il reconnut que ce n’était pas le cas. Je n’avais pas eu à lui tirer les vers du nez pour l’entendre m’avouer sa tromperie. Je visualisai soudain facilement le tableau. C’était un quinqua fatigué par la vie qui se faisait chier dans son quotidien et voulait s’encanailler, pendant que bobonne, des rouleaux dans les cheveux, était en train de se refaire une beauté chez le coiffeur en son absence. Il n’y avait pas de honte dans son discours, seulement quelques scrupules qui alimentaient une légère culpabilité à être là où il n’aurait pas dû. Un relent de tradition judéo-chrétienne encore trop prégnante.

Bien que très croyante, je ne portais aucun jugement envers lui. Je savais les êtres humains faillibles. J’avais moi-même trompé et trahi à de nombreuses reprises mes ex-partenaires alors qui étais-je pour lui jeter la pierre ? Je ressentais plutôt de l’empathie face à ce pauvre bougre et pour celle qui se faisait empapaouter à cause de moi. J’entrevoyais une certaine souffrance en lui, et en elle aussi, dans le portrait qu’il me fit de ce mariage malheureux et de sa vie qui l’était encore plus. Comment ne pas être dans la compassion face à quelqu’un qui en était réduit à payer pour recevoir de l’attention ? Il était gentil, poli et respectueux. Je n’avais aucune raison de penser du mal de lui. J’avais toujours eu une bonne image des hommes jusqu’à présent, je n’avais pas l’intention de changer mon fusil d’épaule. Certes, au bar, j’avais saturé de certains de leurs comportements pas toujours appropriés, mais pas au point de vouloir me venger ou les faire souffrir d’une manière ou une autre. Je ne détestais pas les hommes, au contraire.

Je désirais vraiment leur apporter un peu de douceur dans ce monde de brutes. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, en enfilant mon costume de putain, je voulais faire ressurgir la part de moi qui souhaitait se comporter comme une sainte. J’avais vraiment l’intention de prendre soin d’eux, de leur offrir un service de qualité qui leur permettrait d’oublier quelques instants leur vie de merde. Je voulais soigner quelque chose, même si je ne savais pas trop quoi. Bien sûr, je m’adonnais à cette activité avant tout pour l’argent, mais rien ne m’empêchait d’y mettre du sens et de profiter de ce moment pour les choyer. Vous ai-je déjà avoué que dans la vie mes modèles étaient Mère Teresa, Sœur Emmanuelle et l’Abbé Pierre ? Eh bien voilà ce que je me disais : chacun peut agir en ce sens à son petit niveau. Je n’allais pas faire du bénévolat, mais plutôt une forme d’humanitaire, et ce, par le biais du sexe. Certes, la méthode était pour le moins farfelue et originale, pour ne pas dire complètement décalée, mais ma volonté de soulager autrui était réelle. Je prenais à cœur cette mission que je m’étais attribuée.

En réalité, j’étais persuadée que Dieu lui-même me donnait son aval. Je ne pensais nullement ma démarche immorale. J’étais en paix avec ça, la conscience tranquille. Au même titre que le regard que je portais sur Fabrice était dénoué de jugements, j’étais ultra-tolérante vis-à-vis de moi-même. Si Dieu avait créé le monde tel qu’il était, et les hommes à son image, alors la prostitution faisait partie de ce qu’il autorisait. Je croyais au libre arbitre et à la miséricorde divine. Comment refuser de me lancer dans cette lucrative profession que Dieu lui-même nous avait permis d’exercer ? Je ne faisais de mal à personne, au contraire, j’étais là pour faire le bien. C’est armée de la conviction profonde que je bénéficiais de la bénédiction divine que je réalisais ma prestation.

Fabrice se laissa aller à d’autres confidences en même temps que ses membres tendus se relaxaient sous mes doigts agiles. Après le haut du corps, je m’attaquais au bas. J’étais à présent en train de lui badigeonner les jambes d’huile d’ylang-ylang. Depuis le début de la séance, il ressemblait à une frite MacCain. Pendant qu’il me racontait ses déboires sentimentaux, j’œuvrais consciencieusement derrière lui, assise juste à ses côtés. Je ne m’installai jamais à califourchon pour le massage, consciente que le poids de mon corps sur les fesses de la personne allait créer des tensions supplémentaires sur sa colonne vertébrale. Telle une experte, j’agissais avec autant de professionnalisme que possible, en commençant par des manœuvres d’approche, en surface. Plus il s’épanchait sur sa femme, sa frustration et les raisons qui l’avaient amené jusqu’à moi, plus j’enfonçais mes mains dans la chair de son dos noué pour le détendre.

Lorsque je vins à bout de mes questions, et que j’eus l’impression qu’il avait suffisamment vidé son sac, je le laissai tranquille pour profiter de l’instant. La musique douce et apaisante m’endormait légèrement et, malgré un réveil tardif, je me mis à bailler. Je notai pour moi-même : forcer sur le café avant de démarrer. Je devais veiller à ce que l’ambiance que j’avais créée pour les amadouer n’endorme pas aussi ma vigilance.

Fabrice m’interrogea à son tour, probablement gêné par le silence qui s’installait entre nous. Il me questionna avec la curiosité sincère de celui qui cherche à comprendre à qui il a affaire. Je ne pus m’empêcher de mettre en marche mon imagination fertile.

— Vous travaillez depuis longtemps ? me demanda-t-il avec intérêt.

— Oui, depuis quelques mois déjà.

— Vous faisiez quoi avant ?

— Je travaillais dans une boutique.

— Vous êtes célibataire ?

— Non, en couple depuis des années.

— Il est au courant ?

— Oui, il sait ce que je fais et cela ne lui pose aucun problème.

— Vous êtes libertins tous les deux ?

— Non, juste respectueux de ne pas emprisonner l’autre.

Mentir était une seconde nature chez moi et j’avais beaucoup plus de mal à dire la vérité qu’à improviser des bobards plus gros les uns que les autres. Je ne sais pas si l’on pouvait me qualifier de mythomane mais je vivais clairement dans une dimension parallèle, à l’opposé de celle que j’exposais aux gens. Plus les questions s’enchainaient, plus j’allais loin dans mes affabulations. Comme au bar, j’avais réponse à tout. Le client à moitié groggy hochait la tête en m’écoutant déblatérer la vie géniale que j’étais en train de m’inventer en live.

Comme il avait pris la seconde option, après le massage de son dos, je lui demandai de se retourner. Il bandait. À vue de nez, son sexe paraissait propre. Il affichait une taille moyenne, ce qui me rassura. Je ne risquais pas de souffrir durant la pénétration. De toute façon, après ce qu’il m’avait confié de son histoire, je tablais sur un éjaculateur précoce. Je repris mon massage en évitant soigneusement la zone érogène. Pour deux raisons. La première, car l’huile rendait les préservatifs perméables et glissants, donc inefficaces. La seconde, pour éviter de le faire jouir trop vite. Je percevais déjà une forte tension dans sa verge. Si je le touchais maintenant, il exploserait avant le coup d’envoi de la partie.

Je jetai un coup d’œil à l’horloge sur l’ordinateur. Nous en étions à la moitié du rendez-vous. La Mère Teresa qui sommeillait en moi s’obligea à ralentir. À 150 euros l’heure, Je pouvais quand même faire durer le plaisir...

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