chapitre 57 : allégeance

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Encore endolorie par la fatigue, Rubie se prépara sans un mot, tandis que Salomé n’avait pas tenu à se réveiller. D’un pas nonchalant, elle arpenta le couloir jusqu’à la chambre de Nala. Assise devant sa porte, celle-ci l’attendait. Bien que tirés par deux lourdes cernes, ces yeux pétillaient d’une excitation enfantine.

- Elya, je sais que ce n’est pas le moment, mais je dois absolument te raconter un truc !

- Je t’écoute, lâcha-t-elle dans un bâillement.

- En rentrant hier soir, j’avais trop de belles images dans l’esprit pour parvenir à fermer l’œil. Alors, j’ai décidé de profiter du sommeil des gardes, et je suis allez faire un petit tour dans l’aile Ouest. Je flânais, à la recherche du sommeil, lorsque j’ai rencontré un sang gris.

Les sangs gris n’étaient autre que les esclaves de la Capitale, dont on excusait l’asservissement par la couleur de leur sang. Il en naissait dans toutes les familles, comme des fruits pourris germant sur un arbre sain. Ils s’opposaient aux sangs blancs, les natifs de la ville pour qui le sort avait été favorable. Enfin, Rubie et Nala, originaire du Continent, avait inéluctablement le sang rouge. La condition de ces malheureux les forçait à être plus robuste, plus fort et plus débrouillard que les autres. Souvent, ils étaient aussi plus généreux, particulièrement avec les porteuses de sphère. Ils étaient les seuls à comprendre l’oppression qu’elles subissaient, les seuls à ne pas acclamer le Conseil comme de vulgaires disciples. Ils s’éduquaient aux arts de la vie, et non aux théories rhétoriques, ce qui, pour finir, en faisait les êtres les plus intelligents. Cette intelligence, vraie et naturelle, attirait. Sans compter la beauté que le travail ne parvenait à chasser de leurs visages. Les sangs gris terrorisaient, parce qu’ils avaient toutes les qualités que la noblesse ne pouvait avoir.

- Il était magnifique ! poursuivit Nala. En plus, il n’arrêtait pas de me regarder ! Je sais que nous sommes sensés épouser ces garçons qui se prennent pour des Dieux uniquement parce que leurs pères ont de l’argent, mais tu crois que pour une nuit je pourrais…

Rubie manqua de s’étouffer. Comment pouvait-elle poser la question ?

- Tu sais très bien que non. Les caméras nous suivent partout, bientôt elles nous accompagneront même aux toilettes, avec la mission qu’on s’est donnée, tu ne peux pas te permettre d’avoir en plus une relation secrète. Sans compter que si quelqu’un vous aperçoit, vous perdrez votre tête tous les deux. Tu ne peux pas jouer à un jeu aussi dangereux !

- E toi tu es trop prude ! Je ne te parle pas d’un mariage, juste d’un coup d’un soir. Je ne sais pas pour toi, mais je commence sincèrement à m’ennuyer ici, j’ai besoin de me changer les idées. La vie ne nous donne déjà que peu de plaisir, comment deviendra la tienne si tu ne parviens pas à en profiter ?

- Longue, s’exclama Rubie. Ce genre d’égarement ne vous apporte que des ennuis, et tu l’apprendras à tes dépends.

Elle ne savait que trop bien de quoi elle parlait. C’était justement le plaisir, le vice et la luxure qui l’avait amenée ici. Si elle était demeurée dans sa chambre au lieu de se rendre à la fête de Rix, Avem se tiendrait aujourd’hui sous ses pieds.

- Je plein les chats que tu prendras pour te tenir compagnie, une vieille fille comme toi, ça devra être tellement ennuyeux !

Elle la frappa derrière la tête, et Nala lui rendit son coup. Elles continuèrent à se chamailler ainsi dans tous les couloirs de l’aile Ouest jusqu’à arriver, sans même s’en rendre compte, au seuil de leur salle de classe. Alors Rose, effarée de leur retard et outrée de leur comportement, prit grand plaisir à leur faire le plus long sermon de toute leur existence. Lasses mais toujours joyeuses, les deux jeunes filles prirent places à leurs tables respectives.

- Très bien, commença la professeure, je disais donc avant d’être interrompue- elle appuya sur son mot de sa petite voix aigüe tout en laissant échapper un léger toussotement- que je ne vous enseignerais pas votre leçon ordinaire aujourd’hui.

Une lueur d’espoir apparue dans les yeux de Rubie, mais s’échappa rapidement quand Rose reprit la parole :

- A la place de cela, vous aurez cours de danse avec l’un des plus grands metteurs en scène de toute la Capitale. On dit qu’il supervise lui-même les ballets du grand Opéra, n’est-ce pas fantastique ! Je n’ai pas trouvé meilleur que lui pour vous préparer au bal donné à l’occasion de la cérémonie d’allégeance dont vous serrez, bien entendue, les principales vedettes.

Toutes les porteuses se mirent à sautiller, euphorique à la simple idée de pouvoir assister à un bal. Sur le Continent, ce n’était guère une pratique courante, et on ne les retrouvait que dans les contes peuplés de princesses et de châteaux ensorcelés.

- Les garçons seront ils présents ? questionna Ivy Dreamer.

- Ils le seront, bien sûr, répondit Rose dans un large sourire.

Seule Rubie demeurait septique, le terme « allégeance » ne l’inspirait que très peu.

- En quoi consiste cette cérémonie ? se risqua-t-elle à demander.

- Ravie que vous vous intéressiez enfin à votre rôle au sein de ce palais mademoiselle Falcon, répliqua Rose d’un ton sarcastique. La cérémonie d’allégeance consiste en montrée votre fidélité au Conseil, en même temps que tous les nobles de la Capitale, lors d’un procès théâtral. Certain se contenteront de prêter sermon mais vous, vous devrez infliger une peine, pouvant aller jusqu’à la peine de mort, aux opposants de notre chère gouvernement.

La peine de mort… mort…

- Vous nous demandez de tuer ?

- Je vous demande de rendre la justice, et d’effectuer votre devoir.

En ce lieu, il n’y avait pas de réelle différence. Tuer… ou être tuée. Les sœurs Shenren ne se salissaient jamais la main, mais Rubie refusait de le faire à leur place.

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