Chapitre 2 : le roi est mort, vive le roi.

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 La musique coulait encore dans le silence, mais Rubie n’entendait plus que le son du tambour qui résonnait en elle tandis que son cœur semblait s’être arrêté.

 Tam.

 Tam.

 Tam.

 Sa respiration suivait cette cadence. A chaque Tam elle reprenait un peu d’air, et quand la baguette se relevait elle mourait de nouveau.

- On devrait descendre voir de qui il s’agit, déclara Théoxane, un chewing-gum insolemment coincé entre les dents.

 Fallait-t-il vraiment savoir ? Sans une confirmation, toute information n’est ni vraie ni fausse. Tant que personne n’est mort, tout le monde reste en vie. Absolument tout le monde. Ne valait-t-il pas mieux demeurer ainsi, dans la plénitude de l’ignorance ? Savoir… savoir et être définitivement sauvée, ou savoir et ne plus jamais pouvoir espérer.

 Sur ce toit, ce toit glacé de la septième tour, le temps semblait figé, et la mort venait de le figer davantage.

- J’arrive, dit-elle en se relevant.

 L’espoir n’avait jamais été pour elle.

 Les marches métalliques de l’escalier de secours pleuraient sous ses pas. Un sourire fané lui sculptait le visage tandis qu’elle tentait de retenir les pensées qui assaillaient son esprit. Le palier de la Station des faucons naissait dans le lointain, sombre, silencieux. Où étaient les adolescents qui, à cette heure encore, emplissaient les rues de leur musique assourdissante ? Que disaient les maris trompés à leurs femmes infidèles, et les stagiaires naïfs à leurs patronnes souveraines ? Pourquoi le monde avait-il décidé de se taire ? La pénombre emplissait les allées marchandes, les bars ne chantaient plus, tout était clos, presque endeuillé.

- Rubie ? Rubie Falcon ?

La jeune fille se retourna, ses yeux rouges plongeant dans le regard bleuté de son voisin.

- Patrick ? Que s’est-il passé ?

 Cette question n’était ici rien de plus que rhétorique, une phrase lancée dans le vide, comme une banalité. Les belles paroles disent que la douleur est moins violente une fois verbalisée. Foutaise. Le mal reste le mal, les mots ne sont que des ancrages auxquels il peut s’accrocher.

- Tu n’es pas au courant ? Joan Dakhal vient de mourir, les crieurs publics ne parlent pourtant que de ça ! Tu sais ce qu’on dit : le roi est mort, vive le roi. Le combat aura lieu au lever du soleil, tout le monde est déjà parti pour l’arène. Je pensais que ton frère t’aurait prévenue.

 Prévenue ? Bien sûr que non. Andréas faisait toujours ce qu’il avait à faire sans se soucier de ce qu’il laissait derrière lui. Aujourd’hui, Rubie était le bagage abandonné au pied du train. Seule, immobile dans une foule mouvante, sans identité. Elle ne disait rien, il n’y avait rien à dire. Au fond d’elle-même, elle ne parvenait pas à être triste, tout ce qu’elle ressentait encore était cette colère qui fusionnait avec ce qui semblait être sa peur. Plus les secondes passaient, plus cet amas de sentiments devenait lourd, trop lourd. Il pesait sur ses épaules, tiraient ses poumons à tel point qu’elle ne pouvait plus respirer. Ses os se brisaient sous son poids, il prenait toutes ses forces, tout son courage, tout ce qui restait encore en elle jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une coquille vide, un humain mécanique privé d’humanité.

 La nuit décorait encore le ciel, douce et apaisante. Rubie aimait la pâleur de la lune, si humble quand le soleil, hautain, vous irradie la rétine pour avoir osé le regarder. Elle voulait plonger dans ce ciel nocturne, s’y fondre, jusqu’à s’y noyer. Sans rien dire, elle se dirigea vers l’un des balcons qui décoraient les murs de la tour et prit appui sur la balustrade, laissant ses pieds flotter dans l’horizon. Son regard débordait de monotonie, tout en elle exaltait l’insipidité. Malgré la chaleur environnante, elle avait froid d’elle-même. Son cœur et son corps se muraient d’indifférence, préparant l’invasion imminente d’une douleur insupportable. Stoïque, elle n’avait pas peur, elle n’avait pas mal. D’un pas nonchalant, elle se jeta dans le vide.

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