Chapitre 118 : Clients ou amants ? (Partie II)

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En proclamant à ma thérapeute, en septembre 2022, qu’Alexis ne serait assurément pas ma dernière chance de croiser la route d’un homme digne d’intérêt, j’avais vu juste. Deux mois après cette troublante rencontre, j’avais reçu Medhi en tant que nouveau client.

Le jeune homme en question, âgé seulement de 33 ans, était venu à mon domicile pour un massage complet, rapport inclus. D’emblée, j’avais été séduite par ce beau brun à la peau dorée, qui possédait une trogne adorable et de sublimes prunelles noisette, bordées de longs cils magnifiques. En plus de ses très beaux yeux en amande, Medhi affichait un large sourire de chaque côté duquel se profilaient deux jolies fossettes. J’avais passé un agréable moment en sa compagnie, à tel point que j’avais regretté devoir le quitter. Heureusement, la réciproque avait été vraie et il m’avait assuré qu’il reviendrait.

Je travaillais beaucoup moins depuis que ma seconde annonce avait été éjectée du site. Je recevais en général un client ou deux par jour, au maximum, soit deux à trois fois moins qu’à la grande époque. Cela me suffisait largement pour vivre car je m’en sortais encore très bien financièrement, mais mon planning n’offrait désormais qu’un nombre très limité de places. Après notre première rencontre en novembre, comme promis, Medhi était revenu me voir et ce, à plusieurs reprises, presque chaque mois, ce qui en faisait désormais un client régulier. Du fait de ce statut privilégié et parce qu’il me plaisait beaucoup, quand il m’appelait, même au débotté, je n’hésitais pas à le faire passer en priorité. J’avais même annulé un rendez-vous pour pouvoir l’accueillir sur le créneau désiré. Celui-ci avait eu lieu en fin de journée, un mardi après-midi et s’était prolongé au-delà de l’horaire habituel.

En plus de rallonger des séances, avec Medhi, comme avec d’autres, j’acceptais d’en honorer certaines en dehors de mes heures d’ouverture. Cela s’avérait notamment possible le mardi soir, parce que ce jour-là, ma fille était gardée par ma mère, à son domicile. J’avais beau avoir coupé les ponts avec cette dernière, je souhaitais qu’elle puisse encore s’occuper de sa petite-fille. Je pouvais aussi recevoir les week-ends lorsque ma fille était chez son père. Celui-ci la récupérait en général après l’école, à 16h30, moment à partir duquel j’étais déchargée de mes obligations maternelles. J’en profitais alors pour recevoir mes clients plus tard qu’à l’accoutumée.

Cette situation aurait été inenvisageable à l’époque de mon addiction car, à la fin de ma journée de travail, je n’attendais qu’une seule chose : manger. Dès que le dernier client s’en allait, je me ruais sur la nourriture. J’avais parfois à peine refermé la porte d’entrée que je courais déjà à la cuisine pour engloutir tout ce qui traînait à ma disposition. Les crises régissaient davantage mon emploi du temps que ne l’aurait fait une secrétaire zélée. Mais, désormais, tout cela appartenait au passé et j’étais libre de faire ce qui me plaisait de mes soirées. Comme je ne rencontrais personne d’intéressant dans le cadre privé, mes clients occupaient une place vacante que j’étais désireuse de combler.

Nous étions d’ailleurs un vendredi soir, en cette fin février 2023, lorsque Medhi m’envoya un message tardivement. Il était vingt heures passées mais il était coutumier du fait, alors cela ne me surprit pas de sa part. Cela ne me dérangea pas non plus, contrairement à une autre époque où ce genre d’impolitesse m’aurait fait sortir de mes gonds. Au contraire, le sms me fit plaisir.

— La journée est finie ? Tu fais quoi ce soir ? Je sais que tu ne bosses pas quand il fait nuit... mais j’ai très envie d’un massage... Si tu changes d’avis.

Tous ces points de suspension en disaient long. Je n’avais pas de peine à lire entre les lignes. Pour ma part, je venais de passer des heures à m’arracher les cheveux sur un chapitre du tome trois de ma saga et j’en avais ras-la-casquette. Je n’étais pas contre l’idée de faire une pause. La proposition tombait donc à pic et Medhi était le bienvenu.

— Pourquoi pas, je suis dispo ! Profitons-en.

Je m’apprêtais à filer à la douche quand je lus le message suivant :

— Vers 22h30 ?

— Oula ! Trop tard ! Je serai déjà au lit à cette heure-là. Je suis une lève-tôt, ne l’oublie pas.

J’exagérais un peu mais on n’était quand même pas loin de la vérité et Medhi le savait, car je lui avais déjà parlé de mes projets d’écriture. Il connaissait mes ambitions et les moyens que je mettais en œuvre pour y arriver. Il savait que j’appréciais de me lever tôt le matin pour écrire, lorsque mon inspiration était toute fraîche et, par conséquent, il savait aussi je me couchais rarement après vingt-trois heures, même les soirs de fins de semaine. Je ne voulais pas le vexer alors je bottai gentiment en touche avec le texto suivant :

— Tu ne voulais pas un massage ce soir, mais cette nuit apparemment. Une autre fois, peut-être ? Ce serait avec plaisir, vraiment.

J’avais voulu faire un trait d’humour, avec ma petite boutade, mais Medhi me prit au mot.

— En fait, si tu veux, je peux rester toute la nuit...

En lisant le message, je m’interrogeai sur ses réelles intentions. Je lui demandai si on parlait toujours d’un rendez-vous tarifé, et il me répondit par l’affirmative. Cela me rassura. Mieux, cela m’enthousiasma. Une nuit entière avec un beau mec et, en prime, de l’argent à la clef, voilà qui devenait intéressant... Je réfléchis encore quelques instants, en me balançant sur la chaise de mon bureau. Après tout, pourquoi pas... ? Et si j’acceptai ? Je savais Medhi bon amant, puisque j’avais déjà couché avec lui à plusieurs reprises, mais je n’avais encore jamais fait ça, dormir avec un client. On m’avait proposé une fois mille euros pour passer la nuit chez un homme, mais j’avais décliné. Trop risqué.

Pourtant, cette fois-ci, la proposition me tenta. J’en avais même très envie. Je ressentis de la joie à cette idée et cela se manifesta par un regain d’énergie, malgré la fatigue accumulée.

Quand j’étais dans cet état-là, je savais que je devais y aller. Et si Medhi était celui que j’attendais ? L’Univers me l’avait peut-être envoyé à dessein ? Je devais lâcher prise et m’ouvrir à toutes les possibilités. Pour mener à bien mes projets, je m’étais promis de suivre les indices, d’être attentive aux synchronicités, et de me laisser porter par ma petite voix...

Après une courte réflexion, j’acceptai donc son offre, curieuse de découvrir où cela allait nous mener. Medhi débarqua vers 22h30, d'humeur joyeuse. Il avait pris un apéro et ramené deux bières. Je le remerciai de son attention mais lui rappelai que je ne buvais pas. Il posa les boissons dans l’entrée, prêtes à repartir.

— Si tu ne bois pas, je ne bois pas non plus, question de respect...

Je souris, touchée par sa délicatesse et l’invitai à monter. Il me paya de suite, plus que d’ordinaire. C’était du bonus car, en réalité, s’il n’avait pas payé, je n’en aurais rien eu à faire. Je le trouvais gentil, respectueux, doux et cela me faisait sûrement autant plaisir qu’à lui de passer cette nuit un peu à part. Cette dernière nous appartenait désormais. Après avoir discuté longuement de tout et de rien sur le lit, il me fit l’amour sans empressement. Il était attentionné et galant, s’assurant systématiquement que tout allait bien pour moi.

Durant nos ébats, je ne savais pas s’il était mon amant ou mon client, tant la frontière me paraissait mince. Mais, en réalité, je m’en fichais.... Je profitais de tout ce que la vie m’offrait, sans plus trop me poser de questions. On s’endormit en cuillère, serrés l’un contre l’autre. Après une nuit tendre et complice, il partit au petit matin en m’embrassant, après une dernière étreinte sensuelle.

Malgré cette nuit réussie, je n’envisageai rien de plus avec lui, car même si les contours de cette rencontre me semblaient très floues, je savais que Medhi ne correspondait pas exactement à ce que je recherchais d’un homme. Il s’apparentait à une sorte de sex-friend qui me payait et c’était bien comme ça.

Tout au long de ma carrière, j’avais été masseuse érotique, coach sexuel, coach en développement personnel et à présent que les rencontres tarifées devenaient marginales dans ma vie, je devenais plus amante que prostituée. Depuis que je n’étais plus soumise aux affres de la boulimie, mes échanges avec mes clients s’en ressentaient et ceux avec Medhi, comme ceux avec Alexis deux mois auparavant, n’avaient pas échappé à la règle. Au même titre que j’avais sans cesse évolué dans ma vie privée, ma relation avec mes clients s’était transformée au cours de ces quatorze dernières années. Depuis septembre 2022, c’était encore plus visible. J’abordais désormais mon métier de façon plus intime, m’impliquant davantage personnellement.

Peut-être que mon attitude plus affectueuse était aussi en partie liée à l’approche de la fin de cette période sulfureuse. C’était une question de mois avant l’arrêt définitif de mon activité, j’en étais persuadée. Alors, quitte à partir, autant terminer à l’apogée de ma carrière et dans les meilleures conditions. Consciente de vivre mes derniers mois en tant que prostituée, je désirais les rendre mémorables, en étant pleinement présente lors de mes séances.

Tous les rendez-vous ne relevaient pas de la même intensité que ceux vécus avec Alexis ou Medhi, mais chacun me fit du bien à sa manière. Je saisissais l’occasion d’avoir un homme à disposition pour combler mes besoins de tendresse en plus d’autres plus primaires. Là où leur présence avait été parfois perçue comme indésirable autrefois, désormais, je la savourais. Nos échanges charnels n’étaient jamais aussi épanouissants que dans une vraie relation sentimentale, mais c’était toujours bon à prendre. J’éprouvais beaucoup de gratitude pour cela.

Les clients y trouvaient leur compte aussi. Séduits par mon attitude plus ouverte et apaisée, par ma plus grande disponibilité, certains proposaient de me revoir en dehors de mes heures de boulot. Ils m’invitaient au restaurant ou à sortir boire un verre. Je ne doutais jamais de leur sincérité. Je les devinais motivés par de bonnes intentions, plutôt que par l’attrait de mon métier et des bénéfices qu’ils auraient pu en tirer à l’œil — Métier qui, au demeurant, comportait probablement plus d’inconvénients que d’avantages pour un homme normalement constitué. Je n’acceptais jamais pour le moment.

Medhi fut le seul client avait qui je passai une nuit entière. Aussitôt celle-ci terminée, j’eus envie d’autre chose. Il était vraiment temps que je me mette en mouvement pour trouver, non pas l’homme de mes nuits, mais l’homme de ma vie.

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