Prologue

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24 Avril 2023

Le client frappe à la porte. Avant d’ouvrir, je regarde en vitesse dans le judas pour m’assurer que ce n’est ni un taré, ni quelqu’un que je connais de vue. Lorsque les vérifications sont faites, rassurée, je l’accueille avec le sourire, comme d’habitude.

Il entre, un peu fébrile, comme d’habitude aussi. Rares sont ceux qui arrivent chez moi sans un peu de stress. Même s’ils fréquentent régulièrement des prostituées, ils n’en demeurent pas moins sujets à l’appréhension des premières rencontres. Je ne ressens plus cette inquiétude depuis longtemps. Après mon premier rendez-vous, il y a quatorze ans presque jour pour jour, la peur a disparu.

Dès le début, je me suis conditionnée à cela : soit j’agissais comme si devenir masseuse érotique s’apparentait à un métier ordinaire, sans réelle menace, soit je m’en abstenais. Je n’aurais pas supporté d’attendre tous les jours derrière la porte, le trouillomètre au plafond, en priant pour qu’aucun tordu ne débarque pour me zigouiller. J’imagine que toutes les personnes ayant une activité professionnelle à risque connaissent ça. Nous avons conscience que vivre dangereusement a un prix, et nous sommes prêts à le payer. À partir du moment où la décision est prise, plus question de revenir en arrière.

Le client du jour est plutôt laid mais je n’en fais pas cas. Je le laisse grimper à l’étage et je lui indique où poser ses affaires une fois qu’il sera déshabillé. Nu, il n’est pas plus séduisant, mais cela m’est égal, je n’y prête pas attention. Je suis là pour lui offrir un moment de détente, c’est ce qu’il espère en me tendant les billets.

Il s’allonge et je commence à le masser. Je lui demande son prénom : Benoît.

— Enchantée, Benoît. Moi, c’est Mélinda.

— Enchanté, également Mélinda.

Je ne sais pas s’il dit vrai, mais personnellement, je ne le suis pas spécialement. Bien sûr, je n’ai rien contre lui, je ne le connais pas. Mais j’ai hâte d’en finir avec mon métier. J’ai envie de tourner la page. Je sais que cela va bientôt advenir, même si je ne sais pas quand.

La musique accompagne notre séance de relaxation. En l’écoutant, je me perds dans mes pensées.

C’est vrai qu’il me tarde de passer à autre chose. Pour autant, je ne regrette rien. Si c’était à refaire, je ne sais pas si je me relancerais là-dedans, mais puisque les dés sont jetés, autant en tirer mon parti. Je nourris un sentiment ambivalent à l’encontre de mon travail. Tantôt, je le vois comme la porte de sortie qui m’a permis d’avancer dans une vie compliquée, tantôt il m’apparaît comme le boulet que j’ai longtemps trainé au pied.

En massant Benoît, je pense à Nelson Mandela. Emprisonné durant vingt-sept ans, cet homme au courage exemplaire est devenu un leader incontestable, loué et suivi par ses pairs. Grâce au respect et à l’admiration qu’il a inspirés au peuple sud-africain, suite à son incarcération abusive, il est devenu le président d’une Nation réunifiée et a changé le cours d’un pays.

En écho à ce parcours extraordinaire, je m’interroge sur le mien, forcément moins glorieux, mais tout aussi instructif.

Et si nos expériences douloureuses nous permettaient de nous réaliser ?

Et si la prostitution avait été ma chance ?

Et si cela avait été, pour moi, une façon de guérir ?

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