chapitre 15 : elle n'avait plus les yeux rouges

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A travers ce miroir, Rubie n’apercevait plus ni les tabourets du bar, ni les habitués qui jouaient aux cartes en riant. Elle ne voyait qu’elle, un reflet fané sur une glace verdâtre rayée par le temps. Etrangement, son double immatériel avait changé, comme vidé de toute trace de pétillance. Après de longues minutes passées à se contempler, la jeune fille comprit. Ses yeux n’étaient plus rouges.

- Tu dois plonger dedans pour passer de l’autre côté, lâcha Salomé à son attention.

Mais elle ne pouvait se détacher des petites billes noires qui dansaient dans son orbite. Ainsi privée de sa différence, elle ressemblait trait pour trait à Andréas. L’image de son frère se fondait à la sienne jusqu’à ce qu’ils ne forment plus qu’un seul personnage. Même si elle le haïssait pour ce qu’il avait fait, là-bas, à Avem, la perspective de ne jamais le revoir la mit dans tous ses états. Ses mains tremblaient, et elle sentit son cœur se serrer si fort qu’elle en avait du mal à respirer. Désormais, elle prenait conscience de la réalité de son aventure et du pétrin dans lequel elle s’était fourrée. En traversant ce miroir, elle entrerait dans un palais qui se refermerait sur elle comme les portes d’une prison. Mais si elle ne le traversait pas, elle se perdrait surement dans les limbes de cette ville mystérieuse jusqu’à mourir de faim. Le Palais de Cristal demeurait sa meilleure option. Apprendre à contrôler ses pouvoirs était ce dont elle avait toujours rêvé, et peut-être qu’une fois la tâche accomplie, ils lui permettraient de rentrer chez-elle. Elle devait y croire, rester positive et garder les idées claires. Se laisser aller au désespoir n’avait jamais aidé personne. Ainsi, c’est emplie de toutes ces bonnes intentions qu’elle se jeta dans le miroir.

De l’autre côté, le soleil était plus fort, le vent plus doux, les couleurs plus vives et les odeurs plus enivrantes. Ce reflet de splendeur n’avait d'égal que son impossibilité. A chaque coin de rue les arches grandissaient, les murs prenaient des décors, les toits devenaient des dômes et ces dômes se couvraient d’or blanc et de perles. S’il y avait déjà là de quoi perdre la tête, le Palais de Cristal défiait toute raison. Sa magnificence faisait du mot « grandiose » un pâle euphémisme, beau à en insulter la beauté. Si elle n’avait eu le souffle coupé, Rubie aurait crié d’ébahissement.

L’édifice se décomposait en sept tours contenant chacune les sept sanctuaires des sept déesses mères. Des statues de marbres en décoraient les sommets, et elles possédaient toutes leur détail unique. Par exemple, une première était recouverte d’écailles, une deuxième de mosaïque, et une autre encore d’étranges particules ressemblant fortement à des ailes de papillons. Au centre siégeait un colosse de cristal, transpercé par les mille rayons du soleil. Des perles blanches en couvraient les arêtes anguleuses tandis que des gravures travaillaient les fondations. Enfin, deux délicates mains tenant en leur sein une sphère formaient à l’entrée la plus improbable des portes.

A mesure qu’elle le regardait, Rubie se demanda s’il lui serait un jour possible de s’habituer à tant de faste et de majesté. Elle voulait s’emplir les yeux de ce paysage pour ne jamais l’oublier, afin qu’il couvre à l’avenir tout ce qui lui paraitrait laid. A cet instant, le toit de la septième tour lui semblait le bout du monde. Et peut-être l’était-il.

Courant entre les échoppes et les bâtiments, un réseau de canaux convergeait vers l’édifice. Les nochers qui en dirigeaient les gondoles portaient tous d’étranges capes blanches, si grandes qu’elles leur couvraient même le visage. Rubie s’attarda sur l’un deux, assez longtemps pour qu’il finisse par s’arrêter. Il ne disait rien, ne la regardait même pas dans les yeux, comme s’il était incapable de le faire. La jeune fille se contenta alors de monter dans le bateau, laissant danser dans la barque tous les billets qu’elle possédait, et l’homme entrepris son voyage. L’eau sur laquelle ils naviguaient avait la particularité d’être aussi blanche que la neige. D’après les panneaux laissé à l’attention des touristes, elle était constituée des pleurs des déesses en personne. Rubie n’y croyait pas, pas plus qu’à l’existence des six autres déesses que présentaient ces panneaux. Pour elle il n’y avait que Kehendak, déesse de la liberté vénérée à Avem, car pour elle il n’y avait qu’Avem dans le monde. Avem, et désormais la Capitale. Combien de choses ignorait-elle encore ? Cet univers qu’elle pensait connaitre avait-il seulement des frontières ?

Soudain, la jeune fille sentit de légers à-coups secouer la gondole. Le nocher, lui, demeurait imperturbable.

- Garder les mains à l’intérieur de l’embarcation, lut-elle à voix haute. Créatures d’Atlàna, très dangereuses.

Pourtant, à ce qu’elle en voyait, ces poissons n’avaient rien de menaçant. Au contraire, leurs mouvements de nageoires gracieux et leurs couleurs pastel l’apaisaient. Plus le temps passait, plus ils devenaient nombreux et, quand elle se décida enfin à relever le regard, le palais était juste au-dessus d’elle.

Alors qu’elle s’apprêtait à sortir du bateau, le nocher lui agrippa le bras et glissa dans sa main un petit médaillon. Elle le remercia d’une voix tremblante et partit aussi vite que la politesse le lui permettait.

Plus elle avançait, plus son rythme cardiaque s’accélérait. Serait-ce de l’excitation ? Ou peut-être simplement de la peur. Quoi qu’il en soit, elle était sur le point de changer son destin, et ceci ne pouvait pas la laisser impassible.

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