chapitre 21 : alors vous mourrez

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Il suffit d’un tintement d’ampoule, et tout fut changé. Dans cette pièce anciennement morose, la magie tenait un bal masqué. Elle avait couvert les murs blancs de damiers violacés, paré le plafond de tapis brodés et fait pousser à foison des lustres dans le plancher. Elle était cette odeur sucrée qui volait dans l’air tandis qu’un millier de paillettes tombaient en larmes d’étoile. Elle résonnait dans les Tacs et les Tics discontinus de l’horloge qui loupaient la cadence au rythme d’un pendule désarticulé. Elle était vivante, et elle aimait vivre. Elle était folle, et sa folie était belle. Elle rendait tout ce qui était grand ridiculement petit, et tout ce qui était petit immensément grand. Avec elle rien n’avait de sens, et l’expression était à prendre au propre. Le monde tombait littéralement à l’envers, positionné de sorte à compromettre la logique. La raison suffoquait.

Rubie tentait tant bien que mal de repositionner son espace dans cette salle qui lui donnait le vertige. Son cœur battait la chamade, emprisonné par ses poumons qui lui compressaient la poitrine, et ses joues rougissaient, emplies d’un sang insolent dilué de larmes qu’elle n’osait laisser jaillir. Foutue crise d’angoisse.

Elle peinait à respirer, étouffée par un amas de couleurs désordonnées où sa robe indigo se fondait en camouflage. Même ses yeux rouges y auraient trouvé normalité.

Les piaillements des autres jeunes filles l’empêchaient de se calmer. Une confusion cacophonique régnait en maîtresse.

- Sortez-nous d’ici ! s’égosilla une blondinette perchée sur la pointe de ses escarpins.

- Ça n’a rien de drôle ! protesta ensuite une grande brune à l’allure élancée.

En effet, le Conseil ne rigolait jamais et tout ceci n’avait rien d’une mascarade. A la Capitale, l’inimaginable créait le banal.

Puis le silence retomba, tirant avec lui le voile de la pénombre. Dans l’obscurité, l’angoisse n’osait parler.

Une minute.

Deux.

Le temps filait lentement, presque en retard sur lui-même, et chaque seconde se voulait plus pesante que la précédente. Rubie pouvait entendre les souffles saccadés de ses camarades, devinant jusqu’aux pleurs qui leurs chatouillaient les paupières. Sa main se baladait dans le vide, à la recherche de quelque chose à serrer, mais ne trouvant que l’immensité de sa solitude. Et la lumière revint.

Avec elle, une quinzaine de garçons s’étaient également invités. Il y avait là de ténébreux bruns associables, des soldats dressés au garde à vous, des timidités dissimulées derrière une paire de lunettes rondes et des boucles rousses pleinement assumées. Les peaux se déclinaient du jaune pâle arriéré au noir parfait, côtoyant la porcelaine rosée et le doux bronzage cuivré. Le tout suintait l’imprudence, la sagesse assurée et la fausse confiance. L’impolitesse se glissait parmi les regards insistants de cette jeunesse dorée. Déjà haïs, à peine arrivés.

Ils portaient tous des costumes bariolés à l’image de celui de Pharell, des hauts-de-forme également greffés sur la tête. Différents mais si semblables, c’était un joyeux bordel agréable à regarder, une palette de couleurs en explosion.

- Voilà donc nos porteuses de sphère, lâcha un grand corps musclé nonchalamment adossé au décor. Charmantes.

Insupportable.

Certaines filles se mirent à rougir tandis qu’une vague de rires masculins s’engouffra dans la pièce. Il se sentait peut-être fier, mais il n’avait aucune raison de l’être.

- Nous ne sommes pas « vos » porteuses de sphère, rétorqua Rubie dans un courant d’arrogance, mais merci du compliment. Dommage que je ne puisse pas te le retourner.

Il se figea d’un coup, comme étonné d’entendre cette voix sortie de la bouche d’une demoiselle. Ces garçons devaient comprendre, ici il n’y avait pas de rois, seulement une reine.

- Bien dit, répliqua un jeune métis, fatigué de n’être qu’observateur. Sacha n’est qu’un mal élevé que les parents n’ont pas pris le temps de remettre à sa place.

- Je ne saurais te contredire.

Il sourit. Pourtant, il n’y avait rien de drôle.

- Aurais-je l’honneur de connaitre le prénom de celle qui a réparé cette terrible négligence ?

- Elya Falcon.

- Connor Rajer.

Rubie afficha elle aussi ce sourire condescendant qu’elle ne faisait, jusqu’à lors, qu’admirer.

- Excuse-moi, mais je ne me souviens pas t’avoir demandé le tien en retour.

- Et je n’agis pas que sur tes simples demandes.

Un point pour lui.

- C’est donc à vous que nous sommes censées nous fiancer, ajouta-t-elle en effleurant du doigt l’un des meubles étranges qui se trouvait à ses côtés.

- Je lirais presque dans votre regard une forme de déception.

- Je ne suis pas déçue, je ne m’attendais à rien. Ce que vous lisez dans mes yeux n’est rien de plus qu’une absence totale d’intérêt.

Touché en plein cœur.

- Vous me vexez, mentit-il.

- Avec raison.

L’avantage lui était revenu.

Dans cette atmosphère bouillante d’angoisse, ce jeu que Connor installait commençait presque à l’amuser. Or elle n’avait pas le temps de jouer, pas de cette manière.

- Je crains de vous décevoir, messieurs, déclara-t-elle à l’attention collective, mais vous ne trouverez pas votre promise ce soir. Notre concentration toute entière ne doit servir qu’à nous faire sortir d’ici.

- Sur ce point, nous sommes tous du même avis. Mais si vous aviez grandi à la Capitale, vous sauriez qu’il ne sert à rien de s’agiter avant d’avoir reçu les consignes du Conseil.

- Les consignes ?

Les claps de ses talons résonnèrent un à un sur les dalles du carrelage. Bientôt, il n’y eut entre eux que le souffle d’un courant d’air.

- Je ne reçois de consigne de personne.

- Alors vous mourrez.

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