chapitre 63 : la vraie Nala n'avait ni nom, ni visage.

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Nala effaça ses cernes sous une couche affligeante de maquillage et, à mesure que la fatigue disparaissait, sa transformation commençait à opérer. Elle balaya toute sa sensibilité et sa faiblesse, laissa tomber son enfance sur le sol, nettoya son corps de toute cette douceur insupportable et la jeta à la poubelle. Les larmes coulaient sur ses joues, des larmes qui ne démaquillent pas, des larmes qui habillent. Sous son uniforme d’écolière elle était vêtue de douleur, des cicatrices en fils dorés qui se matérialisaient désormais dans les frasques d’une robe bleutée. Sa silhouette fine, froide et tristement enfantine devenait femme dans ces vêtements de dame. Nala s’était rendu compte que les gens voyaient toujours en elle la personne qu’ils avaient besoin qu’elle soit, et elle avait appris à en jouer. Aujourd’hui, la vraie Nala n’avait ni nom ni visage, c’était une volonté posée dans un corps qui lui servait d’arme. Un corps qu’elle se plaisait à changer.

Du bout du doigt elle tira sa bouche jusqu’au coin de ses oreilles. Si tout était faux chez-elle, son sourire ne faisait pas exception. C’était sans doute ce qu’il y avait de plus difficile, se mentir à soi-même, pouvoir se convaincre intérieurement que ce que l’on fait est juste et y croire, tous les jours, croire que l’on mérite d’être en vie, ou mourir en essayant. Maintenant que le costume était parfait, elle poussa la porte de sa chambre et s’engagea dans le couloir principal. Dans la marée blanche de domestique elle marchait telle une ombre, frôlant les Hommes sans qu’aucun n’ose la considérer. Sa beauté la rendait invisible, son assurance la dissimulait. Elle enchaina les portes, les gardes et les passeurs pour se retrouver dans les rues bondées de la Capitale. Elle entra ensuite dans le plus grand palace du quartier, là où aucune femme seule ne mettrait les pieds. Ceux qui s’y trouvaient disposaient du même don qu’elle, ils savaient se déguiser. Derrière ces gentlemans de façade se cachaient des violeurs nés, des menteurs et des meurtriers, la réussite ne sourit qu’à ceux qui aiment la provoquer.

De l’autre côté du comptoir se tenait un réceptionniste, elle lui donna son nom et demanda qu’on lui indique la chambre numéro douze. Une employée l’y conduisit sans poser de question, puis la laissa seule devant la porte. Ce qu’elle s’apprêtait à faire, jamais Nala ne pourrait l’effacer. Qu’importe, elle ne pouvait plus reculer.

Une femme dormait dans le grand lit à baldaquin, une jeune fille brune d’à peu près son âge. Elle était belle, pure et totalement innocente. Dans un sens elle lui ressemblait, un pauvre petit pion endormi dans un jeu qui ne dormait jamais. Un jeu où les coups de poignards se donnaient en coulisse. Nala l’assassina avant qu’elle n’ait eu le temps de se réveiller, lui enfonçant dans le cœur l’une des épingles qui tenaient ses cheveux coiffés. Le sang se répandait partout, coulant au même rythme que le silence. La jeune fille resta un instant à contempler le cadavre glacé, imprimant dans sa mémoire chaque détaille de sa tessiture, jusqu’à la cicatrice en forme de larme sur son poignet. Puis elle se releva, attrapa un masque couvert de roses carmins qui trônait sur la coiffeuse et sortit.

Elle remercia le réceptionniste, glissa une pièce d’or dans la poche de la petite employée, sourit aux hommes qui se tenaient encore dans le hall et s’en alla sans que nul ne s’inquiéta du sang qui maculait ses habits. Cette fille, elle ne connaissait pas même son nom. C’était une vie. Une simple vie qu’elle venait de prendre comme l’on dérobe un biscuit dans le placard de sa grand-mère. Elle n’avait ni remords ni satisfaction. Elle ne ressentait rien, les émotions ne faisaient pas parties du décor. Sous le costume, le comédien ne vit pas la scène. Il n’est pas coupable. Et quand le personnage prend toute la place, il respire en apnée.

En rentrant au Palais de Cristal, Nala revêtit son uniforme d’un blanc parfait, détacha ses cheveux et retira toute la sensualité de son maquillage. La douce petite fille reprit sa place dans le corps de la meurtrière, comme si fermer les yeux suffisait à tout effacer, à redevenir la Nala sage et joyeuse, la Nala que Rubie connaissait.

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