Chapitre 77 : Les clients, partie I (L'art du cuni)

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Allongés sur mon divan de psy, heu, je veux dire, sur ma table de massage, mes clients parlaient. Ils parlaient, parlaient, parlaient. Pour certains, probablement restés muets pendant trop longtemps, cela tenait davantage de la diarrhée verbale que de la conversation mondaine. Ceux-là avaient un besoin urgent de se confier et je me trouvais toute disposée à les écouter. Tout en les relaxant, je m'improvisais thérapeute, et j’adorais ça. Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de fois où l’on m’a dit à la fin d’un rendez-vous :

— Vous êtes un peu psy, non ?

Je souriais en opinant du chef. Bien évidemment que je l’étais. Si mon coiffeur revendiquait souvent cette étiquette dans son salon-cabinet de consultation, je ne voyais pas pourquoi, moi, je ne pourrais pas en faire autant. Alors, dès qu’ils avaient retiré leurs vêtements, les hommes continuaient à se mettre à nu. Ravie, j’en apprenais toujours plus à chaque fois sur le fonctionnement de l’être humain. Je pus commencer à déchiffrer les comportements de mes clients et à en faire une cartographie assez réaliste, quoique seulement représentative de mon expérience personnelle. Je parle toujours en mon nom, pas à la place des autres.

Parmi les hommes mariés, un certain nombre m’expliquèrent très honnêtement les raisons de leur visite à mon domicile. Qu’ils soient encore amoureux de leur femme, ou non, la plupart se plaignaient des mêmes problèmes, dont l’un revenait systématiquement sur le devant de la scène : madame n’avait plus envie de faire l’amour. Je voyais deux causes à cet état de fait. La première, commune, portait un nom : les enfants. Une fois ceux-ci arrivés, le schéma semblait classique. Une distance physique et/ou émotionnelle s’installait dans le couple. La femme délaissait son partenaire pour se concentrer sur ses gamins, jonglant difficilement entre son rôle de mère (la vierge) et d’épouse (la putain). Ça, c’était leur théorie et il y avait sûrement du vrai. Mais je découvris qu’il y avait peut-être une autre explication, plus pratico-pratique.

En ayant des relations sexuelles avec mes clients frustrés, une seconde raison m’apparaissait plus clairement. Étonnamment, eux, n’avaient pas l’air au courant de ce dont il s’agissait. En réalité, beaucoup d’hommes en couple étaient incompétents au lit. Pas tous, heureusement. La preuve en était, j’avais de nombreux orgasmes avec certains d’entre eux. Mais pour un grand nombre, je constatais qu’ils ne savaient pas y faire. Je pouvais le remarquer de visu, lorsque nous étions en pleine action.

Je me mettais alors très bien à la place de Madame. Une femme insatisfaite, probablement une grande simulatrice dans mon genre, qui avait fait semblant durant des années, ne s’imaginait probablement pas déclarer du jour au lendemain à son partenaire : bon, dis donc, coco, le clitoris, je te présente ? Si personne n’avouait à monsieur qu'il était la victime de l’orchestration d’un simulacre de plaisir, il y avait peu de chance qu’il apprenne à faire mieux. Au fil des ans, la femme, toute amoureuse qu’elle soit, prenait alors ses distances, lassée de jouer un rôle. On ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Faire l’amour doit être bon. Si l’acte n’offre rien de plus qu’une partie de gymnastique, je comprends tout à fait qu’on s’en détourne. Ce n’est pas tant que l’épouse soit accaparée par ses enfants, c’est juste qu’elle y trouve plus de joie que dans sa relation conjugale. Lorsqu’un gâteau au chocolat est délicieux, on en reprend. Si le gâteau a l’air appétissant mais possède un goût de sciure de bois, je ne vois pas qui aurait envie de persister à en manger. On est parfois masochiste, mais pas à ce point-là.

De là, je pouvais déjà faire un premier classement et ranger mes clients dans deux catégories : les bons et les moins bons. Ceux qui savaient et ceux qui ne savaient pas. Je félicitais toujours les premiers et ne lésinais jamais sur les louanges. Pour les seconds, en revanche, ils allaient devoir prendre d’urgence une session de rattrapage. Je considérais qu’apprendre à ses ignorants comment procéder faisait entièrement partie de mes nouvelles attributions.

En plus de mes casquettes de masseuse érotique et de psy, il y en avait une troisième : celle de la maîtresse d’école... Malheureusement, comme j’ai pu le constater à l’époque du Covid lorsque j’ai eu ma fille à la maison, je n’avais rien de pédagogue et je m’impatientais rapidement. Mais malgré ces défauts, j’étais décidée à montrer à mes clients comment faire jouir une femme. Je choisissais toujours le moment du cuni pour donner mes précieuses leçons. J’attendais seulement de voir ce qu’ils me proposaient avant de leur sauter à la gorge, tous crocs dehors. Alors, une fois que je constatais les dégâts, j’intervenais :

— Hum... dîtes-moi... sauriez-vous s’il vous plaît me montrer mon clitoris avec votre doigt ?

En général, le mec avait passé quelques minutes à lécher l’ensemble des lèvres, d’une manière si investie que je me demandais toujours s’il me proposait un acte préliminaire ou une toilette intime. Cela me donnait souvent l’impression d’être léchouillée par un chien décidé à mon montrer toute sa joie lors de ce contact tant attendu. Pour un peu, il se serait mis à remuer la queue que cela ne m’aurait pas surprise. Mon test était révélateur. Voyant que l’homme en question visait rarement la bonne zone, je ciblais le problème. Alors, en essayant de garder mon calme (Dieu sait si cela m’énervait de constater ça au 21ème siècle !), je désignais le point magique.

— Ici. C’est ici que ça se passe, pas ailleurs. Vous pouvez lécher tout ce que voulez, si vous ne vous concentrez pas à un moment sur cet endroit, c’est peine perdue.

Le mec hochait la tête entre mes cuisses, étudiant consciencieux.

— Et surtout, en douceur. La stimulation doit être délicate et progressive. Commencez doucement par des effleurements du bout de la langue, puis augmentez tranquillement en puissance, jamais en force. Ça doit être intense mais pas brutal. Il faut qu’il y ait du rythme mais ce n’est pas la course non plus. Les femmes montent plus lentement que les hommes. Ne soyez pas pressé. Plus vous serez patient, plus le clitoris sera prêt. C’est un peu comme un sexe d’homme, il doit gonfler, durcir et grandir. Plus vous le titillez, plus il sera facile à repérer car il prendra de l’ampleur. Cela vous permettra de mieux le localiser. Si vous n’arrivez pas à le détecter après un certain temps, c’est peut-être que la caresse n’est pas agréable pour la partenaire. Demandez-lui ce qu’elle préfère et recommencez. Pour ma part, peut-être comme beaucoup d’autres femmes, je suis plus réceptive les jambes serrées. Si, de surcroît, mes seins sont sollicités en même temps, j’ai toutes les chances de décoller. Allez-y, essayez.

En général, cela fonctionnait. Grâce à tous les conseils que je prodiguais, je jouissais. Ce n’était même pas compliqué, loin du rêve inaccessible que la société associait à l’orgasme féminin. Difficile à obtenir, plus dur à donner que celui des hommes ? Non, nous étions juste mal informés. Par exemple, les jambes serrées allaient à l’encontre des images qu’on nous rabâchait dans le porno. Bien évidemment, toutes les femmes ne sont pas comme moi, mais je doute sérieusement être la seule au monde qui monte plus vite dans cette position. D’autant que la raison en est très simple. Les cuisses fermées, en créant une pression sur les lèvres, remontent le clitoris, qui devient plus visible et plus sensible, une fois sorti de sa cachette. CQFD.

Lorsque j’avais un orgasme, j’invitais le client à appuyer plus fort sur la zone pour qu’il puisse sentir les effets physiques, les spasmes, et comprendre qu’une femme, au même titre qu’un homme, ne pouvait techniquement pas simuler. Beaucoup étaient stupéfaits, voire ébahis par cette découverte. Et surtout très heureux et fiers d’en être l’auteur. Pour ceux qui étaient mariés depuis Mathusalem, et qui n’avaient jamais pu constater ça par eux-mêmes, c’était vraiment un spectacle surprenant et réjouissant. Spectacle dont ils étaient enfin le héros.

Guider des hommes que je n’aimais pas était bien plus aisé que de parler aussi ouvertement à mon propre compagnon et, suite à ma démonstration, j’arrivais à jouir quasiment à chaque fois. Dans ces moments-là, en plus d’avoir pris mon pied, rien ne me faisait plus plaisir que de leur montrer combien c’était accessible pour eux de devenir de bons amants. Cela n’allait pas changer la face du monde, mais j’espérais quand même contribuer à rendre meilleure la vie sexuelle de certains couples.

Croyez-moi, j’ai vraiment donné de ma personne pour que ces messieurs aient enfin la bonne pratique. Mesdames, ne me remerciez pas, solidarité féminine oblige, c’est cadeau.

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